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Appels à contributions
Les frères Goncourt et le détail (Paris 3)

Les frères Goncourt et le détail (Paris 3)

Publié le par Université de Lausanne (Source : Éléonore Reverzy)

Équipe GONCOURT. ITEM/CRP19

Appel à contributions : "Les frères Goncourt et le détail"

Séminaire 2018-2019 et journée d'études du 23 mai 2019
 

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SÉMINAIRE GONCOURT 2018-2019

LE DÉTAIL

Après une année consacrée aux relations des Goncourt et la mode, qui a conduit notamment à examiner la mode comme une sémiologie au carré, réinvestie par l’histoire et la littérature, et également permis de souligner l’importance de l’accessoire ou du détail qui distingue une toilette et fait la distinction d’un ou d’une élégante, l’équipe Goncourt se propose d’aborder la question du détail, question centrale au XIXesiècle, question capitale également dans les travaux des deux frères.

Du détail, Daniel Arasse a mis au jour « contradictions » et tensions : par le plaisir qu’il suscite chez le spectateur, par le désir qu’il éveille, il concourt à défaire « l’unité idéale » du tableau (Le Détail, Pour une histoire rapprochée dela peinture, Champs, 1996, p. 62).C’est toute la relation de la partie et du tout qui est ainsi en tension, qu’elle soit mise en péril (on ne voit que le détail) ou harmonieusement transcendée par le regard du contemplateur. Ce n’est certes pas du côté du « doctus pictor », ce peintre savant qui sait bien choisir le détail pour qu’il serve l’unité de l’ensemble (Arasse, p. 149), qu’on est d’abord tenté de situer les Goncourt : leur goût du détail leur vient de la peinture du XVIIIesiècle et de la réflexion de Diderot sur le pittoresque et le vrai, en même temps qu’ils défendent la fin d’une hiérarchie des genres – selon laquelle les genres les moins nobles, comme la nature morte, sont aussi les moins riches en détails. Participant du mouvement de déconstruction de la tradition académique, les deux frères voient dans les peintres du XVIIIesiècle qu’ils apprécient particulièrement le détail des corps et de leur séduction : le détail érotise à l’évidence telle figure de Watteau ; il attire l’œil, le charme, l’envoûte. Dans La Femme au XVIIIsiècle, c’est aussi le détail de la toilette et du maquillage (la coiffure, la mouche) que les historiens consignent pour incarner les figures féminines qu’ils promeuvent, dégageant ainsi l’importance d’un détail plus ou moins visuel et en quelque sorte plus ou moins vivant (ou, si l’on veut,actif) selon la période, dans la parure de la femme. 

Cette érotisation du détail, nul doute que les collectionneurs d’archives vivantes, n’en aient éprouvé l’attrait dans la chasse au « document humain » (Michelet, Goncourt, repris par Zola) : ces détails de l’histoire qui peuvent être des lettres autographes intimes, des objets du quotidien, des estampes ou des confessions d’actrices sont pour eux la matière même de l’historien et de l’écrivain, cela a été souvent montré. L’anecdote, par ce qu’elle relève de l’intime, du non-officiel, est ainsi promue. Tout comme la chose vue ou entendue, notée dans le Journal,ce réservoir de l’œuvre à venir, est bien l’indice du vrai – lorsque les contemporains n’écrivent en fait, à l’instar deZola, que des romans vraisemblables, faits avec des personnages et des intrigues types. Le détail a donc valeur d’authentification – un peu comme pour l’historien d’art Morelli étudié par Carlo Ginzburg. Il certifie.

Dans leur siècle, les Goncourt se trouvent aussi confrontés à la question du réalisme et au débat sur le détail. Il faut limiter « l’émeute de détails », dit Baudelaire qui dénonce en Horace Vernet le peintre des boutons de guêtre : le détail dans la peinture contemporaine n’est-il pas là pour satisfaire le bourgeois qui jugera que ‘c’est bien peint’ ?Le rôle joué par la photographie est à ce titre capital, comme l’a montré Érika Wicky dans Les Paradoxes du détail,puisque l’imagephotographique permet de voir jusque dans ses infimes détails ce que la peinture et ses différents modes de reproduction ne permettaient pas de distinguer. On en verrait volontiers l’illustration littéraire la plus convaincante dans un passage de La Curéeoù Renée et Maxime découvrent, à l’aide d’une loupe, un poil sur le nez de l’Écrevisse, une cocotte en vue dont ils examinent le portrait-carte. Les Goncourt, qui valorisent « l’indéfinition », « uneesthétiquedu flou », comment parviennent-ils à accorder le « brouillage des limites » (Jean-Louis Cabanès, Préface de L’ArtauXIXesiècle, DuLérot, 2007, p. 19) avec le détail qui point, se signale, paraît avec ses contours bien nets ? 

Quelle réflexion mènent-ilssur cette révolution du regard, eux qui définissent la littérature de leur temps comme une « littérature de myopes » ? comment se situent-ils par rapport à un Balzac, grand collecteur de détails qui s’ordonnent etfont sens dans le cadre duvaste projet d’une sémiologie sociale et morale ? Que retiennent-ils de la peinture de leur temps et de son rapport au détail ? Recourent-ils à ce que Barthes avait nommé un « effet du réel », pratique rhétorique destinée à « faire vrai » ? il semble que non, ce qui suffit à les singulariser. 

On peut aussi s’interroger sur ce que le détail, dans sa petitesse, peut dire de leur œuvre : Renée Mauperin etGerminie Lacerteuxfurent lus à leur parution à l’aunedu « petit roman » (« Le petit roman » par F. de Lagenevais [Henry Blaze de Bury], Revue des Deux Mondes, 15 février 1865). La fragmentation en chapitres, de plus en plus brefs, ne tient-elle pas à cette rupture de l’unité que peut produire le détail ? C’est ainsi en tout cas qu’un Barbey lit les descriptions de Gautier et Flaubert, y voyant les marques dumatérialisme de ces écrivains. L’écriture artiste en offre sans nul doute une version assez radicale. Le détail n’est en effet pas toujoursisolé : il prend place dans une description qui peut s’écrire sur le mode de la liste. Il s’inscritainsi dans le cadre d’une collection qui lui redonne une cohérence (voir les travaux de Dominique Pety et en particulier sa Poétique de la collection au XIXesiècle,parue aux Presses de Paris-Ouest Nanterre).

Ces différentes pistes doivent pouvoir être complétées et enrichies.Ne sont esquissées ici que quelques questions.

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Le séminaire se tiendra à Censier les vendredis 26 octobre 2018, 16 novembre 2018, 18 janvier 2019, 22 février 2019, 22 mars 2019 et 12 avril 2019, de 14:00 à 16:00. Il sera suivi d’une journée d’études le 23 mai 2019.

Les propositions de communication sont à adresser à Éléonore Reverzy (ereverzy@free.fr) avant le 30 septembre 2018.