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L’isomorphisme des savoirs: projections de la science dans la littérature XXe-XXIe s. (Bucarest)

L’isomorphisme des savoirs: projections de la science dans la littérature XXe-XXIe s. (Bucarest)

Publié le par Université de Lausanne (Source : Borja Mozo Martín (Université de Bucarest))

Appel à communications

L’isomorphisme des savoirs : projections de la science dans la littérature (XXème – XXIème siècles)

Colloque international - Université de Bucarest (10-11 mai 2019)

L’unification des savoirs (religion, philosophie, sciences) cultivée par les penseurs de l’Antiquité dans la perspective d’une révélation ou d’une contemplation de l’essence éternelle de l’univers qui aboutirait à son tour à la purification de l’âme, a souvent été symbolisée par l’image du dieu Janus bifront, dont les visages incarneraient les deux voies de la connaissance: la première étant précise et objective, la deuxième, mythologique et intuitive (Arthur Koestler, The Sleepwalkers: A history of man´s changing visión of the Universe, 1959: 21). La séparation et la spécialisation des savoirs, qui survint ultérieurement comme étant la condition indispensable au développement de la science moderne, semble avoir connu dès le début du XXème siècle un mouvement pendulaire de retour vers l’unification transversale des domaines épistémiques, redevable en grande mesure de la centralité de l’esthétique et du discursif dans la pensée contemporaine (Christine Baron, La pensée du dehors, 2007).

Depuis la dernière des grandes controverses autour des transferts épistémologiques entre les humanités et les sciences, suscitée par la dénonciation des « impostures scientifiques » donnant corps, selon Alan Sokal et Jean Bricmont (Impostures intellectuelles, 1997),  aux appareils conceptuels déployés par certains représentants de la pensée poststructuraliste française, les ponts tendus depuis l’une et l’autre rive afin de rapprocher les deux champs du savoir n’ont eu de cesse de se multiplier. Tout porte à croire que le nouveau millénaire a enterré une bonne fois pour toutes ce paradigme des deux cultures qui donna lieu à tant de débats tout au long du XXème siècle, et ceci au nom d’un nouvel humanisme, voire d’une remise en question des principes mêmes de l’humanisme. De nombreux penseurs, dont Francisco Fernández Buey (Para la tercera cultura, 2013) s’accordent ainsi à observer dans cette reconfiguration de l’ordre épistémique l’avènement d’une troisième culture, expression rendue célèbre par l’agent littéraire John Brockman à partir des postulats de C. P. Snow et qui fait état d’un réinvestissement de la notion de réel, ainsi que des moyens mis en œuvre pour l’appréhender.

La théorie littéraire a joué un rôle fondamental dans cette atténuation du partage ontologique et institutionnel —autrefois incontournable— entre les domaines du savoir à partir du moment où elle a entrepris de revendiquer la spécificité de la littérature en tant que moyen de connaissance, en même temps qu’elle proclamait l’importance de celle-ci dans la configuration des processus épistémiques. Dans ce sens, la contribution de la Literaturwissenschaft, de l’herméneutique littéraire de Hans-Georg Gadamer ou de Paul Ricoeur, des théories de la fiction de Jean-Marie Schaeffer, de l’épistémologie de Jacques Bouveresse, de la poétique cognitive ou de l’épistémocritique à la mise en place de ce que Christine Baron (2009 : 9) décrit comme une « constante négociation » entre discours littéraire et discours scientifique ne saurait être discutée.

De ce point de vue, l’approche épistémocritique inaugurée dans l’espace francophone par Michel Pierssens (1990) place la littérature dans un rapport de proximité et de réciprocité vis-à-vis de l’activité épistémique, et notamment —quoique pas exclusivement— de l’activité scientifique. Le champ d’étude de l’épistémocritique englobe aussi bien les formes que les structures narratives et figuratives susceptibles d’être adoptées par le discours scientifique ; dans le cas de la littérature, elle s’intéresse, entre autres, à la présence de sous-textes et d’intertextes d’ordre scientifique ou technologique dans la construction des univers de fiction. Contrairement à une idée largement répandue, l’analogie ne constitue pas le seul recours dont dispose l’écriture lorsqu’il s’agit de recodifier en termes littéraires un certain phénomène relevant du domaine scientifique. En leur qualité de dispositifs de symbolisation lingüistique, il peut certes arriver aux figures littéraires d’opérer en tant qu’agents de transfert permettant l’inscription d’un savoir dans le texte. Or, à considérer les projections littéraires de la science uniquement comme un transfert à sens unique et dans une perspective mimétique, on risquerait de passer outre la complexité et la richesse de cette interaction entre savoirs scientifiques et savoirs littéraires. Sous ce prisme, la littérature est souvent reléguée à une position subsidiaire par rapport à des phénomènes qu’elle ne pourrait qu’aspirer à appréhender par le biais de la représentation ou auxquels elle parviendrait éventuellement à attribuer un sens. Ces phénomènes ayant été préalablement appréhendés —voire même configurés— par la science, la figuration littéraire se poserait d’emblée comme une représentation seconde, ou si l’on préfère, comme une refiguration.

La frontière entre le littéraire et le scientifique constitue un espace epistémologique dont l’ampleur et la porosité restent encore à explorer; un espace habité par tout un réseau de connexions et de projections réciproques: projection de la littérature en tant que science, projection de la littérature dans la science, projection de la science dans la littérature, projection de la science en tant que littérature. Un espace partagé dans lequel il deviendrait possible pour l’une et l’autre d’inverser leur statut et leurs limites en tant qu’observatrices d’une réalité qui les précèderait (ne demandant de ce fait qu’à être déchiffrée), et d’être enfin prises en compte en tant qu’instances signifiantes donnant forme à notre univers empirique.

Les répercussions d’une partie non négligeable des considérations précédentes se manifestent souvent dans le métadiscours employé pour justifier le besoin d’un rapprochement entre les disciplines scientifiques et humanistes. Comme l’indiquent Amelia Gamoneda et Francisco González Fernández dans l’introduction au numéro récent de la revue Épistémocritique (2017) consacré au domaine hispanique, la métaphore spatiale (figurée tantôt par le pont, tantôt par la frontière, le territoire, le nœud, etc.) revient de façon récurrente dans les problématisations des rapports entre les sciences et les humanités. De son côté, González Fernández évoque dans la préface de Esperando a Gödel: Literatura y matemáticas (2011) le Pont des Arts de Paris, construction emblématique qui, force nous est de le rappeler, relie le Musée du Louvre et l’Académie des Sciences. Il reprend ainsi à son compte la conception heideggérienne de ce type de constructions en tant que vecteurs de visualisation, symbolisation, unification et transformation, autant dire de création de l’espace. Toujours dans le sillage de la phénoménologie, le philosophe espagnol José Ortega y Gasset voyait dans l’emploi de la métaphore un instrument épistémologique de tout premier ordre qui, en rapprochant la poésie de l’exploitation scientifique («Las dos grandes metáforas», 1924), est en mesure de donner le jour à un objet nouveau, imprégné de cette subjectivité issue de la conscience du moi créateur.

Le développement des disciplines cognitives à partir des années 1980 a mis en évidence non seulement que ce pont reliant les deux rives s’avère le lieu d’un échange réciproque, mais également que sa fonction ne revient pas tellement à mettre en rapport deux espaces existant d’avance, mais plutôt à configurer un lieu qui, jusqu’à ce moment-là, n’existait pas en tant que tel. De sorte que le fleurissement d’un troisième domaine épistémique pourrait être conceptualisé comme la génération d’un espace intégré à partir d’une série de projections conceptuelles entre des domaines préétablis du savoir et de l’expérience (Pilar Alonso, A Multi-dimensional Approach to Discourse Coherence, 2014: 137). Les fusions conceptuelles articulant la pensée scientifique font ainsi de toute découverte scientifique un acte créateur dont l’imagination est un facteur décisif (Laurence Dahan-Gaida, “El efecto “Eureka” en la ciencia y en la literatura (siglos XIX-XXI)”, 2018). Comme l’a bien montré Mark Turner (The Literary Mind, 1996), il serait certes réducteur de concevoir la pensée littéraire comme une modalité de pensée séparée de la pensée scientifique, étant donné que la pensée littéraire se trouve à l’origine de toute pensée. Sur le plan discursif, la poétique et la narratologie cognitives s’occupent principalement des structures narratives à l’œuvre dans le cerveau humain, autrement dit, elles visent à expliquer la façon dont les individus engendrent et restent fidèles à un certain nombre de modèles narratifs au moment d’observer et de représenter le monde empirique. L’intentionnalité du sens et l’effet produit par ces structures mentales se situent au cœur des recherches menées au cours de ces dernières années dans plusieurs domaines allant de la philosophie de l’art (James Grant, 2011) jusqu’à la neuroesthétique (David S. Miall, 2009) et la lecture incarnée (Marielle Macé, 2011; Pierre-Louis Patoine, 2015).

Le colloque L’isomorphisme des savoirs: projections de la science dans la littérature (XXème-XXIème siècles) propose une approche théorique interdisciplinaire situant au premier plan les contributions récentes de l’épistémocritique et de la théorie cognitive du langage figuratif et du discours dans la perspective d’instaurer, dans un cadre hispanique et international, un dialogue entre ces deux courants théoriques.

Les communications et les échanges ayant lieu au cours du colloque fourniront matière à la publication en 2020 d’un ouvrage collectif.

Le comité d’organisation invite les participants à développer leurs réflexions autour des axes suivants:

1. La figuration de théories ou de découvertes scientifiques dans les textes littéraires. Science et narrativité: le discours littéraire des sciences. Les homologies structurales entre discours littéraire et discours scientifique. Le langage figuratif et la métaphore dans le discours scientifique.

2. La problématisation dans les textes littéraires de la théorie littéraire en tant que science de la littérature. La littérature en tant que moyen d’expression de la cognition et des savoirs. Littérature et neurosciences. Neuroesthétique et lecture incarnée.

3. Littérature et philosophie de la culture. Actualité des études épistémocritiques et de poétique cognitive.

 

Conférences plénières: Christine Baron (Université de Poitiers), Pilar Alonso (Universidad de Salamanca), Amelia Gamoneda (Universidad de Salamanca), Francisco González Fernández (Universidad de Oviedo).

Langues de communication: espagnol, français, anglais.

Site web du colloque: https://literaturaysaberes2019.wordpress.com/

Contact et envoi des propositions: literaturaysaberes2019@gmail.com

Les propositions de communication pourront être envoyées jusqu’au 31 janvier 2019. Elles seront assorties des informations suivantes: nom de l’auteur, université ou centre de rattachement, titre de la communication, résumé (250-300 mots), 5 mots-clés et une brève notice bio-bibliographique. Le comité scientifique tiendra compte de la concordance des propositions envoyées avec les axes du colloque, de la méthodologie employée, ainsi que de l’actualité des problématiques envisagées.

Réponse du comité scientifique: 15 février 2019

Frais d’inscription: Intervenants – 80 €; Doctorants – 50 €

 

Comité scientifique

Sanda Reinheimer Ripeanu (Universitatea din Bucureşti)

Mianda Cioba (Universitatea din Bucureşti)

Christine Baron (Université de Poitiers)

Antonio Barcelona (Universidad de Córdoba)

Laurence Dahan-Gaida (Université de Franche-Comté)

Amelia Gamoneda (Universidad de Salamanca)

Pilar Alonso (Universidad de Salamanca)

Francisco González Fernández (Universidad de Oviedo)

María Luisa Guerrerro Alonso (Universidad Complutense de Madrid)

Esther Sánchez-Pardo (Universidad Complutense de Madrid)

Vicente Luis Mora (EADE, Málaga)

Mihai Iacob (Universitatea din Bucureşti)

Ion Manolescu (Universitatea din Bucureşti)

Anne-Cécile Guilbard (Université de Poitiers)

Germán Labrador Méndez (Princeton University)

Melania Stancu (Universitatea din Bucureşti)

Borja Mozo Martín (Universitatea din Bucureşti)

Comité d’organisation

Melania Stancu

Borja Mozo Martín