Çédille - revista de estudios franceses
Monografías 8 (2018)
Désir et appartenance : regards croisés,
EAN13 : 16994949.
Les notions de désir et d’appartenance font pendant à celles d’identité et d’altérité. À partir de perspectives variées, elles sont étudiées à travers leurs expressions littéraires et artistiques dans Çédille, la revue électronique d’études françaises (en accès libre), publiée en Espagne, qui vient de sortir, ce mois de décembre 2018, le numéro 8 de sa série de « Monographies ». Ce volume est coordonné par les professeurs Brigitte Le Juez, de la Dublin City University, et par Hélène Rufat, de l’université Pompeu Fabra de Barcelone. Il recueille les travaux originaux et interdisciplinaires de six chercheuses universitaires d’Espagne, de Hongrie, d’Irlande, d’Italie et de la République de Maurice.
Comment l’identité individuelle peut-elle s’affirmer comme appartenant au monde, alors qu’elle est continuellement mise à l’épreuve par les exigences sociales, les changements politiques, les discours historiques, les progrès technologiques et la place croissante des médias ? Comment le soi (seul ou en tant que partie d’un groupe) peut-il parvenir à s’assumer dans cette bousculade identitaire, cette constante réinterprétation par rapport aux « autres » qui oblige à continuellement tenir compte de nouvelles normes, qui embrume les perspectives de chacun, pouvant mener à la frustration du désir de s’adapter, de s’intégrer dans un monde en rapide mouvance ? Pour beaucoup, les réponses possibles à ces questions traduisent une quête de clarté ou de renouvellement parfois compliquée par les refus d’acceptation dus aux différences entre les détenteurs de canons, artistiques ou autres, et les rebelles qui risquent de les compromettre.
C’est pourtant ce qu’écrivains et artistes ont tenté d’accomplir de tous temps, soit en innovant soit en provoquant un sursaut dans les mentalités, parfois les deux ensemble. Ainsi, les auteur.es étudié.es dans ce numéro spécial ont-ils/elles bravé les différences afin de formuler un désir d’identité personnel, communautaire, culturel, religieux ou artistique, selon les cas. Que ce soit, comme nous le verrons ici, après une catastrophe humaine, dans un espace dévasté (en l’occurrence, le Japon) ou, au contraire, lors d’une rencontre créatrice dans un espace initiatique (une Provence aux parfums de Grèce antique), dans un contexte biblique proche de préoccupations genrées modernes (à travers le mythe d’Adam), ou dans un contexte mythique où l’identité nationale se définit (à travers la figure d’un héros de légendes), ou encore au sein d’une écriture trans-artistique dans laquelle un genre littéraire s’affirme (le roman-fugue) ou bien, au contraire, dans un refus d’hybridation, cette fois culturelle (comme dans le cas de l’écriture passéiste), dans tous ces cas s’impose un besoin de clarté et de renouvellement, mais aussi de justice et de partage.
Les notions de désir et d’appartenance en littérature ont été examinées au cours des âges de différents points de vue s’attachant essentiellement à l’environnement culturel de l’identité. Parmi ces perspectives, les lieux d’appartenance, de désir d’appartenance aussi bien que de non-appartenance, ont relaté des sentiments spécifiquement rattachés à un espace, une nation, un groupe, une croyance, un art, ou même un genre, tous associés à diverses aspirations. Ces positions très complexes sont toutes illustrées dans le présent recueil d’essais ébauchés lors du 6e Congrès International du Réseau d’Études Littéraires Comparées (devenu en 2017 la Société Européenne de Littérature Comparée), en collaboration avec l’Association Irlandaise de Littérature Comparée, qui a eu lieu en août 2015 en Irlande (à Dublin et Galway) précisément sur les thèmes de « Désir et Appartenance / Longing and Belonging ».
Ces études démontrent que la littérature comparée permet de développer de nouvelles théories concernant le désir d’identification – à la fois (re)connaissance et exploration –, le désaveu de tout stéréotype emprisonnant l’être et son droit à la réinvention de soi, et la subversion comme outil artistique. Elle permet aussi d’interroger les représentations d’appartenances géographique et politique, ainsi que les relations entre espace et culture. Elle explore en outre la notion de devenir, aussi bien celle de l’individu que celle du groupe. Loin des rouages bien rodés, elle permet de définir les effets des transmutations des discours, qu’ils soient conservateurs ou simplement dépassés, sur la création artistique. Cette nouveauté à elle seule naît d’un désir et d’une détermination à parvenir à un espace où l’humain, y compris l’artiste, peut enfin avoir la liberté de s’épanouir pleinement.
Dans les études présentées ici, la transgression des dynamiques spatiales et identitaires est dominante. Tous les articles de ce numéro spécial contribuent de manière significative à faire comprendre combien les êtres humains ont besoin de se reconnaître dans diverses quêtes identitaires qui passent, séparément et ensemble, par le questionnement des critères d’acceptation nationaux, religieux, symboliques et artistiques. La littérature elle-même remet en question sa linéarité.
Ainsi, les failles et les potentialités révélées par les études ici réunies prouvent que, dans un contexte de flux perpétuels quant aux appartenances politiques, sociales et culturelles, il n’y a d’autre certitude que celle de la (re)construction permanente de toute identité, qu’elle soit individuelle ou collective, pour le meilleur et pour le pire.
SOMMAIRE
Brigitte Le Juez & Hélène Rufat: Désir et appartenance : regards croisés. Avant-propos
Brigitte Le Juez: Questions de mémoire et d’identité en espace post-atomique dans H Story de Nobuhiro Suwa et Nagasaki d’Éric Faye
Hélène Rufat: Comment Gatzo et Pascalet (d’Henri Bosco) découvrent l’altérité de leur amitié méditerranéenne, avec Ananké et l’Hydre de Lerne en filigrane
Benedetta Carnali: Michel Tournier et le mythe de l’androgyne : entre philosophie et religion
María del Rosario Álvarez Rubio: Covadonga et Pélage : le lieu de mémoire d’un héros national dans les littératures espagnole et française du XIXe siècle
Roumiana L. Stantchéva: Le roman-fugue – modèles et réalisations
Sonia Dosoruth: Fantasmer le passé pour réécrire le présent : une étude de La Diligence s’éloigne à l’aube de Marcelle Lagesse, écrivaine mauricienne