Acta fabula
ISSN 2115-8037

2009
Janvier 2009 (volume 10, numéro 1)
Nathalie Maroun

Des échanges entre littérature et cinéma

Jan Baetens, La novellisation. Du film au roman, Bruxelles : Les Impressions Nouvelles, coll. « Réflexions faites », octobre 2008, 240 p. EAN : 9782874490569.

1Dans son numéro 2 (décembre 2006), la revue Littérature Histoire Théorie (LHT) de Fabula s’était interrogée sur les relations qu’entretiennent la littérature et le cinéma sous le titre « Ce que le cinéma fait à la littérature (et réciproquement) ». Un article de Jan Baetens, « La novellisation contemporaine en langue française »1, ainsi que d’autres contributions montraient qu’on a tort de réduire à la seule pratique de l’adaptation l’espace où se recoupent les deux pratiques cinématographiques et littéraires. Dans cet article, J. Baetens, chercheur en études culturelles à l’université de Louvain, qui avait déjà publié dans les domaines de la paralittérature, de la poésie contemporaine, de la théorie photographique et de la théorie des écritures à contrainte, tentait une approche de la « transformation d’une œuvre cinématographique en livre, plus exactement en roman », en vue de mieux cerner les enjeux de cette « transformation médiatique ».

2Il s’attardait notamment sur les motifs « responsables » de la dépréciation de cette transformation générique. Le premier motif se rattache au fait que le roman tiré d’un film ne se vend que très rarement en librairie générale, mais plutôt dans les rayons des grandes surfaces, maisons de presse, etc., ce qui fait de confère le statut de simple objet de consommation. Le second est directement lié au statut de l’auteur d’une novellisation. Ces romans sont publiés en effet sous pseudonymes ou exécutés par des « nègres ». Dans certains cas, ils sont confiés à des spécialistes du genre, c’est-à-dire des « auteurs qui ne risquent pas de se prendre pour des auteurs » et par conséquent qui ne se hasarderaient pas à écrire des livres susceptibles de faire ombrage à l’œuvre cinématographique. Le troisième motif est une accusation (sans doute fausse) à la novellisation d’être une copie extrêmement plate des évènements racontés dans le film.

3Jan Baetens opposait à cette vision de la novellisation « une exception française » qui remonte à la tradition scénaristique de l’œuvre cinématographique en France, dans le sens où l’écriture-scénario peut être considérée comme une pratique littéraire d’un genre à part entière (on distingue d’ailleurs le travail du scénariste de celui du réalisateur), pratique pouvant donner lieu à une publication légitime.

4Il distinguait d’ailleurs deux « tendances contemporaines » dans la novellisation en France, la première étant représentée par une « novellisation sui generis » et la seconde par un genre mixte (roman, ciné-roman, scénario-découpage, novellisation,…).

5Il s’attardait ensuite sur la novellisation pratiquée par des réalisateurs-auteurs, pratique qui se donne comme une « écriture du second degré ». Il cite à ce propos La vie de Jésus2 de Bruno Dumont et le synopsis de Nuit noire que transcrit Olivier Smolders dans La Part de l’Ombre3.

6Ces « autonovellisations » des réalisateurs sont une réécriture plus ou moins romanesque des scénarios. Ils ne sont donc ni de véritables scénarios, ni des novellisations au sens initial de la transformation médiatique puisqu’entre le scénario et le roman, la phase intermédiaire du film tourné et monté est élidée. Le résultat est une « trame narrative de l’œuvre qui fait imaginer un récit ni lisible dans le texte, ni visible à l’écran ».

7Il concluait sa brève étude de la novellisation en France par une analyse de la voix narrative dans La vie de Jésus, voix qui fait alterner le mode narratif « entre « omniscience » et restriction « de champ », voix enfin dont la gageure est « l’intégration à la version écrite des images d’une « vision » qui enrichit et relance le dialogue avec le lecteur ».

8Jan Beatens revient en 2008 dans un ouvrage intitulé La Novellisation, du film au roman. Lectures et analyses d’un genre hybride, paru aux éditions belges « Les Impressions Nouvelles ». Dans ce livre richement illustré d’affiches de films, de couvertures de livres et de photogrammes en noir et blanc, le corpus français des novellisations cesse d’être donné comme l’exception d’un genre mineur mais comme « variations sur le genre » (p. 97). Il propose en effet, six « microlectures » de cas-limites entre œuvre cinématographique et œuvre littéraire.

9Il commence avec Jeanne d’Arc (de Carl T. Dreyer, novellisation de Pierre Bost)4 et s’intéresse à la transcription de cette œuvre muette. Les Vacances de Monsieur Hulot (film de Jacques Tati, livre de Jean-Claude Carrière)5 constituent le cas le plus classique de la « simple » novellisation. Il s’arrêtera aussi sur les cas d’une renovellisation d’un film lui-même adapté d’une source romanesque (J’irai cracher sur vos tombes, novellisation de Françoise d’Eaubonne)6, de la traduction de la novellisation d’un remake (Breathless — À bout de souffle de Leonore Fleischer)7. Avec La vie de Jésus de Bruno Dumont8, Baetens explore les limites entre novellisation et scénario et enfin, il s’intéresse au cas de l’autonovellisation illustrée dans La part de l’ombre d’Olivier Smolders.

10Son entreprise la plus ambitieuse reste toutefois le premier chapitre « Sur le genre de la novellisation » (pp. 23-97), donné comme une tentative de théorisation du genre et une transcription de son histoire depuis les tous premiers serials au cinéma. Son approche propose une nouvelle orientation pour les questions d’intermédiarité qu’il place « au-delà des études de l’adaptation » (p. 18) dans une introduction-apologie de la novellisation, adaptation créative et non servile par rapport au texte-source. Il ouvre son propos sur les contraintes qui s’opposent à la volonté de reconstruire l’évolution de ce genre.

11À la contrainte relevant du manque d’informations sur les périodes du début notamment, il ajoute « les hésitations terminologiques » (p. 25), mues par une volonté d’éviter les anachronismes en définissant des pratiques éloignées dans le temps, mais aussi la nécessité de délimiter le corpus et enfin les digressions (sociocritique, media studies, etc…) qui dérivent de l’étude de la novellisation et l’écartent des études génériques.

12Ces « premiers jalons d’un historique du genre » tiennent en cinq points :

131. Les origines que caractérise un passage progressif des descriptions de catalogue des œuvres muettes aux « protonovellisations ». Cette pratique était conçue notamment comme « une manière à la fois de sauver les films de l’oubli […] tout en proposant une version littérairement améliorée ou anoblie ».

142. L’âge d’or des « ciné-romans » et des « films racontés ». Cette période se caractérise par une mutation importante de l’industrie cinématographique ; une rencontre que provoque le cinéma avec un genre littéraire connu : le roman populaire. Cette rencontre donnera naissance à un nouveau format cinématographique mais aussi à de nouvelles formes de marketting. Elle donne surtout une nouvelle forme de contamination entre le cinéma et la littérature qui passe du journal au fascicule et se prolonge d’une publication sous forme de livre. Cette période se clora avec l’arrivée du cinéma parlant.

153. A côté du « ciné-roman ». Pendant l’entre-deux guerre, le cinéma-roman n’est pas la seule forme d’adaptation. Les années 20 verront la naissance de variantes à l’ambition plus littéraire. Un clivage nait alors entre deux catégories de novellisation ; l’une adressée à un public très populaire et l’autre à un public de pairs, « c’est-à-dire de lecteurs écrivains et d’écrivains lecteurs » (p. 41).

164. La novellisation à l’âge du « caméra-stylo » et de la politique des auteurs. Il faudra attendre les années de l’après-guerre pour voir le retour de la novellisation, sous différentes formes. Dans les années 50, on retrouve des novellisations qui ont l’ambition d’être « modernes », au niveau de la présentation, mais aussi du ton, du style et du rythme, bien différents de ceux des feuilletons littéraires. L’arrivée de la novellisation Nouvelle Vague s’entoure d’une incertitude profonde sur la stratégie à suivre. On assiste alors à un « véritable saupoudrage des supports novellisants » (p. 48). Toutefois, note Baetens, les chemins de la Nouvelle Vague et de la novellisation vont diverger progressivement.

175. Diversités post-modernes. À la fin des années 70, la novellisation hollywoodienne gagne une part de marché et Baetens note enfin que si de nouveaux mouvements d’échanges entre la littérature et le cinéma restent surement à prévoir.

18C’est en véritable poéticien qu’il tente dans la seconde partie une définition du genre et cela avant de s’interroger sur le statut ambigu des illustrations des novellisations dans une troisième partie assez brève. Il revient alors sur des définitions déjà élaborées et publiées dans la revue Poétique (n° 138, 2004). Baetens part de l’idée que la pratique de la novellisation est multiple, d’où la difficulté voire l’impossibilité de proposer une définition « trop étroite ». Dans sa tentative de dépasser les rapports dichotomiques entre les statuts respectifs du verbal et du visuel, il s’interroge sur celui de la novellisation qui lui semble être un « retour paradoxal de l’écrit », voire « une revanche de l’écrit sur l’image » (p. 69). Il serait pertinent de noter toutefois que plus que d’un paradoxe, c’est d’une duplicité générique qu’il s’agit, voire de la « contamination d’un genre textuel par une pratique visuelle » (p. 69). Il contredit ainsi Gaudreault et Marion9 pour qui toute novellisation se doit d’être indépendante vis-à-vis de son média d’origine, à savoir le film.

19Mais la grande innovation de Baetens réside sûrement dans sa définition de la novellisation comme « anti-adaptation ». Il distingue dans cette perspective et à la lumière des travaux de Brian McFarlane10 la transposition (« transfer ») de l’adaptation proprement dite (« adaptation proper »). Comme dans leur transposition les novellisateurs tentent de réduire au maximum la tension entre médias et les régimes discursifs, Baetens en arrive à la conclusion que « le régime imaginaire que se donne la novellisation est celui du calque, c’est-à-dire du transfert immédiat » (p. 71).

20Baetens clôt sa démarche de poéticien par une troisième partie : « le poème-novellisation ». Il s’agit de « récits de film » de l ‘école de photogénie qui s’appuient sur l’expérience visuelle d’un spectateur de film et constituent donc des récits non-fictionnelles. Il consacre alors dans cette perspective un ultime chapitre au cinéaste-auteur d’A bout de souffle ainsi qu’à son novellisateur Claude Francolin, auteurs tous deux d’œuvres inclassables.

21La conclusion de l’ouvrage tient dans un recensement des ouvres qui peuvent être produites autour d’une œuvre filmique à commencer par les making of jusqu’aux produits dérivés (DVD, etc.). À ces « produits » se sont ajoutées depuis peu les techniques de diffusion sur le web, techniques dans lesquelles la novellisation devrait trouver sa place et sa mission.

22Outre le parcours historique que trace Baetens d’un genre pas très prisé dans les études portant sur la littérature et le cinéma, l’essayiste interroge en véritable poéticien le statut de cet exercice. Les lumières qu’il jette sur la réception des romans « novellisants », et son refus de les traiter comme des œuvres mineures l’inscrivent dans la liste des auteurs et des universitaires, de plus en plus nombreux, à inclure dans les études culturelles la « paralittérature ». Nul besoin d’être spécialiste en adaptation, récits filmiques et autres théories pour apprécier cet ouvrage qui, par son abondante illustration (quoique en noir et blanc) et les lectures singulières que son auteur propose des œuvres étudiées, se laisse lire comme les œuvres qu’il décrit.