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Lire par la voix d'un autre. Lecture publique et émotion littéraire (Rouen)

Lire par la voix d'un autre. Lecture publique et émotion littéraire (Rouen)

Publié le par Marc Escola (Source : Bérengère Voisin)

Cycle Émotions Littéraires : observatoire des pratiques contemporaines

LIRE PAR LA VOIX D’UN AUTRE

Lecture publique et émotion littéraire

Colloque 30 et 31 mars 2017

Rouen

Organisateurs :

Aurélie Mouton-Rezzouk, Université de Paris 3 − Sorbonne Nouvelle

Arnaud Rykner, Université de Paris 3 − Sorbonne Nouvelle

Bérengère Voisin, Université de Paris 8 − Vincennes-Saint Denis

Marianne Clévy, Festival Terres de Paroles

 

Avec cette troisième étape du cycle « Émotions littéraires : observatoire des pratiques contemporaines », nous nous proposons de nous pencher sur la mise en voix du texte littéraire dans l’espace public, de nous intéresser aux pratiques contemporaines de la lecture publique, aux cadres esthétiques, culturels, institutionnels au sein desquels elles se déploient aujourd’hui, et aux émotions, singulières et collectives, qu’elles génèrent, appellent, inhibent ou exaltent - et dont elles jouent.

Si la lecture, aujourd’hui, est avant tout solitaire, passés le temps de l’école et de la lecture à voix haute, et celui de l’enfance et de la lecture du soir, il convient que nous nous interrogions sur ce que produit, à la fois sur le texte, et sur le lecteur/auditeur, la dimension collective de la lecture, au regard d’une histoire longue de la lecture à haute voix, et/ou du récit public, dans l’espace public comme dans l’espace familial, voire à distance – que l’on songe au lectures radiophoniques, au livre audio. De l’intimité d’un rapport au texte à la publicité d’une écoute collective, l’émotion, sans doute, change de nature, de source, comme de manifestations. Institutionnalisée, partagée, programmée en un certain lieu et à une certaine heure, l’expérience de lecture s’inscrit sans doute davantage dans le tissu de la vie collective, et l’événement prend la forme d’une convocation, qui ouvrirait, dans le flux d’une vie singulière, comme dans l’espace de la cité, une brèche offerte à l’irruption de la littérature. 

L’enquête peut donc porter du côté des spectateurs-auditeurs, de ce qui motive la participation à la lecture publique, et des attentes qui s’y manifestent. Le désir consubstantiel de retrouver un texte et de trouver une lecture, laquelle prolongerait, accompagnerait, ferait durer2 une émotion première, tout en la renouvelant? Il s’agirait alors d’une lecture seconde, d’une relecture, qui aurait pour mission de réinterpréter, au sens quasi musical, le texte – quelles en sont les conséquences, les enjeux, les raisons ? Dans quelle mesure l’interprétation peut-elle jouer de, ou jouer contre, les lectures antérieures, personnelles, avérées ou fantasmées ? Quelles résistances la lecture par la voix d’un autre suscite-telle ? Peut-être l’inverse serait-il aussi vrai, attrayant, plein de promesses : découvrir un texte et retrouver une voix, une manière de lire ; serait-on davantage prêt à entendre quelque chose de nouveau, d’inconnu, en marge de ses aspirations, de ses habitudes, de ce qui nous est familier, que dans le cadre d’une lecture privée ? Enfin, si cette expérience singulière est également collective, il convient de chercher ce qui fait auditoire – ou communauté de lecteurs. S’agit-il, pour chaque lecteur/auditeur, de s’immerger dans un groupe, de vivre réellement physiquement et sensoriellement une expérience artistique, de la partager – et si oui, comment ? Pourrait-on parler, alors, d’une lecture extime ? Collective, l’écoute est également soumise à parasitages – sonores, visuels, certes, mais plus profondément encore, résultant de cette altération du texte par la voix, la présence, et l’oreille d’autrui. 

Du côté des organisateurs, commanditaires et programmateurs, comment pense-t-on cette mise en scène de la lecture ? Et à quoi peut-elle tenir, cette émotion littéraire « publique » ? Estelle déterminée par un corpus, des textes, des genres, des thématiques privilégiées, susceptibles de la faire surgir ? Y a-t-il des textes illisibles (à voix haute, en public), inprogrammables, ou, au contraire, propices au saisissement de l’assemblée des auditeurs, à l’émotion collective, à l’enthousiasme littéraire ? Y a-t-il de bons ou de mauvais lieux où lire, comme il y a de « bonnes » salles, et des espaces rétifs, de bons, ou de moins bons moments ? Et inversement : qu’est-ce qui fait un « bon », ou un mauvais auditoire ? Singulièrement, pourquoi des lieux comme les théâtres, a priori si rétifs aujourd’hui à l’emprise exclusive du texte, et aux plaisirs intimes et immobiles de la lecture, sont-ils aujourd’hui si souvent convoqués par ces pratiques ? Corrélativement, du côté des auteurs : quelle place prend la lecture publique dans les processus de création, mais aussi de valorisation, voire de promotion d’un texte ? On peut également interroger la lecture publique comme forme artistique, en particulier au regard des autres formes d’interprétation du texte littéraire (la transposition, l’adaptation scénique ou cinématographique, voire chorégraphique) – en particulier lorsque la lecture se fait petite forme, légère, parfois préparatoire – et parfois sommaire – du spectacle vivant : si les enjeux économiques méritent d’être relevés et questionnés, les enjeux esthétiques méritent également d’être considérés pour eux-mêmes, lorsque, privée de la plupart des ressources et des possibilités propres à l’espace scénique contemporain, dans des conditions de visibilité souvent sommaires, l’interprétation tient exclusivement à la voix du lecteur. On s’intéressera donc également à la place croissante laissée à la lecture dans la programmation théâtrale, dans un continuum indécis avec des formes spectaculaires ; à quelles conditions passe-t-on de l’écoute d’un texte à une position de spectateur ?

Et c’est donc naturellement que nous nous tournerons aussi du côté des interprètes, ou “porteurs” de texte : à quoi donc tient une bonne, ou une mauvaise lecture ? Quelles techniques, quelles stratégies sont dès lors mises en œuvre ? Dans quelle mesure la co-présence même des corps, celui du comédien, ceux des auditeurs, constitue-t-elle un appui, ou un obstacle, au rapport au texte ? Quelles sont les limites de ce que l’on peut faire subir à un texte – pour autant que la lecture s’inscrive dans un cadre littéraire (la librairie, le festival), et non spectaculaire ? Quelle part est 3 laissée aux artistes, à quelles contraintes répondent-ils ? Le choix d’extraits, par exemple, inhérent à la possibilité du lire en spectacle (quoiqu’on trouverait des exemples contraires), fonctionne-t-il comme une limite, ou comme un “exhausteur” ? On pourra enfin examiner la lecture publique au regard des théories de la lecture et de la réception. Car écouter autrui lire, est-ce encore lire ? En quoi la lecture à voix haute, publique, peut-elle passer pour une réalisation possible, sinon souhaitable, du texte, une mise en œuvre concrète, presque tangible de ce que Meschonnic voyait dans le Poème lui-même (c’est-à-dire l’œuvre), entendu comme « ce qu’un corps fait au langage » ? Quels régimes de lecture seraient communs à la lecture intime et à cette lecture partagée, quels sont ceux qui prendraient le pas sur d’autres ? La dimension spectaculaire impose-t-elle la prépondérance des mécanismes de l’immersion fictionnelle – progresser et comprendre, anticiper et synthétiser deviendraient-ils mineurs dans cet acte de lecture-là ? Les typologies de lecteurs sont-elles aussi perceptibles et pertinentes qu’elles pourraient l’être dans le cadre d’une lecture privée, ou bien les modalités de lecture de chacun tendent-elles à se dissoudre dans la réception collective, et à dépendre des choix de l’interprète ? Peut-on encore parler du « texte de l’auditeur », comme on parle aujourd’hui du « texte du lecteur » ? Et enfin, quelles traces la lecture publique inscrit-elle chez l’auditeur ? Se souviendrait-on, in fine, davantage d’une lecture que d’un texte ? 

Inscrites dans la programmation du festival Terres de Paroles, dont nous sommes partenaires, ces journées mêleront à loisir lectures, conférences et tables rondes. Elles associeront des universitaires, issus tant du champ des études littéraires que des études théâtrales et des théories de la lecture, des artistes, des professionnels de la programmation, des associations et des institutions du livre et de la lecture dans l’espace public. Les interventions pourront donc aussi bien relever de l’étude de cas – touchant aux programmations (festival, médiathèques, librairies) comme aux lectures elles-mêmes – que des témoignages de professionnels et d’artistes, et des propositions de réflexion transversales ou synthétiques, relevant d’approches esthétiques, économiques, politiques, ou sociologiques. Modalités de soumission

Vous ferez parvenir vos propositions de communication (titre, résumé de 150 mots, brève notice biographique) pour le 10 décembre 2016 à l’adresse suivante : emotionslitteraires@gmail.com.

En partenariat avec le Festival Terres de Paroles et l’Agence Régionale du Livre et de la lecture de Haute Normandie.

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Le cycle « Les émotions littéraires : Observatoire des pratiques contemporaines »

Le projet de recherche « Les émotions littéraires : observatoire des pratiques contemporaines », a pour visée de rendre compte des formes de vie de la littérature dans le monde contemporain et au sein de la cité. Il ne s’agit pas tant de contribuer à la défense de l’objet littéraire que de l’observer dans ses pratiques, ses interactions avec le monde hors du champ qui lui fait encore une place institutionnellement et dans un parcours de formation : le scolaire et l’universitaire. Afin de circonscrire un certain type de manifestations, nous l’étudierons sous l’angle des émotions que la littérature peut générer. A l’instar de Georges Didi-Huberman qui cherche à décrire devant un public d’enfants le caractère traversant et la force agissante de l’émotion : « Ton émotion est-elle seulement à toi ? N’est-ce pas quelque chose de très ancien qui devient, tout à coup, présent dans ton corps ? Et n’est-ce pas aussi le début d’une action qui transformera le monde ? »1, on se demandera quelles sont aujourd’hui les formes vivantes de la « matière- émotion » dont parle Michel Collot2.

Qu’en est-il aujourd’hui de l’émotion poétique provoquée « par ce qui est dit, certes, mais surtout par la façon dont c’est dit, le timbre sur lequel c’est dit »3 ? Qu’en est-il de l’émotion littéraire, celle qui fait éprouver au sujet une expérience émotionnelle par un déplacement des points de vue ? Qu’est-ce qu’une surprise émotionnelle générée, en lien avec la littérature ? Comment, dans quels lieux, face à quel public l’encourager ? Peut-elle être une réelle « matière » dans un processus de création et/ou de réception ? Ce projet s’inscrit doublement dans le champ de la contemporanéité :

1) Il nous importe de témoigner des lieux, des espaces, des pratiques dans lesquels l’individu d’aujourd’hui peut faire l’expérience des émotions littéraires, de s’interroger sur leurs caractéristiques, leurs manifestations, la manière dont elles sont pensées, utilisées, encouragées et à quelles fins. D’une certaine manière il s’agira de parler de la vitalité de la littérature, de ce qu’on peut en « faire » ailleurs qu’à l’école ou à l’université et en dehors, d’une lecture individuelle et privée. Ce qu’on peut dire des formes de survivances (résistances ?) du littéraire dans l’espace collectif d’aujourd’hui et tout particulièrement du rôle qu’y jouent les émotions revient à interroger ce qui dans la littérature participe de la construction, par des pratiques spécifiques, d’un vécu commun, d’un monde partagé4. Il sera peut-être ainsi possible de mieux décrire la force d’une expérience esthétique au sens où Dewey la concevait : une expérience limitée dans le temps, mais qui résonne au-delà de ce temps, qui permet au sujet d’apprécier sa condition de vivant, « un des moyens par lesquels nous entrons, par l’imagination et les émotions (…) dans d’autres formes de relations et de participations que les nôtres »5.

2) A la lumière des travaux récents consacrés aux émotions6 en sciences cognitives, en philosophie, en sociologie de l’art, en esthétique et en littérature, nous voudrions mettre en regard ce qui relève d’une part de la connaissance aujourd’hui plus fine, plus complexe, des liens qui se nouent entre les processus cognitifs (interpréter, comprendre, analyser, percevoir, mémoriser…) et l’expérience émotionnelle, et ce qui relève d’autre part de pratiques, dans des domaines aussi variés que la médecine, le patrimoine, le festival, les arts du spectacle, et l’art contemporain.

1 Georges Didi-Huberman, Quelle émotion ! Quelle émotion ?, Bayard Jeunesse, Paris 2013, coll. « Les Petites Conférences ».

2 Michel Collot, La Matière-émotion, Paris, PUF, 1997.

3 Pierre Reverdy, Cette émotion appelée poésie, Paris, Flammarion, 1974, p. 31.

4 Anne-Claude Ambroise-Rendu, Anne-Emmanuelle Demartini, Hélène Eck, Nicole Edelman, Émotions contemporaines, XIXe -XXIe siècles, Paris, Armand Colin, Recherches.

5 John Dewey, L’Art comme expérience, Paris, Folio-Essais, p. 382.

6 Voir notamment L’émotion, puissance de la littérature, Modernités, n°34, 2012 http://www.fabula.org/actualites/bouju-gefenemotion-puissance-de-la-litterature_54579.php ; Autopsie des émotions, dossier critique n°32, avril 2014 (volume 15, numéro 4), http://www.fabula.org/acta/sommaire8643.php, Colloque Les genres littéraires, les genres cinématographiques et leurs émotions, http://www.pouvoir-des-arts.fr/les-genres-litteraires-les-genres-cinematographiques-et-leurs-emotions-colloque-organise-les-26- et-27-septembre-2014-dans-le-cadre-de-lanr-pda/