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Appels à contributions
L’imaginaire des grands espaces américains (revue Babel)

L’imaginaire des grands espaces américains (revue Babel)

Publié le par Marc Escola (Source : José García-Romeu)

Appel à contribution pour la revue Babel – Littératures plurielles

« L’imaginaire des grands espaces américains »

N° 39, 1er semestre 2019

Sous la direction de Patrick Hubner et de José García-Romeu

 

L’imaginaire des grands espaces est indissolublement lié à la conquête des Amériques et va profondément déterminer la constitution des nouvelles littératures nationales, émergeant de la première époque coloniale aux dépens des cultures natives. Tandis que celles-ci concevaient l’espace en établissant un rapport magique entre les échelles humaines et cosmiques, les premiers conquérants européens allaient y voir à la fois la mise en cause troublante de leur vision biblique (comment des descendants d’Adam auraient-ils pu atteindre ces horizons lointains et vivre si longtemps éloignés de la main de Dieu ?) et le réceptacle des rêves, des utopies et des mythes fondamentaux (Colomb s’attendait à y retrouver le Paradis terrestre), si présents dans la mémoire collective européenne mais absents des cartes de l’Ancien Monde. Ainsi se forge, dès 1492, chez Colomb, Cortés, Nuñez Cabeza de Vaca… un imaginaire où se croisent l’ancien (références bibliques, mythologies et légendes européennes) et le nouveau (renversement des représentations géographiques classiques, découverte de terres inconnues habitées par des êtres étranges et couvertes de végétaux aux vertus édéniques). C’est dans ces textes que s’établissent déjà les paradigmes de l’espace américain : terre vierge à conquérir pour un nouveau départ, ou terre eschatologique où l’Occident achèvera sa course…

L’ensemble de ces problématiques pourrait être envisagé sur le mode d’un triptyque permettant d’établir des parallèles mais aussi de marquer des différences dans le traitement et dans la nature même des grands espaces, à commencer par ceux de l’Amérique latine, la première à avoir été colonisée.

I/ Très tôt dans l’Amérique traversée par les Conquistadors – avec la Cité des Césars et l’Eldorado en toile de fond – de grands fantasmes inspirent tout à la fois des expéditions rapaces et un désir d’utopie, lequel tentera de se concrétiser dans les missions jésuites de la forêt guaraní tout autant que dans le rêve de puissance que traduisent la fondation des villes et la soumission au projet colonial des populations natives. La nouveauté et l’impact de ces débats sont tels qu’ils débordent le monde hispanique et s’étendent à travers les siècles. De manière significative, l’œuvre de Voltaire prend une distance critique par rapport à l’évangélisation espagnole du Nouveau Monde, notamment en ce qui concerne ces missions jésuites, sévèrement critiquées par les Lumières dans l’instauration de réductions regroupant les indigènes dans un espace cadastré et limité sous couvert de conversion au christianisme et à l’économie coloniale, loin en tout cas de l’imaginaire de liberté associée aux grands espaces naturels d’une Amérique précoloniale, fantasmée en continent vierge, ouvert à toutes les promesses. Chateaubriand tentera une réhabilitation dans une utopie nord-américaine de ces missions sud-américaines mises à mal par l’esprit des Lumières. Ce même Voltaire fera la satire du mythe géographique de l’Eldorado en une utopie trop pleine, isolée (isola / insula), délimitée par la barrière rocheuse de la Cordillère qui matérialise le saut hors de l’histoire et comme un point de fuite virtuel dans l’imaginaire des grands espaces du Sud.

Lorsque sonnera l’heure de l’émancipation, au tournant du siècle des Lumières et du romantisme, l’Amérique latine devra se trouver une identité géographique et définir sa conception de l’espace national. Se développe alors la longue lignée des récits qui, de Sarmiento à García Márquez, s’interrogent sur les rapports entre la nature primitive et la civilisation. Le premier y verra une dichotomie radicale entre la barbarie profonde du sauvage et la sophistication policée du citadin d’origine européenne (Civilización y barbarie, 1845). Plus d’un siècle plus tard, le second opposera l’indétermination du mythe original à la modernité capitaliste (Cien años de soledad, 1967). Le monde qui se construit alors est un monde de frontières conflictuelles : frontières pionnières (La vorágina, José Eustasio Rivera, 1924) qui repoussent dans les réserves ou dans l’extermination les dernières populations indigènes (Indios, ejército y frontera, David Viñas, 1982), frontières sociales qui découpent le territoire en espaces de production ou en espaces de jouissance différenciés pour les riches et les pauvres (Villa Miseria también es América, Bernardo Verbitsky, 1957).

Pourtant, on n’abandonne jamais totalement l’espoir d’un espace heureux : dans les villes, avec l’édification de cités modèles, La Plata ou Brasilia ; dans les campagnes, avec les espérances toujours renouvelées que nourrit la réforme agraire, et ce malgré les meurtres et la répression commandités par des oligarchies vissées à leurs privilèges (Muertos incómodos, Ignacio Taibo II et Subcomandante Marcos, 2005).

II/ Le volet central de ce triptyque consacré à l’imaginaire des grands espaces américains pourrait, en amont, s’interroger sur l’importance du motif de la traversée amplifié, il n’y a pas encore si longtemps, par la durée du voyage maritime – le jeune vicomte de Chateaubriand, fuyant la révolution française, qui s’embarque pour une traversée de trois mois depuis Saint Malo sur un brick affrété pour des séminaristes, restera cinq mois dans l’Amérique révolutionnée puis regagnera précipitamment la France en trois semaines de traversée, facilitée par les vents favorables au retour, sous prétexte de la fuite du Roi, apprise sur un journal qui lui aurait servi à allumer le feu pour faire bouillir des pommes de terre au cœur des solitudes boisées du Nouveau Monde (c’est du moins ce qu’il rapportera dans les Mémoires d’Outre-Tombe). C’est surtout le prolongement de l’imaginaire océanique qui hante la littérature européenne pour évoquer l’immensité des grands espaces américains, de Chateaubriand à Cendrars, en passant par d’importantes évocations des Voyages extraordinaires de Jules Verne, à force de comparaison et de métaphores maritimes décrivant les étendues désertiques ou herbeuses du Nouveau Monde à l’aide de pluriels magnifiants. En aval, c’est l’imaginaire des écrivains revenus dans le Vieux Monde, pour simplement y séjourner ou alors s’y exiler (Libro de navíos y borrascas, Daniel Moyano, 1983), qui mérite d’être analysé pour y déterminer tout un imaginaire nostalgique et symbolique de ces grands espaces d’Amérique, rêves de liberté parfois douloureusement contredits par la peur de l’oppression dans certaines dictatures sud-américaines ou fantasmatiquement entretenus par le rejet du cadastrage beaucoup plus dense de l’Ancien Monde.

III/ Enfin le troisième volet plus spécialement consacré à l’Amérique du Nord pourra s’inspirer des problématiques exposées par Jacques Cabau dans La Prairie perdue ou, plus récemment, par Pierre-Yves Pétillon dans La Grand’ Route, Espace et écriture en Amérique. En effet, ces deux essais consacrés à la spécificité de la littérature américaine, vieille de deux siècles et demi tout au plus, cernent l’importance de cet imaginaire des grands espaces conditionnant la vision géographique et historique des écrivains nord-américains, doublant en cela les écrivains européens. Ainsi depuis les premières fables de Washington Irving, Rip Van Winkle et la Légende du Val dormant jusqu’à Sur la Route de Kerouac, apôtre de la Beat Generation, en passant par Cooper, Thoreau, Walt Whitman… ne cesse de perdurer le fantasme d’une fuite hors de l’Amérique historique et matérialiste, fuite vers les grands espaces utopiques et rêvés, prolongeant le mythe de la Frontière théorisé par l’historien Frederick Jackson Turner à la fin du XIXème siècle mais contredit par le désenchantement des dernières décennies.

 

Envoi des propositions et des articles :

Le comité scientifique étudiera les propositions d’article qui seront envoyées par courriel à patrick.hubner@univ-tln.fr ou à jose.garcia-romeu@univ-tln.fr avant le 15/09/2018. Chaque proposition devra comporter un titre, un résumé de 700 signes maximum et un CV synthétique.

Les articles eux-mêmes seront à envoyer au plus tard le 20/12/2018. Ils devront être accompagnés d’un résumé et d’une liste de mots-clés (dix au maximum). Résumé et mots-clés devront être écrits dans la langue de l’article ainsi que dans une deuxième langue.

Les langues acceptées seront l’anglais, l’espagnol et le français.

Chaque article devra comporter au maximum 40.000 signes, espaces compris.

Les normes d’édition sont décrites dans la feuille de style, téléchargeable ici : http://journals.openedition.org/babel/2459?file=1.

 Chaque contribution sera soumise en double aveugle à la lecture des experts.

 

Comité scientifique :

José García-Romeu

Patrick Hubner