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Circulations littéraires afro-asiatiques : écrire, publier et traduire après Bandung (Nanterre)

Circulations littéraires afro-asiatiques : écrire, publier et traduire après Bandung (Nanterre)

Publié le par Université de Lausanne (Source : Pierre Boizette)

Circulations littéraires afro-asiatiques : écrire, publier et traduire après Bandung

Paris Nanterre, 6-7 décembre 2019

 

En mai 2015, dans un article du quotidien Le Monde, Abdourahman Waberi se demandait « Comment dit-on “roman africain” en japonais ? » Présent au Japon à l’occasion de la traduction de trois de ses ouvrages, il y faisait la liste des rares auteur.e.s du continent africain à avoir connu cet honneur. La parution de Balbala, Transit et Passage des larmes est à mettre en lien avec un projet plus vaste émanant de la diplomatie culturelle pour permettre le rayonnement de la francophonie littéraire en Asie. En témoignent la remise chaque année du Prix Fu Lei de la traduction et de l’édition créé en 2009 à l’initiative de l’Ambassade de France en Chine ou encore la liste des « 30 auteurs francophones à traduire » diffusée par l’Institut français du Japon. Parmi ces derniers figuraient, entre autres, Sony Labou Tansi, Mongo Beti, Ferdinand Oyono ou encore Aminata Sow Fall, autant d’écrivain.e.s que l’institution désirait faire connaître en soutenant financièrement les traducteurs intéressés.

L’exemple d’Abdourahman Waberi rend compte d’un phénomène mal connu, celui des circulations littéraires et intellectuelles contemporaines entre l’Asie et l’Afrique. Si le développement des liens commerciaux entre la Chine et de nombreux pays subsahariens a donné lieu à un grand nombre de publications récentes, il n’en a pas été de même concernant le domaine de la culture. Pourtant, plusieurs initiatives témoignent de la vitalité de ces échanges. Ainsi, en 2015, la maison d’édition Twaweza Communications faisait paraître en kiswahili un recueil du poète yi Jidi Majia tandis que la China Translation and Publishing Corporation sortait l’année dernière une traduction de Demain j’aurai vingt ans d’Alain Mabanckou. De même, la revue panafricaine en ligne Jalada accueillait dans les pages de son numéro 4 des contributions d’Aryanil Mukherjee ou de Linda Ashok, tous deux originaires du sous-continent indien. Les œuvres ne sont néanmoins pas les seules à circuler, les artistes et universitaires participent eux aussi directement à cette mobilité entre les deux espaces comme le prouvent les exemples de Biodun Jeyifo et de Femi Osofisan, qui ont animé ces dernières années des séminaires sur le théâtre africain à l’Université de Pékin, ou encore d’Arundathi Roy faisant la promotion en Afrique du Sud de son dernier titre, The Ministry of Utmost Happiness. Enfin, citons la réception du Prix Park Kyung-ni par Ngũgĩ wa Thiong’o en 2016, dernière étape d’un compagnonnage de l’auteur kényan avec la Corée du Sud amorcé dès les années 1980, époque où il prit la défense du poète Kim Chi Ha.

Des congrès panafricains du début du XXe siècle aux conférences panasiatiques de Nagasaki et de Shanghai, nombreuses furent les initiatives précoloniales réunissant des ressortissants de territoires des deux continents. Néanmoins, à partir de la conférence de Bandung en 1955 et, surtout, du premier congrès de l’Afro-Asian Writers Association tenu à Tachkent en 1958, leurs liens prirent un nouveau visage. Au sortir des indépendances, l’ambition de concourir à l’émergence d’une troisième voie internationale poussa en effet des personnalités africaines et asiatiques à établir des contacts. Ngũgĩ wa Thiong’o a ainsi plusieurs fois insisté sur l’importance de développer un axe afro-asiatique capable de concurrencer la modernité euro-américaine. Parmi les initiatives y ayant contribué, le théâtre fut très certainement la plus célèbre. Quant à la Chine communiste, elle chercha dans les années 1980 à promouvoir ses liens avec le Tiers-Monde, elle eut pour cela notamment recours aux traductions. La Foreign Literature Publishing House fit par exemple traduire des textes de Léopold Sédar Senghor, de Wole Soyinka et de Mouloud Mammeri.

La présence de part et d’autre de l’océan Indien d’importantes diasporas très implantées localement explique encore aujourd’hui la vitalité des échanges et de la création. En Afrique de l’Est, beaucoup de figures de la vie culturelle sont ainsi issues des rangs de la communauté indienne comme, par exemple, Peter Nazareth, Rajat Neogy, Abraham Verghese, Bahadur Tejani ou encore M.G. Vassanji. D’autres, émergentes, doivent être analysées plus en détail tant elles sont amenées à prendre de l’importance dans la décennie à venir, tel est le cas par exemple des étudiants africains en Chine puisque le pays est devenu la seconde destination la plus prisée par ces derniers.

Mal connues, les circulations littéraires et intellectuelles entre l’Afrique et l’Asie ne sont donc pas récentes. Sans remonter aux connexions précoloniales et coloniales, ce colloque interdisciplinaire voudrait interroger leurs formes postcoloniales et les enjeux qui en découlent. Ces circulations ont en effet trop souvent été oubliées par la critique au profit des seuls liens que chacun de ces espaces avait tissés avec l’Occident. Sans remettre en cause l’importance de ces mouvements, nous voudrions adopter une autre perspective en privilégiant une approche comparative qui prendrait au mot Dipesh Chakrabarty quand il en appelait à provincialiser l’Europe. Nous proposant de mettre en évidence les formes contemporaines prises par ces relations, nous invitons les personnes intéressées à présenter leurs recherches consacrées à ces phénomènes. Plusieurs axes pourront ainsi être abordés. Sans être exhaustifs en voici quelques-uns :

  • les trajectoires individuelles d’auteur.e.s ou d’intellectuel.le.s impliqué.e.s dans ces dynamiques,
  • le rôle des traducteur.rice.s et des traductions dans ces circulations, le rôle du multilinguisme dans la création,
  • les questions relatives à la diplomatie culturelle et au soft power,
  • les réseaux et les solidarités s’étant tissés au cours de l’histoire récente,
  • le rôle joué par des espaces et des institutions annexes dans ces relations (campus américains, maisons d’éditions occidentales...),
  • les hybridations et branchements que ces circulations génèrent,
  • la question des échanges et des transferts, sous forme d’hybridation ou de reconfiguration, des motifs, traditions/corpus, genres littéraires,
  • la Réunion, Maurice et Madagascar comme espaces d’hybridations entre l’Asie et l’Afrique,
  • la question des mondialités littéraires/culturelles sans l’Europe,
  • ...

*

Nous invitons les chercheur.se.s issu.e.s des études littéraires, mais aussi des autres disciplines des sciences humaines et sociales à nous faire parvenir leurs propositions de communications (300 mots maximum) pour le 1er octobre 2019 à circulationsafroasiatiques@gmail.com.

 

Bibliographie indicative :

Banham, Martin, Gibbs, James et Osofisan, Femi (eds.), African Theatre 15: China, India and the Eastern World, Woodbridge, James Currey, 2016.

Batchelor, Kathryn et Zhang, Xialoing (eds.), China-Africa Relations. Building Images through Cultural Co-operation, Media Representation, and Communication, Londres, Routledge, 2017.

Brisson, Thomas, Décentrer l’Occident. Les Intellectuels postcoloniaux, chinois, indiens et arabes, et la critique de la modernité, Paris, La Découverte, coll. « Sciences humaines », 2018.

Chetty, Rajendra (ed.), South African Indian Writings in English, Durban, Madiba, 2002.

Courmont, Barthélémy, Chine, la grande séduction. Essai sur le soft power chinois, Paris, Choiseul, 2009.

Clavaron, Yves et Dieterle, Bernard (dir.), Métissages littéraires, actes du XXXIIe Congrès de la SFLGC, Saint-Étienne, 8-10 septembre 2004, Saint-Etienne, Publications de l’Université de Saint-Étienne, 2005.

Desai, Gaurav (ed.), « Asian African Literatures », in Research in African Literatures, vol. 42, n° 3, 2011.

Gilbert, Catherine, « Chinese literature in Africa: meaningful or simply ceremonial? », in The Conversation, 17 novembre 2016. [en ligne] URL : http://theconversation.com/chinese-literature-in-africa-meaningful-or-simply-ceremonial-63416

Halim, Hala, « Lotus, the Afro-Asian Nexus, and Global South Comparatism », in Comparative Studies of South Asia, Africa and the Middle East, n° 32, 2012, p. 563–583.

Hofmeyr, Isabel, « Universalising the Indian Ocean », in PMLA, vol. 125, n° 3, p. 721-729, 2010.

Hofmeyr, Isabel et Williams, Michelle (eds.), South Africa and India: Shaping the Global South, Johannesburg, Witwatersrand University Press, 2011.

Humes, Bruce, « Can Literary Imports Change Chinese Perceptions of Africa? », in Sixth Tone, 7 mai 2018. [en ligne] URL : https://www.sixthtone.com/news/1002159/can-literary-imports-change-chinese-perceptions-of-africa%3F

Issur, Kumari R. et Hookoomsing, Vinesh Y. (dir.), L’océan Indien dans les littératures francophones : pays réels, pays rêvés, pays révélés, Paris-Reduit, Karthala-Presses de l’Université de Maurice, coll. « Lettres du Sud », 2002.

Lee, Christopher, Making a World after Empire: The Bandung Moment and Its Political Afterlives, Athens, Ohio University Press, 2010.

Marimoutou, Jean-Claude Carpanin et Vergès, Françoise, Amarres. Créolisations india-océanes, Paris, L’Harmattan, 2005.

Mignolo, Walter, « Géopolitique de la sensibilité et du savoir. (Dé)colonialité, pensée frontalière et désobéissance épistémologique », in Mouvements, n° 73, 2013, p. 181-190.

Paravy, Florence et Moura, Jean-Marc (dir.), Littératures africaines et comparatisme, Metz, Université Paul-Verlaine, Centre Écritures, coll. « Littératures des mondes contemporains », 2012.

Rabault-Feuerhahn, Pascale (dir.), Théories intercontinentales, voyages du comparatisme postcolonial, Paris, Demopolis, coll. « Quaero », 2014.

Raharimanana, Jean-Luc (dir.), Identités, langues et imaginaires dans l’océan Indien, Interculturel Francophonies, n° 4, Lecce, Alliance française, 2003.

Ravi, Slirata, Rethinking Global Mauritius. Critical Essays on Mauritian Literatures and Cultures, Trou d’eau douce (Maurice), L’Atelier d’écriture, coll. « Essais et critiques littéraires », 2013.

Singh, Jaspal et Chetty, Rajendra (eds.), Indian Writers: Transnationalisms and Diasporas, New York, Peter Lang, 2010.

Tsuchiya, Satoru, « African Literature in Japan », in Research in African Literatures, vol. 6, n° 2, 1975, p. 232-236.

Yoon, Duncan M., « The Global South and Cultural Struggles: On the Afro-Asian People’s Solidarity Organization. », in Journal of Contemporary Thought , n° 35, 2012, p. 40-46.

Yoon, Duncan M., Cold War Africa and China: The Afro-Asian Writers’ Bureau and the Rise of Postcolonial Literature,  Thèse de Phd, UCLA, 2014.

Yoon, Duncan M., « Our Forces Have Redoubled’: World Literature, Postcolonialism, and the Afro-Asian Writers’ Bureau », in Cambridge Journal of Postcolonial Literary Inquiry 2, n° 2, 2015, p. 233-252.

Yoon, Duncan M., « Bandung Nostalgia and the Global South », in Russell-West Pavlov (ed.), The Global South and Literature, Cambridge, Cambridge University Press, 2018, p. 23-33.

 

Comité scientifique :

Nathalie Carré, MCF, Inalco

Anne Castaing, Chargée de Recherche, CNRS

Yves Clavaron, PU, Université de Saint-Étienne

Muriel Détrie, MCF, Université Paris 3 – Sorbonne Nouvelle

Claire Gallien, MCF, Université Paul Valéry, Montpellier

Claudine Le Blanc, MCF HDR, Université Paris 3 – Sorbonne Nouvelle

Jean-Marc Moura, PU, Université Paris – Nanterre

Dominique Ranaivoson, MCF HDR, Université de Lorraine

Linda Rasoamanana, MCF, Centre Universitaire de Mayotte

Rémi Armand Tchokothe, Assistant Professor, Université de Bayreuth

 

Organisateur :

Pierre Boizette (Paris Nanterre) avec le soutien de l’École doctorale 138 et du centre de recherche LIPO (Littérature et Poétiques Comparées).

 

Calendrier prévisionnel :

Les propositions de communications (en anglais ou en français) d’une longueur maximum de 300 mots ainsi qu’une présentation de l’auteur (100 mots maximum) sont à envoyer au plus tard le 10 septembre 2019 à l’adresse circulationsafroasiatiques@gmail.com. Les réponses seront données à partir du 20 octobre et le colloque se tiendra les 6 et 7 décembre à l’Université Paris – Nanterre.