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La réception de la pensée française contemporaine au prisme  de la traduction (Paris 3)

La réception de la pensée française contemporaine au prisme de la traduction (Paris 3)

Publié le par Université de Lausanne (Source : Bruno Poncharal)

La réception de la pensée française contemporaine au prisme de la traduction en langue anglaise

(scroll down for English version)

Centre de recherche en traduction et communication transculturelle anglais-français / français-anglais

(TRACT – PRISMES EA 4398 – Université Sorbonne Nouvelle-Paris 3)

Appel à communication et / ou article

Colloque TRACT 12-13 octobre 2018 / Palimpsestes 33

 

Les problèmes soulevés par la traduction des sciences humaines et sociales ne sont pas ou peu abordés dans le cadre de la traductologie, que ce soit en France ou ailleurs. Ce constat est corroboré par la sociologue de la littérature, de la traduction et des échanges culturels internationaux, Gisèle Sapiro (EHESS-CNRS), qui a dirigé plusieurs ouvrages ou rapports à ce sujet[1], qui écrit dans le rapport pour l’Institut français qu’elle a dirigé en 2014 : « Car, par-delà les obstacles financiers évoqués, un des problèmes qui entravent la circulation des idées est la qualité trop souvent insatisfaisante des traductions, qui tient en partie aux conditions de travail des traducteurs, et en partie à l’absence de formation spécialisée. […] Beaucoup de discussions sont menées au Royaume-Uni ou aux États-Unis autour de la traduction littéraire, alors que la traduction des sciences humaines et sociales n’a pas trouvé un « advocate » au sein de la communauté des traducteurs. » (Sapiro, 2014 : 209/213).

Alors que les conditions de la réception, ou de ce qui est plus de « l’ordre d’une recréation »  (Sapiro, 2012 : 5) de la pensée français sont désormais bien connues, en particulier grâce au livre de François Cusset French Theory[2], il apparaît que nous sommes passés, depuis les années 1990, à un autre moment de cette réception, et plus précisément à un certain « désengagement des traductions, justifié dans le discours des acteurs par la disparition des « grands auteurs », la spécialisation accrue, le manque d’intérêt du public ». (Sapiro, in Charle et Jeanpierre, 2016 : 805).

S’interroger sur la traduction de la French Theory à l’étranger, et en particulier en langue anglaise, puisque l’anglais s’est imposé comme « la langue » de la communication par excellence, revient également à s’interroger sur cette expression de « pensée française ». Les grandes théories « exportables » telles que le structuralisme ou la déconstruction représentent-elles encore la pensée française du 21ème siècle, et la publication de nouvelles traductions de ces œuvres est-elle une démarche encore pertinente ? Qu’en est-il de l’aura de ces penseurs français tels que Jacques Derrida, Michel Foucault ou Julia Kristeva, dont Cusset dans son ouvrage comparait le rayonnement aux Etats-Unis à celui d’acteurs de western hollywoodien ? Quelles sont donc les nouvelles « stars » de la pensée française sur le marché de la traduction en langue anglaise ?

Il est certain que la traduction des ouvrages de sciences humaines et sociales pâtit de plusieurs facteurs, dont la contrainte économique qui se fait de plus en plus pesante, et entre autres la fragilisation du secteur du livre et l’essor du numérique, qui pourrait cependant s’avérer être une autre alternative. Pourtant, comme le fait remarquer Gisèle Sapiro, depuis 2010 au moins 270 traductions du français en anglais ont paru chez un éditeur américain ou anglais, selon les données réunies par le Bureau Français du livre à New-York. Il y aurait donc encore des raisons de traduire des ouvrages français en langue anglaise[3], et de pratiquer ce que Barbara Cassin dans son Eloge de la traduction nomme « la gymnastique du ‘entre’ », c’est-à-dire « compliquer l’universel »[4].

Dans un premier temps, on pourra notamment s’intéresser aux points suivants, dans une démarche visant à mettre à jour la cartographie de l’exportation de la pensée française dans les pays de langue anglophone :

  • Qu’est-ce qui fait la spécificité de la traduction en sciences humaines et sociales de la pensée française ?
  • Y-a-t-il une « écriture française » en philosophie, en histoire et, plus généralement, dans le domaine des sciences sociales ?
  • Comment cette écriture « continentale », voire « structurale », est-elle perçue par les éditeurs anglophones et quels problèmes de traduction pose-t-elle ?
  • Y-a t-il une « intraduisibilité » de certains concepts de la pensée française ?
  • Pourquoi la philosophie et l’histoire demeurent-elles les disciplines les plus traduites ? 
  • Qui sont les représentants de la pensée française[5] qui continuent à être traduits ?
  • Quelle est la place des femmes incarnant la pensée française contemporaine traduites ? Pourquoi y a t-il une telle sous-représentation des femmes dans les traductions, notamment en anglais, marché éditorial qui leur est pourtant plus ouvert qu’en d’autres langues ?[6]
  • Par quelles maisons d’édition sont traduits les auteurs « représentatifs » de la pensée française ? Comment les maisons d’édition identifient-elles ces auteurs, et quels sont leurs critères de sélection ?
  • Qui sont les traducteurs de ces auteurs, ont-ils une formation spécifique ? S’agit-il surtout d’universitaires spécialistes de la discipline ? 
  • Faut-il donner l’exclusivité de la traduction en sciences humaine et sociales aux spécialistes de la discipline ou des auteurs ?

 

Les propositions de communications / articles (résumé d’une demi-page, en français ou en anglais), ainsi qu’un bref CV, sont à adresser, pour le 21 mai 2018 date butoir, à Marion Naugrette-Fournier (marion.naugrette@univ-paris3.fr) et Bruno Poncharal (bruno.poncharal@orange.fr).

 

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The Reception of Contemporary French Thought Through the Prism of Translation

 

Call for papers and / or talks 

TRACT Conference 12-13 October 2018 - Paris 3 – Sorbonne nouvelle / Palimpsestes  33

The problems posed by the translation of the social sciences and the humanities have by and large been overlooked by those engaged in translation studies both in France and elsewhere. Gisèle Sapiro’s work on the sociology of translation and cultural exchanges underlines this fact in the report she wrote in 2014 for the Institut français: Although the financial dimension of the translation of [texts in the humanities and social sciences] is problematic the major obstacle to the circulation and reception of French thought is the unsatisfactory quality of the translations which is due both to the poor working conditions of the translators and to the absence of a specialised training programme for translating the humanities. […] While much critical thought has been devoted to literary translation in the US and the UK, the translation of the humanities and the social sciences have yet to find an advocate within the translation community. (Sapiro, 2014: 209/213).

 

François Cusset’s pioneering work, French Theory, examined the reception and what Sapiro has called the recreation of French thought in the Anglophone world. It is clear however that today the quality of the reception has been modified because of the disappearance of certain key authors (like Lacan and Derrida). This disengagement from the translation sphere has been exacerbated by the increased specialisation of the texts produced and because of the lack of public interest. (Sapiro in Charle et Jeanpierre, 2016: 805).

 

Questioning the translation of “French Theory” abroad, especially in English, since it has emerged as the language of global communication, also leads one to question this expression of "French thought". Do major "exportable" theories, such as structuralism or deconstruction, still represent French thought in the 21st century, and is the publication of new translations of these works still relevant? What about the aura of French thinkers such as Jacques Derrida, Michel Foucault or Julia Kristeva, whose influence in the United States François Cusset, in his book, compared to that of Hollywood actors? What are the new "stars" of French thought on the English translation market?

 

There is no doubt that the translation of the humanities and social sciences is hampered by a number of factors, including the ever-increasing economic constraint, and above all the weakening of the book sector and the rise of digital technology, which could, however, prove to be another alternative. On the other hand, as Gisèle Sapiro points out, since 2010 at least 270 translations of French into English have been published by an American or English publisher, according to the data collected by the Bureau Français du livre in New York. There would therefore still be reasons to translate French works into English, and to practice what Barbara Cassin in her Eloge de la traduction calls "la gymnastique du ‘entre’” [The gymnastics of ‘in-betweenness’] so as to "complicate the universal ".

 

In an effort to chart the exportation of French thought in the Anglophone world, the following points could be addressed:

  • What are the specific characteristics of the translation from French to English of the social sciences and the humanities?
  • Is there a French touch/style of writing in philosophy, history and, more generally in the social sciences?
  • How is this “continental”, or “structural” writing, viewed by Anglophone publishers and what specific problems does it pose?
  • Are certain concepts in French thought untranslatable?
  • How does one account for the high proportion of translated texts in philosophy and history?
  • Who are the representatives of French thought whose work continues to be translated?
  • What space in translation is accorded to the work of women writers of humanities and social sciences? Why does their work seem to be undertranslated in English although this linguistic domain would seem to be more open to their work than other domains?
  • What publishing houses translate their work? How do the publishing houses identify the authors representative of French thought? What are the criteria used in making their choice?
  • Who are the translators of these French authors? Have they been trained in this domain or are the translators themselves academic specialists in those particular disciplines?
  • Should the translation of the social sciences and the humanities be reserved for academic specialists?

 

Propositions (a half page in English or in French) plus a short CV should be sent, by 21 May 2018 at the latest to Marion Naugrette-Fournier (marion.naugrette@univ-paris3.fr) and Bruno Poncharal (bruno.poncharal@orange.fr).

 

Bibliographie :

Pascale Casanova, La République mondiale des lettres, Paris, Seuil, 1999.

Pascale Casanova,  « Consécration et accumulation du capital littéraire – La traduction comme échange inégal » in Traduction : Les échanges littéraires internationaux, Actes de la recherche en science sociales, 144, Seuil, Paris, 2002.

Pascale Casanova, La langue mondiale –traduction et domination, Seuil, Paris, 2015.

Barbara Cassin (éd.), Vocabulaire Européen de la philosophie – Dictionnaires des intraduisibles, Paris, Seuil/Le Robert, 2004.

Barbara Cassin (éd.), Après Babel, traduire, Arles/Marseille, Actes Sud/Mucem, 2016.

Christophe Charle, La République des universitaires, Paris, Seuil, 1994, chap. 8 : « Ambassadeurs ou chercheurs ? ».

Christophe Charle et al. (dir.), Transnational Intellectual Networks Forms of Academic Knowledge and the Search for Cultural Identities, Francfort/New York, Campus, 2004.

Christophe Charle et Laurent Jeanpierre (dir.), La vie Intellectuelle en France –de 1914 à nos jours – Vol. 2, Paris, Seuil, 2016.

François Cusset, French Theory : Foucault, Derrida, Deleuze & Cie et les mutations de la vie intellectuelle aux États-Unis, Paris, La Découverte, 2005.

Jean-Louis Fabiani, Qu’est-ce qu’un philosophe français ? La vie sociale des concepts (1880-1980), Paris, Éd. de l’EHESS, 2010.

Laurent Jeanpierre, Des hommes entre plusieurs mondes. Étude sur une situation d’exil : intellectuels français réfugiés aux Etats-Unis pendant la Seconde Guerre mondiale, Paris, thèse de l’EHESS, 2004.

Michèle Leclerc-Olive, « Traduire les sciences humaines. Auteur, Traducteur et incertitudes », dans Meta, 61(1), 42–59.

Emmanuelle Loyer, Paris à New York, Paris, Grasset, 2005.

Jean-Yves Mollier et Ahmed Silem (dir.), Passeurs culturels dans le monde des médias et de l’édition en Europe (xixe et xxe siècles), Villeurbanne, Presses de l’ENSSIB, 2005.

Romain Pudal, « La difficile réception de la philosophie analytique en France », in numéro spécial « France-Etats-Unis, influences croisées en sciences humaines », Revue d’histoire des sciences humaines, no 11, 2004, p. 69-100.

Gisèle Sapiro (dir.), L’Espace intellectuel européen. De la formation des États-nations à la mondialisation (xixe-xxie siècle), Paris, La Découverte, 2009.

Gisèle Sapiro (éd.), Traduire la littérature et les sciences humaines – Conditions et obstacles, Ministère de la culture  et de la Communication, Secrétariat général, Département des études, de la prospective et des statistiques (DEPS), Paris, 2012. 

 

Gisèle Sapiro (dir.), Sciences humaines en traduction. Les livres français aux États-Unis, au Royaume-Uni et en Argentine, Paris, Institut Français – Département langue française, livres et savoirs, 2014.

 

 

 

 

 

[1] Gisèle Sapiro (éd.), Traduire la littérature et les sciences humaines – Conditions et obstacles, Ministère de la culture et de la Communication, Secrétariat général, Département des études, de la prospective et des statistiques (DEPS), Paris, 2012; et Gisèle Sapiro (dir.), Sciences humaines en traduction. Les livres français aux États-Unis, au Royaume-Uni et en Argentine, Paris, Institut Français – Département langue française, livres et savoirs, 2014.

[2] François Cusset, French Theory : Foucault, Derrida, Deleuze & Cie et les mutations de la vie intellectuelle aux États-Unis, Paris, La Découverte, 2005.

[3] Gisèle Sapiro (dir.), Sciences humaines en traduction. Les livres français aux États-Unis, au Royaume-Uni et en Argentine, Paris, Institut Français – Département langue française, livres et savoirs, 2014.

[4] Barbara Cassin, Eloge de la traduction: Compliquer l’universel, Fayard, Paris, 2016.

[5] Voici ce qu’écrit G. Sapiro à ce sujet : « L’histoire demeure, avec la philosophie, la discipline la plus traduite. On note néanmoins un intérêt pour des ouvrages d’anthropologie ou de sociologie comme Par-delà nature et culture de Philippe Descola ou les travaux de Bruno Latour ».

[6] Cf. le constat de G. Sapiro : « Malgré la présence de Julia Kristeva et Hélène Cixous parmi les auteurs les plus traduits, les femmes restent sous-représentées même parmi les traductions en anglais, marché éditorial qui leur est pourtant plus ouvert qu’en d’autres langues: seuls 15% des titres traduits du français en anglais entre 2010 et 2013 avaient une femme pour auteur (dont 1 % en collaboration avec un homme) ».