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Construire les mémoires des théâtres d'Afrique: de la trace à l'archive (Revue Continents Manuscrits, n°13)

Construire les mémoires des théâtres d'Afrique: de la trace à l'archive (Revue Continents Manuscrits, n°13)

Publié le par Marc Escola (Source : Aurore Desgranges)

Construire les mémoires des théâtres d’Afrique :  de la trace à l’archive

Appel à contributions : Revue Continents-manuscrits, n° 13, octobre 2019.

 

Le motif du chercheur-enquêteur, investi dans une recherche active des traces de la création, s’invite dans les études théâtrales de manière particulièrement signifiante depuis les années 2000. L’ère de la « célébration de la trace » (Lucet, 2017) trouve son origine dans la critique génétique, approche résolument indiciaire (Ginzburg, 1980), apparue dans les années 1960 et qui très vite se pense comme une « science des processus » (de Biasi, 2011). Ces études, centrées sur l’amont de la représentation, permettent de définir l’acte théâtral dans un mouvement d’interaction constant entre le texte et la scène (Grésillon, Mervant-Roux, Budor, 2010). L’auctorialité est envisagée comme un phénomène complexe, incarnée par le duo entre l’auteur et le metteur en scène, mais relève aussi d’une collectivité plus large qui intègre le pôle technique de la création (Mervant-Roux, 2015). En engageant un questionnement plus global sur les archives du théâtre, les chercheur.es en études théâtrales prennent en compte une palette plus large de documents que ceux habituellement utilisés en génétique littéraire (Féral, 2008). Les enjeux mémoriels d’un travail sur les archives (Lucet, Proust, 2017) sont en effet pensés à partir de la diversité de nature des matériaux étudiés. La position du chercheur en situation d’observation des répétitions et l’influence de sa présence sur l’objet étudié ont été également théorisées d’un point de vue anthropologique (Mac Auley, 1998 ; Siaud, 2018).

La réflexion sur la création théâtrale par le biais de l’archive a donné lieu à différentes études dans le domaine africain : les usages des archives dans différentes formes artistiques (Lelay, Siegert, Malaquais), la polyvalence de l’œuvre de Sony Labou Tansi (Granel, Peghini dir., 2015) ou l’exploration en cours du fonds d’archives de Bernard Zadi Zaourou par Dominique Traoré, Marie-Clémence Adom, Adama Coulibaly et d’autres chercheur.es de l’Université Félix Houphouët-Boigny. Ces travaux, parce qu’ils sont fondés sur des corpus hétéroclites et qu’ils engagent le chercheur à la reconstitution voire à la fabrication d’archives, réactivent les préoccupations de chercheur.es pionnier.es. Par une attention accrue portée à l’historiographie théâtrale, Barber, Ricard et Collins ont pu, par exemple, reconstituer l’histoire sociale des formes de théâtre populaire dans les années 1960-1970 au Ghana, Togo et Nigéria.       

Ce numéro de Continents Manuscrits, en se plaçant dans la filiation de ces travaux, invite les chercheur.es à réfléchir aux modalités de constitution des archives théâtrales africaines à partir des pistes de travail suivantes :

Prendre en compte dans le corpus de recherche des documents variés et hétéroclites

La plus grande partie des études critiques se concentre sur les artistes reconnus comme auteurs.trices dramatiques et réfléchissent les enjeux esthétiques à partir des pièces éditées principalement en Europe en raison des difficultés de circulation et de diffusion de l’édition africaine (Thierry, 2015). Ainsi, l’histoire scénique locale constitue une zone d’aveuglement majeure de la recherche (Le Lay, 2014). Il existe en effet un vide autour du travail de certains artistes qui se sont surtout engagés dans la création à un niveau national, qui n’ont jamais envisagé de publier leurs pièces ou qui pratiquent la technique d’écriture au plateau. Seules des études attentives aux multiples traces de la création et au va-et-vient permanent entre réalité textuelle et scénique (Léger, Grésillon, 2005), pourraient rendre visibles des artistes condamnés à l’oubli. Quelles autres mémoires des théâtres d’Afrique sont portées par les notes des metteurs en scène (Landis, 2017), les fiches techniques… ?

Étudier les fonds dispersés d’archives d’artistes 

La dynamique « glocale » (Robertson, 1995) dans laquelle s’inscrit la création prend bien souvent de court les chercheur.es, dont les intérêts de recherche sont nécessairement guidés par leur position géographique. Une scission de façade entre étude des champs culturels nationaux et réflexions consacrées aux scènes internationales masque parfois les interactions nombreuses entre les différents espaces de consécration. L’ouvrage Sony Labou Tansi en scène (s), La chair et l’idée (Martin-Granel, Peghini, 2015) retrace le fil de la correspondance du dramaturge, reflet de sa trajectoire institutionnelle internationale, et relaie la parole de ses multiples compagnons de route entre l’Europe et l’Afrique en réunissant de nombreux témoignages. Ce recueil méticuleux de fragments d’œuvre et de vie permet de reconstituer une trajectoire nomade et cosmopolite entre le Congo et la France et pose ainsi les jalons d’une approche archivistique « multi-située », dans la lignée de l’ethnographie (Marcus, 1995). Comment recueillir les traces d’une trajectoire éclatée, quelle place donner aux différents lieux traversés par un artiste ?  Quels indices permettent de mesurer l’inscription d’une pratique à une échelle locale et globale ? Quels sont les enjeux théoriques de cette dispersion désormais inhérente au fonds d’archives ?

Constituer une mémoire institutionnelle

Si des études éclairent quelques aspects de la constitution progressive d’un réseau institutionnel transnational (Fiangor, 2002 ; Nouwligbeto, 2016 ; Chalaye 2004 ; 2018), il conviendrait d’étudier les instances de consécration des théâtres d’Afrique pour elles-mêmes en mettant au jour les dynamiques qu’elles impriment au théâtre, et de retracer les conditions de l’émergence des artistes sur les scènes nationales et internationales. Les archives des lieux de représentation, des festivals et des concours peuvent-elles être facilement consultées, manipulées et considérées comme relevant du bien public ? Les documents de programmation ne concernent-ils pas toujours l’amont des événements (Fiquet, Malaquais, Rahal, Vincent, 2015) ? Avec quelle distance convoquer la parole des agents institutionnels et celle des usagers des institutions ? Quels témoignages susciter pour retracer les effets de label et de propulsion des carrières ?

Appréhender les mémoires qui se construisent dans les silences de l’institution

La démarche indiciaire prend souvent pied dans les archives institutionnelles mais ne peut s’en contenter. Les archives intimes d’artistes accueillent des récits d’expérience avec les institutions pouvant éclairer des dynamiques informelles de fonctionnement. En témoigne l’exploitation de la correspondance entre Sony Labou Tansi et Françoise Ligier par Céline Gahungu (2019) qui met au jour différents aspects du concours théâtral interafricain. En outre, il est indispensable de penser parfois contre l’institution, contre ce qui est le plus évidemment consacré afin de prendre la mesure de ses points d’aveuglement. Pourquoi certains artistes sont-ils moins visibles que d’autres ? Quels autres modes de légitimation peuvent rivaliser avec le système de consécration institutionnel ? Les archives de la création sont ainsi parfois invisibles, accessibles aux chercheur.es uniquement sous forme de traces mémorielles dans le souvenir des comédien.nes, « archives vivantes » (Lucet, Proust, 2017) et dans des mouvements artistiques ou des œuvres postérieures à l’époque étudiée. Il s’agit parfois de « fabriquer des archives » porteuses de mémoires dissidentes ou contrastées (Fiquet, Malaquais, Rahal, Vincent, 2015). Quelles en sont les implications pour le chercheur et l’objet étudié ?

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Les propositions d’articles (environ 500 mots) sont à envoyer avant le 15 mars 2019 à l’adresse suivante : aurore.desgranges@hotmail.fr.

Réponse du comité : 31 Mars 2019.

Les articles retenus devront ensuite être soumis avant le 15 juin 2019 en tenant compte des consignes éditoriales de la revue https://journals.openedition.org/coma/629

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Bibliographie

Barber (Karin), Collins (John), Ricard (Alain), West African Popular Theatre, Indiana University Press, Bloomington, 1997.

Chalaye (Sylvie), Afrique noire et dramaturgies contemporaines : Le syndrome Frankenstein. Editions Théâtrales, Paris, 2004.

Chalaye (Sylvie), Corps marron, Les poétiques de marronnage des dramaturgies afro-contemporaines, Editions Passage(s), Caen, 2018.

De Biasi (Pierre-Marc), Génétique des textes, CNRS Editions, Paris, 2011.

Féral (Josette), « Introduction : Towards a Genetic Study of Performance – Take 2 », Theatre research international, vol.33, n°3, 2008, pp.223-333.

Fiangor (Rogo Koffi M.) Le théâtre africain francophone, Analyse de l’écriture, de l’évolution et des apports interculturels, L’Harmattan, Paris, 2002.

Fiquet (Eloi), Malaquais (Dominique), Rahal (Malika), Vincent (Cédric), « Panafest : une archive en devenir », Le Lay (Maëline), Malaquais (Dominique), Siegert (Nadine) dir., Archives (remix), Vues d’Afrique, Presses Universitaires de Rennes, Rennes, 2015, pp.209-228.

Gahungu (Céline), Sony Labou Tansi, Naissance d’un écrivain, CNRS Editions, Paris, 2019.

Ginzburg (Carlo), « Signes, traces, pistes : Racines d’un paradigme de l’indice », Le Débat 1980/6, n°6, pp. 3-44.

Grésillon (Almuth), Mervant-Roux (Marie-Madeleine), Budor (Dominique), Genèses théâtrales, CNRS Editions, Paris, 2010.

Landis (Johannes), « Un objet pour la mémoire contemporaine, Les documents génétiques écrits de mise en scène », Mémoires, traces et archives en création dans les arts de la scène, Lucet (Sophie), Proust (Sophie) dir., Presses Universitaires de Rennes, Rennes, 2017, pp.69-78. 

Léger (Nathalie), Grésillon (Almuth), « Scènes de genèses théâtrales », Genesis 26, Théâtre, 2005.

Lelay (Maëline), « La parole construit le pays », Théâtre langue et didactisme au Katanga, (République démocratique du Congo), Honoré Champion, Paris, 2014.

Le Lay (Maëline), Malaquais (Dominique), Siegert (Nadine), Archives (re)mix, Vues d’Afrique, Presses Universitaires de Rennes, Rennes, 2015.

Lucet (Sophie), « Les instruments de la refiguration du temps, Traces, héritages et mémoires du spectacle vivant », Mémoires, traces et archives en création dans les arts de la scène, Lucet (Sophie), Proust (Sophie) dir., Presses Universitaires de Rennes, Rennes, 2017, pp.13-26.

Lucet (Sophie), Proust (Sophie) dir., Mémoires, traces et archives en création dans les arts de la scène, Presses Universitaires de Rennes, Rennes, 2017.

Mac Auley (Gay), « Towards an ethnography of rehearsal », New Theatre Quaterly, vol.14, Issue 53, pp.75-85, 1998.

Marcus (Georges E.), « Ethnography in/of the World System : The Emergence of Multi-sited Ethnography », Annual Review of Anthropology, vol. 24, 1995, pp.95-117.

Martin Granel (Nicolas), Peghini (Julie) dir., Sony Labou Tansi en scène (s), La Chair et l’Idée, Théâtre et poèmes inédits, lettres, témoignages, écrits et regards critiques, Les solitaires intempestifs, Besançon, 2015.

Mervant-Roux (Madeleine), « Construire à plusieurs la machine à jouer », Genesis, 41,  Créer à plusieurs mains, 2015.

Nouwligbeto (Fernand), Théâtre béninois : logiques marchandes et enjeux esthétiques, CIREF Editions, Cotonou, 2016.

Robertson (Roland), « Glocalization : Time-space and homogeneity-heterogeneity », Featherstone (Mike), Lash (Scott), Robertson (Roland) éd., Global modernities, Sage, London, 1995, p.25-44.

Siaud (Florent), « La génétique de la mise en scène à l’épreuve de l’expérience humaine », Anokhina (Olga), Idmhand (Fatiha) dir., La fabrique du texte à l’épreuve de la génétique, Editions des archives contemporaines, France, 2018, pp. 29-43. Disponible en ligne : http://eac.ac/books/9782813002723.