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Revue Dialogues francophones, n°32 :

Revue Dialogues francophones, n°32 : "Générations – un univers polysémique (?)"

Publié le par Université de Lausanne (Source : Ileana Neli Eiben)

Générations – un univers polysémique (?)

Revue Dialogues francophones, n°32 

 

PRÉSENTATION

La richesse polysémique du mot « génération » n’est plus à démontrer. D’origine latine (generatio : « génération, reproduction, engendrement »), il signifie d’une part, « action d’engendrer » (TLFi), et d’autre part, « [e]nsemble de ceux qui descendent d’une même origine » ou « [e]nsemble de ceux qui vivent à une même époque et qui ont sensiblement le même âge » (TLFi). 

Dans sa première acception, « génération » peut apparaître dans des syntagmes tels que « génération (a)sexuée », « génération spontanée » ou bien « génération automatique de textes ». 

Dans sa deuxième acception, le mot « génération » signifie groupe de personnes s’apparentant par des traits communs tels l’appartenance, la famille, l’âge, l’origine. Aussi ce terme peut-il renvoyer à un ensemble de « personnes situées au même degré de filiation dans la descendance d’un individu » ; à un groupe d’« individus ayant à peu près le même âge en même temps » (De Rudder 1998) ; à un « groupe social porteur de changement […] se distinguant par un comportement et des attitudes sociopolitiques » (Falardeau1990 : 60) ; à des mécanismes de transmission, d’héritage et de reproduction d’un bagage culturel, identitaire et linguistique (Devriese 1989 : 11). Il suffit de survoler la Bible pour constater que très souvent un individu est défini en rapport avec ses prédécesseurs : il est le fils de son père qui, à son tour, est le fils de quelqu’un d’autre. Dans les sociétés traditionnelles, la filiation sert à relier les membres de la même descendance et à les regrouper dans une collectivité. À l’intérieur de cette collectivité il y a une succession, un partage des savoir-faire, une transmission des valeurs, un souci de conformité. Or, au XIXe siècle, suite à l’impact des avances technologiques, une mutation s’est produite dans la société de sorte que les traditions d’autrefois ont disparu pour faire place « aux rites de la grande masse, c’est-à-dire à l’uniformité » (Eisendstadt, 1993 : 188). S’ensuit alors un changement dans les mentalités, ce qui fait qu’un individu ne se définit plus par son appartenance à une famille, mais par son appartenance à une collectivité dont les sujets partagent une même « période historique », un même « vécu », une même « vision du monde » (De Rudder 1998). Une génération dure environ 30 ans, mais à l’intérieur d’une société plusieurs générations coexistent, ce qui mène souvent à des conflits d’opinions, à une révolte, surtout des jeunes générations envers leurs prédécesseurs. 

Vu les significations multiples du mot « génération », il n’est pas surprenant qu’il a fait carrière tant en histoire, en sociologie qu’en littérature. Il devient ainsi pertinent d’interroger les créations littéraires pour voir comment cette notion est mise en texte et par quelles pratiques d’écriture elle réussit à l’enrichir et à l’ouvrir à d’autres textes.

Depuis ses débuts, la littérature cherche à surprendre plusieurs aspects concernant les générations, très souvent y étant question d’ancrage (dans le temps et dans l’espace, dans la tradition et dans la langue), d’(in)adaptation et d’évolution ou encore mieux de révolution. De même, il arrive que les écrivains se servent de la fiction pour parler des événements qui ont marqué toute une communauté à une certaine époque, pour redonner la voix à ceux à qui on a interdit de s’exprimer ou pour faire parler des individus aphasiques que la société a tenté d’oublier. À travers la mémoire, ils revisitent l’Histoire, leur histoire ou celle de leurs proches ; ils la « re-lisent » et la « ré-écrivent ». 

À l’époque contemporaine, chez les écrivains dont les racines ne servent plus à les fixer à jamais dans un seul endroit, la notion de « génération » acquiert de nouvelles valences. Ces écrivains se détachent de leur pays, de leurs concitoyens, pour intégrer un nouvel espace où ils rencontrent des individus de même âge avec lesquels ils partagent toute une série de valeurs et d’attitudes sociopolitiques. Installés dans le pays d’accueil, ils essayent de se créer une tradition à eux, de fonder une famille dont les enfants seront rangés dans des structures telles « génération zéro » ou « enfants illégitimes ».

On se sert de ces syntagmes pour désigner les écrivains nés dans le pays d’accueil de parents migrants dont ils se réclament ouvertement sans pour autant pouvoir échapper à l’étiquette « deuxième génération », qui les range dans un statut qui ne leur appartient pas (mais dont ils ont hérité) – immigré, étranger, hors société. Dans leurs productions littéraires, ces auteurs appartenant à des vagues différentes, inassimilables, transposent le vécu de leur génération. 
Dans le contexte actuel, d’évolution des nouvelles technologies et de transformations produites dans presque tous les domaines d’activité, il devient aussi pertinent de s’interroger sur la façon dont on génère des textes aujourd’hui. Suite à la « révolution numérique », le texte a changé de forme puisque les pratiques d’écriture ne sont plus les mêmes. Les nouvelles formes textuelles qui se prolifèrent sur la Toile par le truchement de sites d’écrivains, de blogs, de réseaux sociaux, de Facebook ou Twitter, nous amènent à nous interroger sur les enjeux de la création littéraire d’aujourd’hui. Les fragments qui en résultent sont-ils de la littérature ? Si oui, alors comment convient-il de les approcher ? Quels outils d’analyse pour enquêter ces pratiques du web ? Comment ces « nouveaux » écrivains sont-ils perçus par les lecteurs ? Comme ils ne sont plus seulement les auteurs de leurs textes, mais aussi en quelque sorte les « éditeurs », comment leur statut a changé ? Ne risque-t-on pas de dévaloriser la « littérature » ? Qui est le destinataire de ces textes ? 
En survolant les littératures française et francophones, on constate, comme dans toute littérature d’ailleurs, que des « générations » d’écrivains se sont succédé au fil du temps en manifestant une attitude soit de rejet soit d’acceptation les uns envers les autres. Certains auteurs contestent le savoir-faire scriptural de leurs prédécesseurs, d’autres revendiquent et s’inspirent de l’héritage de leurs précurseurs. En effet, il serait incitant d’analyser ce rapport entre l’ancienne école et la nouvelle vague, deux entités qui peuvent se différencier sans pour autant s’exclure mutuellement. Alors, on pourrait s’interroger sur la façon dont ces prises de positions ont influencé la capacité d’innovation de chaque génération et sur leur contribution à la « république mondiale des lettres » (Casanova, 2008).

Le numéro 22 de la revue Dialogues francophones se veut donc une réflexion sur la « génération » comme productrice de textes, et sur les enjeux de la création littéraire à l’heure actuelle   et non seulement  , mais aussi sur la représentation de la « génération » comme groupe d’individus (même origine, même âge, même époque) dans les littératures française et francophones.

CALENDRIER

Dernier délai pour la réception des articles : le 30 juin 2019
Les articles compteront entre 25 000 et 40 000 signes (espaces compris) et seront accompagnés de : résumé (en français et en anglais), 200–250 mots, et minimum 5 mots-clés (en français et en anglais).
Réponse aux auteurs : à partir du 15 juillet 2019
Les articles seront envoyés à l’adresse : ileana.eiben@e-uvt.ro

 

BIBLIOGRAPHIE

CASANOVA, Pascale. La république mondiale des lettres. Paris : Éditions de Seuil, 2008 [1999].
DE RUDDER, Véronique. « Identité, origine et étiquetage. De l’ethnique au racial, savamment cultivés… », in Journal des Anthropologues, « Nationaux, étrangers ? Logiques d’état et enjeux quotidiens », n° 72-73,1998, URL : http://jda.revues.org/2697
DEVRIESE, Marc. « Approche sociologique de la génération ». Vingtième Siècle. Revue d’histoire, n° 22, avril-juin 1989 : 11-16.
EISENSTADT, Shmuel Noah. « Générations ». Encyclopedia universalis, Corpus 10. Encyclopedia Universalis Editeur à Paris, Paris. 1993 : 186-193. 
FALARDEAU, Guy. « La sociologie des générations depuis les années soixante : synthèse, bilan et perspective ». Politique, « Les nouveaux enjeux du politique », n° 17, hiver 1990 : 59-89.
MANNHEIM, Karl. Le problème des générations, traduit de l'allemand par Gérard Mauger et Nia Perivolaropoulou. Paris : Nathan, 1990.

*** Dictionnaire Gaffiot latin-français (2016)
*** Trésor de la langue française informatisé. [En ligne.] URL : http://atilf.atilf.fr/