Acta fabula
ISSN 2115-8037

2008
Février 2008 (volume 9, numéro 2)
Damien Zanone

Un romantisme en acte : les pamphlets de Paul-Louis Courier

Paul-Louis Courier, Une écriture du défi. Tous les pamphlets, édition établie par Michel Crouzet, Paris, Éditions Kimé, 2007.

1Les pamphlets de Paul-Louis Courier, inlassablement réédités pendant plus de cent ans (de leur apparition sous la Restauration jusqu’au milieu du XXe siècle) ont déserté les rayons des librairies depuis une quarantaine d’années (épuisement des éditions établies par Maurice Allem pour la Pléiade en 1951 et par Joël Schmidt pour J.-J. Pauvert en 1965, passage éphémère dans la collection dite des « Introuvables » des Éditions d’Aujourd’hui en 1984). Le premier mérite des Éditions Kimé et de Michel Crouzet est donc de mettre à nouveau en circulation ces textes longtemps tenus pour majeurs à différents titres : historique, permettant des morceaux de « vie réelle » sous la Restauration, dans le quotidien des campagnes à une date où les villages sont la scène où se rejoue tous les jours la dramaturgie d’une Révolution qui ne passe pas depuis trente ans, avec personnel inchangé (curé, châtelain, paysan) ; rhétorique et stylistique, déployant tous les tours et détours d’une ironie qui crépite sans relâche sous la plume d’un philologue esthète de la langue qui traduisit Longus dans le français d’Amyot et de Marot. L’autre mérite, plus général et plus nécessaire de l’édition que procure Michel Crouzet est tout bonnement sa qualité : le choix surprenant de se présenter simultanément comme essai biographique et comme recueil de pamphlets (au point, seule conséquence malheureuse, d’effacer les titres des pamphlets de la table des matières) permet une présentation très fine des textes de Courier (outre les pamphlets, des extraits de correspondance) en les insérant dans une narration qui les met en valeur comme les souffles de vie qui bruissent dans une carrière agitée. Enfin et surtout, le volume est ouvert par un discours d’introduction de cinquante pages qui est destiné à rester comme un essai marquant sur l’auteur, sur l’art pamphlétaire, mais aussi et plus fondamentalement, sur le romantisme. Michel Crouzet revisite celui-ci comme une geste anarchiste qui a pour scène le langage et pour héraut Paul-Louis Courier, le « saint Jean-Baptiste » de Stendhal. Henri Beyle n’eût sans doute pas avoué la formule, mais admettons qu’elle rend bien compte du rapport qu’il entretint avec celui qui le précéda de tant de façons sur les voies de la carrière, des idées et du style : « on a l’impression que Stendhal pense à Courier en théorisant son romantisme, ou que Courier l’a trouvé sans le savoir. L’absence de projet, d’intention, d’a priori conceptuel, est justement la bonne manière de valider l’idée stendhalienne d’une littérature libre, c’est-à-dire spontanément contemporaine, motivée par l’urgence de l’expression. » Le pamphlet, lieu du « refus radical de la hiérarchie, de la barrière qui sépare le sérieux et le non-sérieux, le comique et le tragique » procède d’une « volonté ironiste de brouiller les axiologies et de perturber les oppositions toutes faites, les donations établies de sens » : «  né de l’esprit du temps et de l’air du pays natal, le pamphlet est le romantisme en acte  ». On l’aura compris, aussi bien comme édition des pamphlets que comme essai sur ces textes et sur leur auteur, le présent volume prend rang de référence obligée.