Acta fabula
ISSN 2115-8037

2013
Janvier 2013 (volume 14, numéro 1)
titre article
Andréa Rando Martin

Redorer le blason du Perceforest : études sur un roman arthurien

Perceforest. Un roman arthurien et sa réception, sous la direction de Christine Ferlampin‑Acher, Rennes : Presses Universitaires de Rennes, coll. « Interférences », 2012, 463 p., EAN 9782753520738.

1Roman délaissé par les études médiévales des années 50 aux années 90, le Roman de Perceforest est l’objet d’un nouvel engouement. Le recueil d’articles dirigé par Christine Ferlampin‑Acher a été précédé d’un colloque international organisé par le Centre d’Études des Textes Médiévaux du CELLAM (Rennes 2) et affirme dès l’introduction l’intérêt sans cesse croissant des chercheurs pour cette œuvre riche et complexe. Il ressort tout particulièrement de cet ouvrage que les travaux d’édition de Gilles Roussineau et de recherche de Christine Ferlampin‑Acher représentent un apport majeur pour les études sur Perceforest. Après une introduction qui retrace l’évolution des études critiques sur le roman, C. Ferlampin‑Acher rappelle les trois grands points traités pendant le colloque de Rennes et présente la tradition manuscrite du roman. Ce recueil se divise en trois parties : la première examine les différentes sources du roman et leur intégration dans la narration. Une seconde partie, plus thématique, tente de dégager le fond idéologique du roman, tandis que la troisième étudie sa réception à partir du xvie siècle jusqu’à nos jours.

Les manuscrits, les strates & la composition.

2Dès l’introduction, C. Ferlampin‑Acher rappelle la liste des manuscrits de Perceforest qui ont été conservés :

Le manuscrit A : BNF fr. 346‑347‑348 qui correspond aux livres I, II et IV.
Le manuscrit B : BNF fr. 106‑107‑108‑109 qui correspond aux livres I à IV.
Le manuscrit C : Paris, Bibliothèque de l’Arsenal, 12 volumes 3483‑3494, qui est complet.
Le manuscrit E : Londres, British Library, Royal 15 E V, 19 E III et 19 E II qui correspond aux livres I à III.

3Cette énumération s’avère très utile dans la mesure où ce recueil collectif est porteur d’un débat sur la datation de l’œuvre. Une partie des études de cet ouvrage est donc consacrée aux manuscrits, à leurs strates et à leur composition.

4Ainsi, l’article d’Huei‑Chen Li,« L’abréviation et son lien avec la ponctuation dans les versions manuscrites et imprimées du Roman de Perceforest », établit tout d’abord un historique des abréviations dans les manuscrits médiévaux. L’auteur étudie dans les manuscrits B, C, E les différents types d’abréviations propres au Roman de Perceforest. Elle relève plusieurs points communs entre C et B qui les opposent à l’imprimé E, ce qui l’amène notamment à la conclusion que l’imprimé E, version la plus ponctuée et la plus lisible, a été élaboré pour des lecteurs moins érudits que ceux des manuscrits C et B.

5Ces analyses précises des manuscrits permettent d’établir des hypothèses quant à la datation de l’œuvre : le premier article du recueil, celui de Géraldine Veysseyre, « Les métamorphoses du prologue galfridien au Perceforest : matériaux pour l’histoire textuelle du roman », soutient l’hypothèse de l’existence d’un manuscrit de Perceforest du xive siècle qui ne nous serait pas parvenu et qui aurait été remanié au xve siècle. Le Roman de Perceforest s’ouvre sur une traduction de l’Historia Regum Brittaniae (Geoffroy de Monmouth, 1135‑1138) qui lui sert de prologue ; l’analyse de G. Veysseyre s’attache à soulignerles différences de traduction de cette chronique dans les manuscrits A (version brève) et C (version longue) grâce à des comparaisons lexicales, syntaxiques et stylistiques. La mise en perspective de cesobservations avec d’autres traductions de l’Historia Regum Brittaniae (Le Roman de Brut de Jean Wauquelin en 1444 et de Wace en 1155 par exemple) permet de montrer que, malgré des différences notables, les manuscrits A et C sont des traductions proches : il y aurait donc eu un modèle commun à ces deux versions ou une « parenté très étroite des deux rédactions » (p. 61). La traduction « légèrement inappropriée » (p. 60) de detestabilis par « esmerveillable » plutôt que par un calque ne se retrouve par exemple que dans ces deux manuscrits.Une partie de l’article, consacrée à la comparaison de l’épisode de Brutus priant Diane dans les deux manuscrits, permet d’illustrer de façon convaincante cette analyse.

6Défendant la même hypothèse, l’article de Gilles Roussineau propose des « Réflexions sur la genèse de Perceforest ». Après avoir rappelé les arguments de C. Ferlampin‑Acher relatifs à la datation du roman et les avoir réfutésen affirmant l’existence d’un manuscrit antérieur, G. Roussineau relève les différences et les erreurs entre les manuscrits A, B, C et E. Il affirme alors que David Aubert, copiste du xve siècle, n’est pas l’auteur de l’œuvre que nous connaissons aujourd’hui, s’opposant ainsi radicalement à l’affirmation de C. Ferlampin‑Acher. L’article de cette dernière, « La jument Liene dans Perceforest : un galop d’essai de la Bretagne à la Bourgogne », qui suit celui de G. Roussineau, étudie le nom de la jument Liene, au centre d’un épisode concernant le chevalier Estonné. Cet épisode, dont elle examine la portée comique et la dimension carnavalesque, lui permet également de montrer la relation homoérotique entre Estonné et Claudius. En mettant ce passage en parallèle avec celui de Zéphir transformé en cheval, C. Ferlampin‑Acher fait de la jument Liene une figure prototypique du lutin. Quant au nom même de l’animal, qu’elle rapproche du fleuve Liane, il lui permet d’affirmer qu’il y a eu un passage de noms bretons et/ou arthuriens à des noms aux « résonances bourguignonnes »(p. 282). Cependant, ce nom n’étant présent que dans les manuscrits A et B, C apparaît comme une strate « plus authentique et moins fautive »(p. 285). L’auteur, David Aubert, serait donc à l’origine d’une version du Perceforest qui aurait été remaniée en profondeur, jusqu’à aboutir à une œuvre nouvelle. Ainsi qu’il avait été annoncé en introduction, le débat concernant la datation du Perceforest reste « ouvert » et « animé » (p. 12).

Perspectives thématiques

7La question de la datation pose également celle des sources possibles du roman et de son fond idéologique, enjeux qui sont au centre des études thématiques de ce recueil.

8Placé avec justesse après l’analyse du prologue de Perceforest, l’article de Noémie Chardonnens, « De l’apocryphe à la fiction : l’intégration de l’Évangile de Nicodème dans le Perceforest », étudie la fin de l’œuvre. L’auteur évoque d’ailleurs explicitement le lien entre l’apocryphe final et l’Historia Regum Brittaniae : la traduction de l’Évangile de Nicodème, ive siècle, tout comme celle de l’Historia, est remarquablement proche de la version originale, ce qui fait de ce roman une « figure d’exception » (p. 33) selon G. Veysseyre, puisque les traductions dans d’autres romanss’en éloignent davantage. Mais N. Chardonnens souligne le fait que leur intégration dans le récit est comparable aux techniques narratives du Lancelot et du Tristan en prose « en faisant prendre en charge ces récits analeptiques par un personnage secondaire s’adressant à un personnage central » (p. 89). L’étude de la structure de l’Évangile de Nicodème met en évidence deux types d’intégrations dans le Perceforest : complète, où la référence au texte est complètement absorbée par le roman (c’est le cas pour la fiction arthurienne) et partielle pour l’Évangile de Nicodème. Il s’agit en fait de montrer la coexistence du roman avec un texte antérieur : la citation devient alors un exemple d’autorité. Ce changement entre les deux types d’autorité, l’un païen, l’autre chrétien, met en évidence la christianisation du roman.

9Cependant, un personnage issu des romans arthuriens semble poser problème : celui de Morgane, personnage à la fois proche et différent de celui de la tradition arthurienne. C’est sur cette fée qui n’apparaît qu’à partir du livre IV du Perceforest que se concentre une partie de l’article d’Anne Berthelot sur « La généalogie comme système herméneutique ». En effet, l’étude du lien entre Zéphir et Merlin, et plus largement de la mise en place d’une généalogie des personnages arthuriens dans Perceforest, souligne le caractère problématique de cette fée : en dehors de la généalogie, elle forme, avec Zéphir, le couple fondateur, celui qui est à l’origine des lignées de chevaliers qui donneront naissance aux héros arthuriens. C’est elle qui explique à Zéphir comment faire de Passelion l’ancêtre de Merlin, elle encore qui maudit cette lignée après que Passelion a outragé sa fille. Le couple Morgane/Zéphir crée alors une généalogie fictionnelle aux romans arthuriens aussi bien dans le cas de personnages aux origines incertaines (comme Ygerne ou Guenièvre) que dans celui de chevaliers au lignage connu. La question de l’intégration complète des sources dans le roman se pose toujours, et c’est ce à quoi tentent de répondre d’autres articles comme ceux d’Emese Egedi‑Kovacs et de Christopher Lucken, qui traitent tous deux du passage consacré à Troÿlus et Zellandine. Le premier opère un rapprochement entre le personnage féminin de Zellande/Zellandine et celui de Néronés. L’une correspondrait au motif de la belle endormie et l’autre à celui de la vivante ensevelie, et c’est pour démontrer qu’il s’agit bien de motifs littéraires que E. Egedi‑Kovacs, dans « Néronès la “vivante ensevelie”, Zellandine la “belle endormie” », établit une comparaison entre le Roman de Perceforest et d’autres romans de la littérature française (Eliduc, Amadas et Ydoine, Cligès) ou occitane (Frère de Joie et Sœur de Plaisir, Blandin de Cornouailles). Prenant comme point de départ une comparaison de C. Ferlampin‑Acher entre l’épisode de Troÿlus et Zellandine et le Roman de la Rose, C. Lucken utilise cette « somme du discours amoureux médiéval »(p. 119) pour approfondir l’analyse de l’épisode du Perceforest et rechercher d’autres sources, particulièrement dans la tradition antique dans son article « Narcisse, Pygmalion et la belle endormie, l’histoire de Troÿlus et Zellandine, une réécriture du Roman de la Rose ». L’influence du discours amoureux médiéval est particulièrement remarquable dans le livre V comme le souligne Michelle Szkilnik (il faut du reste signaler l’intérêt d’une telle étude qui met en valeur un livre édité en 2012 et encore peu étudié), qui montre, dans « La casuistique amoureuse dans le livre V de Perceforest », que le récit est une mise en pratique de la théorie amoureuse. Son analyse fait le lien entre les proverbes, énoncés sentencieux et lediscours d’un personnage spécifique : le personnage inscrit son cas particulier dans le discours amoureux général avant de prendre une décision. Le discours amoureux étant l’occasion de montrer la courtoisie et la chevalerie d’un personnage, il est révélateur du fond idéologique du roman. C’est à sa richesse et à sa complexité que sont consacrées les études de Cécile Le Cornec‑Rochelois et Catalina Girbea. À partir des différentes hypothèses de datation du Perceforest,C. Girbea établit un lien entre héraldique réelle et imaginaireet cherche des correspondances entre les armoiries des chevaliers du Franc Palais et celles des hommes des cours de Bourgogne, de France et d’Angleterre. Elle analyse ensuite plus précisément le rapport entre pratique héraldique et féminité ainsi que le rôle politique de la femme dans le Roman de Perceforest. C. Le Cornec‑Rochelois, quant à elle, utilise pour son étude « Des poissons mythiques à l’ichtus divin dans Perceforest » deux épisodes qui s’inscrivent dans le mouvement général de christianisation du roman : celui de Béthidès et des chevaliers poissons et celui de la Fontaine Venimeuse. Elle établit un parallèle entre l’épisode de Béthidès et le château du Graal, ce qui inscrirait momentanément le fils de Perceforest dans un épisode chrétien avant même l’avènement du christianisme. Cet épisode, qui ne peut pas être explicitement chrétien, serait alors une allusion à la christianisation future de la Grande Bretagne.

10C’est sur la progression du roman justement que Brooke Heidenreich Findley et Sandrine Hériché centrent leurs études de l’évolution du paysage dans le Roman de Perceforest. Le premier article montre que la disposition des jardins et des monuments, construits et entretenus par les femmes de la forêt, constituent une extension symbolique du corps des dames, qui prennent soin de leur environnement comme de leur personne. Ces monuments, élevés pour célébrer les exploits des chevaliers, sont très étroitement liés au changement d’identité chevaleresque. Ainsi, lorsque Perceforest, malade, n’assure plus son rôle de monarque, la statue équestre à son image qui célébrait sa victoire sur l’enchanteur Darnant figure un homme mort. La sculpture est donc à la fois un changement dans le paysage et dans la représentation du souverain. Dans le second article sur « La vérité des lettres : inscriptions labiles et chiffrement dans le Perceforest », S. Hériché étudie les inscriptions changeantes apparaissant sur les monuments. Celles‑ci représentent la mémoire de l’histoire politique de Bretagne : elles annoncent notamment la destruction et la reconstruction du royaume. Elle note également une multiplication de ces inscriptions labiles au livre IV, qui raconte une période d’instabilité politique, de guerre, de destruction et de reconstruction du royaume de Grande Bretagne.

11Ces différents mouvements du roman, la multiplication des personnages et des épisodes, laissent deviner une structure complexe et riche, et c’est à la technique narrative de d’entrelacement que Damien de Carné consacre son article, afin de montrer qu’elle est un « efficace système de balisage » (p. 225) du texte. Même s’il ne prétend pas en faire une description complète dans le cadre restreint d’un article, il étudie successivement les seuils formulaires qui présentent un « seuil de sortie » et un « seuil d’entrée » (l’un pour clore le chapitre précédent, l’autre pour contextualiser le nouveau chapitre), les segmentations et l’organisation séquentielle. Cette étude permet alors de mettre en évidence la particularité des formules de Perceforest par rapport à celles des romans du xiiie siècle et d’isoler le roi Perceforest et le couple Lidoire/Gadiffer, les deux grands pôles du récit. Ainsi, tout en montrant les perspectives d’études que laisse entrevoir la complexité de l’entrelacement, D. de Carné étudie quelques particularités de sa structure et de son organisation.

12Les éléments qui structurent le récit sont au centre de certains articles comme celui d’Anne Delamaire « Le roi s’amuse : célébrations officielles et divertissements privés dans le Roman de Perceforest », qui étudie le rôle structurant des fêtes ainsi que leur rôle politique. Il s’agitde montrer la différence entre divertissements privés et officiels. La fête privée permet de montrer de grands personnages (la Reine Fée, le roi d’Ecosse, Alexandre) en dehors de leur rôle de souverain : c’est l’amusement qui prime. Si pour se divertir le monarque doit organiser des repas privés, réservés à un petit nombre de convives, c’est justement pour permettre une construction de la figure du souverain lors des fêtes officielles. Corinne Denoyelle étudie plus précisément les conversations dans ces célébrations, d’un point de vue formel et thématique, en montrant l’intégration du récit des aventures des chevaliers dans la narration et en montrant de quelle façon ces célébrations structurentle récit dans les « Belles assemblées et joyeuses veillées dans le Perceforest, structure formelle et thématique des conversations festives ».

13Ces études sur la structure même de l’œuvre permettent d’en montrer la complexité et l’intérêt et viennent contredire les affirmations considérant Le roman de Perceforest comme une « œuvre médiocre sans doute quant à la forme », comme l’affirme Edmond Pognon dans son compte rendu sur l’ouvrage de Jeanne Lods Le roman de Perceforest. Origine. Composition. Caractères. Valeur et influence1.

Réception de l’œuvre

14Il faut cependant signaler que Perceforest n’a pas toujours été une œuvre obscure ou déconsidérée. Au contraire, le recueil insiste sur un point : l’engouement que le roman a suscité à la Renaissance, à une période où l’on se désintéresse pourtant des romans de chevalerie. C’est pourquoi la troisième partie de l’ouvrage est presque entièrement consacrée à la réception de Perceforest.

15Sophie Albert, dans « Les souvenirs de Perceforest dans le manuscrit de Paris BnF fr. 363 », s’intéresse à la reprise d’éléments du Perceforest dans un manuscrit rédigé vers 1470. L’épisode du chevalier Lucanor comporte une référence à un descendant de l’enchanteur Darnant mais celui‑ci ne peut plus être rapproché d’un personnage de Perceforest. Au cours de leurs aventures, Boort et Lionel rencontrent les descendants d’Estonné, protégés par Zéphir, et l’évocation de ces événements est faite en imitant le style de Perceforest, ce qui montre une bonne connaissance du roman. Il y a un point commun entre ces deux épisodes : les références à Perceforest apparaissent lorsque les chevaliers sortent du chemin ; leurs aventuresne sont donc que des « excursus du récit » (p. 296). Ces références allusives à Perceforest s’expliquent par le fait que les personnages du roman sont morts au moment où se déroule l’action du manuscrit 363 : ils ne peuvent donc intervenir directement. Ainsi, Lancelot ou le Tristan en prose sont bien plus présents. Malgré cela, cette reprise du style de Perceforest montre bien à quel point l’œuvre a pu susciter de l’engouement à la cour de Bourgogne.

16Denis Hüe étudie lui aussi la réception du Perceforest au xve siècle mais à partir d’un autre auteur, Meschinot,et du motif de l’une de ses ballades, la table d’Honneur : les plus vaillants sont invités à une réunion présidée par Honneur et d’autres allégories comme Raison et Vérité.Il établit alors un parallèle entre cette table et celle du Franc Palais qui serait une source possible du motif de Meschinot. Cette comparaison s’appuie sur une définition de ce que doit être la valeur morale et guerrière du chevalier à la fois chez Meschinot et dansPerceforest,ce qui peut laisser penser que le premier s’est inspiré du second. L’imaginaire de Perceforest à l’œuvre chez Meschinot, montre alors l’influence qu’a pu avoir ce roman au xve siècle.

17L’un des signes de ce succès, souligné par D. Hüe, est l’impression de Perceforest en 1531, alors même que le roman de chevalerie est délaissé par les lecteurs de la Renaissance. C’est pourquoi Alexandra Hoernel étudie en détail ce cas remarquable de réception à travers trois réécritures. Dans la première, les Contes Amoureux, on trouve non seulement une réécriture des amours de Troÿlus et Zellandine, mais aussi une réutilisation métaphorique du pouvoir de la Beste Glatissant attribué aux yeux d’une jeune femme. Cette référence semble avoir une « fonction quasiment publicitaire »(p. 320) puisque l’éditeur des Contes Amoureux est aussi celui du Chevalier Doré qui raconte entre autres aventures comment Nestor vint à bout de la Beste Glatissant. Les Contes Amoureux renvoient donc, par cette réutilisation de la caractéristique de la Beste, non seulement à Perceforest mais aussi à la réimpression du Chevalier Doré. La seconde réécriture, l’Ancienne chronique de Gérard d’Euphrate, opère un rapprochement intéressant entre Mélusine et Perceforest par l’établissement d’une généalogie fictionnelle. La mère de Mélusine serait ainsi une descendante d’Estonné placée sous la protection de Zéphir. Ce rapprochement avec le roman mélusinien est d’autant plus intéressant qu’il est cohérent avec le mouvement général de christianisation de Perceforest. Enfin, A. Hoernel en vient à comparer le personnage éponyme du roman d’Alector à celui du jeune Passelion. Cette étude montre que certains éléments du Perceforest ont fait l’objet d’une fascination particulière au xvie siècle.

18De cette façon, l’article de Jane H. M. Taylor, « Profiter du Perceforest au xvie siècle : La plaisante et amoureuse histoire du Chevalier Doré et de la pucelle surnommée Cœur d’Acier »poursuit la réflexion d’A. Hoernel sur la réception du Perceforest, puisqu’il étudie les différentes éditions des épisodes du Chevalier Doré, en les comparant aux épisodes dans lesquels il apparaît dans l’édition de G. Roussineau. Les différentes impressions de l’histoire de Nestor et Néronès prouvent le succès du roman à la Renaissance. On notera un exemple particulièrement frappant et qui apparaît rarement dans les études sur la réception de Perceforest : l’adaptation du chevalier doré dans une pièce de théâtre londonienne du xvie siècle (Clyomon and Clamydes, 1599).

19Mais ces éditions du Chevalier Doré sont confrontées à un problème : les épisodes qui lui sont consacrés sont disséminés dans l’œuvre et il faut donc déconstruire le savant et complexe entrelacement du Perceforest pour parvenir à restituer l’ensemble de l’histoire de Nestor. Ainsi, si D. de Carné a étudié cet entrelacement, Marie‑Dominique Leclerc analyse la façon dont les éditeurs l’ont déconstruit. Elle relève alors les éléments qui sont ôtés de cette compilation : les chevaliers aux douze vœux ou encore les aventures du jeune Gadiffer, frère aîné de Nestor. Après une très longue citation du résumé que G. Roussineau consacre à la vie du Chevalier Doré, M.‑D. Leclerc relève plusieurs motifs importants : ceux‑ci sont issus d’une tradition littéraire antérieure ou connaîtront eux‑mêmes une longue postérité. Cependant, il est dommage que ces motifs soient seulement énumérés et brièvement traités en notes.

20Après le xvie siècle, le succès du Perceforest décroît, à en juger par son traitement dans la Bibliothèque universelle des Romans (1775‑1789),comme le montre Fanny Maillet dans « Perceforest démantibulé dans la Bibliothèque universelle des romans : des noms, douze vœux, un lai ». En effet, le Roman de Perceforest se présente comme une chronique et la Bibliothèquelui reproche ses incohérences et anachronismes. Il est donc classé dans les romans de chevalerie au xviiie siècle, ses épisodes sont morcelés, certains mis en avant comme les amours de Sébille et d’Alexandre, d’autres supprimés (les aventures de Perceforest lui‑même sont délaissées). Fait remarquable, la réédition de L’Histoire du Chevalier Doré est classée par la BUR à part du Perceforest et sans qu’il soit jamais fait mention du lien entre les deux œuvres.

21Ce succès du Perceforest en France est donc tel qu’il est traduit et imprimé en italien. C’est à cette édition que se consacre Francesco Montorsi dans « Le Parsaforesto et son contexte éditorial » : le roman est édité avec les caractéristiques typographiques d’un recueil de nouvelles espagnoles et connaît plusieurs adaptations pour son nouveau public. Si l’on retrouve la « fragmentation structurale »(p. 400) du roman, de nombreuses parties ont été simplement laissées de côté par le traducteur ou bien modifiées pour s’adapter plus aisément à la morale catholique : la relation entre Alexandre et Sybille par exemple devient plus chaste, l’épisode d’Estonné et du sabbat des sorcières est supprimé.

22Enfin, après une traduction italienne au xvie siècle, une traduction partielle en anglais en 2011 par Nigel Bryant, Stéphane Marcotte réfléchit à l’opportunité d’une traduction de l’œuvre du moyen français au français moderne. Il s’agit avant tout de déterminer si, pour un public non aguerri, la différence entre les deux langues peut empêcher la lecture du texte. Il s’avère que ce sont les graphies, la morphologie verbale et les formes dialectales qui pourraient rebuter le lecteur moderne. Plutôt qu’une traduction du texte, qui risquerait selon S. Marcotte de le « normaliser » (p. 437), de lui faire perdre sa poésie et de creuser davantage le fossé entre moyen français et français moderne en les présentant comme deux langues distinctes, il s’agirait plutôt de retranscrire la graphie et la morphologie verbale et d’accompagner la lecture par des notes de bas de page.

23Les perspectives de ce recueil dégagées par C. Ferlampin‑Acher mettent en évidence ce que les différents articles ont apporté à la recherche de Perceforest mais surtout montrent que ces études ouvrent la voie à de nouvelles analyses et laissent apparaître de nombreux champs à explorer. En ce qui concerne l’étude de ses manuscrits, il apparaît que les C et D mériteraient d’être plus précisément comparés, et que la vaste analyse de l’entrelacement entreprise par D. de Carné doit encore être développée (développement que l’auteur de l’article prévoit d’ailleurs dès son introduction). Quant aux études thématiques, il manque encore une définition de la façon dont le roman est un miroir des princes et du chrétien ainsi qu’une synthèse sur les développements amoureux abordés par M. Szkilnik. Enfin, si F. Montorsi a consacré un article au Parsaforesto, une étude reste à faire sur la version espagnole du Roman de Perceforest. Ces perspectives montrent, tout comme les articles de ce recueil, combien l’étude de Perceforest offre de perspectives de recherche et justifie l’engouement grandissant pour ce roman qu’illustre C. Ferlampin Acher grâce à une citation finale de F. W. V. Schmidt : « Le temps viendra tôt ou tard où l’on partagera notre enthousiasme et notre admiration pour le roman de Perceforest » (p. 442). Ainsi, si Perceforest est encore méconnu du grand public, de telles études, en éclaircissant son sens et en montrant la richesse de son texte, permettent d’espérer la réalisation prochaine de la prédiction de Schmidt.