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La couleur dans la littérature et les arts (La Manouba, Tunisie)

La couleur dans la littérature et les arts (La Manouba, Tunisie)

Publié le par Marc Escola (Source : Bessem Aloui-Tasnime Ayed)

Université de La Manouba

Faculté des Lettres, des Arts et des Humanités de La Manouba

Département de Français.

 

Avec la collaboration de l’Unité de Recherche : Analyse textuelle, traduction et communication, UR16ES08.

 

                Appel à contribution au Colloque international

                   La Couleur dans la Littérature et les Arts

                            26-27 et 28 octobre 2017

 

« A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu : voyelles »[1]

 

La couleur, perception visuelle de la répartition spectrale de la lumière, est une sensation essentiellement humaine. Tandis que la science et la physique cherchent à l’analyser ou à la reproduire, la culture et l’art tendent à la décrire ou à la crypter. Les couleurs jouent un rôle important dans l’Histoire, la théologie, les sciences, les arts et les lettres. L’Homme en distingue les potentiels culturel, esthétique, rhétorique, symbolique, mystique, et ésotérique.

Au Moyen-Âge, par exemple, les couleurs sont un moyen de catégorisation. Elles dénotent le luxe ou l’exclusion. De nos jours, elles marquent les identités socio-politiques et expriment des opinions idiosyncratiques. En peinture, alors que les Classiques usent d’un ton grisâtre, les Romantiques et les Impressionnistes attribuent une présence allègre et éclatante aux couleurs. Les courants cubiste puis fauviste libèrent la couleur et déstructurent sa composition dans une perspective technique quasi scientifique. L’expressionisme, le symbolisme et le surréalisme, ensuite, lui confèrent une dimension significative et signifiante nouvelle. La couleur est une composante inflexible de la représentation picturale : la force de son visible muet, de son éclat silencieux, résiste à la saisie de l’œil, séduit les autres sens et fait osciller l'œuvre d’art entre visible et invisible, rayon et ombre, figural et figuratif. Ces éléments forment une coalescence dans laquelle la couleur agit dans une logique tridimensionnelle : brillance, teinte et saturation (Wittgenstein). Une sorte d’esthétique « coloriste » se déploie et propose un discours varié (dimension culturelle), dématérialisé (dimension mystique), sensuel (dimension sensorielle), purifié (dimension symbolique) et poétique (dimension poïétique) faisant des couleurs un langage à la fois abstrait et indépendant.

Le blanc, le noir, le rouge, le vert, le bleu, le rose, le gris, le jaune, l’orange… La palette est large ! Cette profusion a-t-elle un sens ? « Les couleurs sont désignées, explique Benveniste, elles ne désignent pas ; elles ne renvoient à rien, ne suggèrent rien d’une manière univoque. L’artiste les choisit, les amalgame, les dispose à son gré sur la toile, et c’est finalement dans la composition seule qu’elles s’organisent et prennent, techniquement parlant, une signification, par la sélection et l’arrangement. »[2] La couleur procède-t-elle d’une sémiotique particulière ? Pour Benveniste, admettre que la couleur est un signe serait trahison de son essence ! Husserl pense autrement. Il affirme que sa dimension sensorielle permet la signification par un « langage muet […] supérieur à celui des mots : véridique, immédiatement compréhensible, expressivité pure. ».[3] Ce langage muet émerveille Nietzsche dans Aurore : « La mer s’étend, pâle et brillante, elle ne peut pas parler. Le ciel joue avec des couleurs rouges, jaunes et vertes son éternel et muet jeu du soir, il ne peut pas parler. Les petites falaises et les récifs qui courent dans la mer, comme pour trouver l’endroit le plus solitaire, tous, ils ne peuvent pas parler. Ce mutisme qui nous surprend soudain, comme il est beau, et cruel à dilater l’âme ! Hélas ! Voici que le silence grandit encore et mon cœur se gonfle derechef : il s’effraye d’une nouvelle vérité, lui aussi ne peut pas parler […]. »[4] Le sens se défait devant le sens-ible et les couleurs subjuguent les philosophes ; elles les dérangent aussi, dit Goethe.

Par ailleurs, parler de couleurs devant un poète, l’extasie. Ainsi, fit Baudelaire en évoquant la peinture de Catlin dans Le Cornac des sauvages : «  Parleurs belles attitudes et l’aisance de leurs mouvements ces sauvages font comprendre la sculpture antique… le rouge, cette couleur si obscure, si épaisse, plus difficile à pénétrer que les yeux d’un serpent, le vert, cette couleur calme et gaie souriante de la nature, je les retrouve chantant leur antithèse mélodique jusque le visage de ces deux héros »[5].Baudelaire voue une admiration infinie aux couleurs. Lecteur de Salammbô de Flaubert, Zola admirait « l’échappée splendide du lyrique, du coloriste ardent, heureux d’être dans son véritable pays de lumière, de parfum, d’étoffes éclatantes. »[6] Zola reconnait en lui l’écrivain épris de couleurs. Flaubert affirme que les couleurs sont « la quintessence supérieure du livre ». Écrire pour Flaubert, c’est « rendre une coloration, une nuance ». Malraux en pense autant. Son imaginaire essentiellement visuel, influencé par Goya, Vélasquez et le Greco, propose une chromatique que lui-même qualifie de surréelle : « J’ai d’abord été saisi et presque étourdi : ces corps droits ont quelque chose de fantastique, mais de surréel dans cette lumière et ce silence. » La couleur rivalise avec le langage et propose des mots, voire un « sens chromatique » qui exprime le mieux l’essence de « l’œuvre figurative » de Malraux. Plus qu’un ornement et/ou qu’un symbole, la couleur forme dans l’univers balzacien le caractère des personnages et détermine leur comportement. Dans La Comédie Humaine, « l’âme a je ne sais quel attachement pour le blanc, l’amour se plaît dans le rouge et l’or flatte les passions. »[7] La couleur reflète les émotions mais affecte l'esthétique, bouleverse les règles strictes de la poésie et insuffle au roman la force et l'intensité chromatique de la peinture.

Par ailleurs, dans les littératures francophones, la couleur représente en soi un parcours poétique qui témoigne du tragique sur le continent africain et les terres des Caraïbes. C’est ainsi qu’elle aborde la façon dont les enjeux raciaux et identitaires de la francophonie se mêlent. Le concept de « francophonies noires » reconsidère les histoires des communautés noires, en termes de culture et d’identité, du point de vue littéraire et artistique. L’Afrique comme les Caraïbes ont subi des séismes politiques et identitaires, linguistiques. De ces fractures intimes naissent des couleurs témoignant de l’esclavage. Quelle couleur dit le mieux la colonisation, la dictature, les combats, les haines, les apaisements et les luttes ? En Afrique, le noir est pluriel. Il exprime la saturation du sens et se présente comme la métaphore du non-sens. Couleur des ténèbres, le noir n'a pas toujours été une couleur négative. Il est associé à la tempérance, à la dignité et à l'autorité et incarne la modernité. Quant au blanc, outre l’image du bourreau qu’il représente, il peut être l’expression du silence et de l’impuissance langagière. Dans un autre genre, le noir et le blanc se défont au cinéma où on fête, à partir de 1892, une palette illimitée de teintes et de pigments à fonctions et représentations multiples.

Ce colloque s’inscrivant dans une perspective pluridisciplinaire, des propositions de communication émanant de spécialistes en littérature, comparatisme, philosophie, théologie, linguistique, musique, arts visuels (peinture, bande dessinée, albums, illustration, théâtre, cinéma, télévision), études culturelles, cultures de jeunesse, etc. sont les bienvenues. Les communications pourraient s’inscrire dans les axes de réflexion suivants :

- Couleur, textes et langage ; les mots de couleur ; les couleurs sonores ; musique des couleurs

- Perceptions, associations et rôles des couleurs à travers l’art pictural, architectural ou visuel

- Représentations, cultures et identités des couleurs dans les littératures et la société.

Les propositions d’intervention avec titre, d’environ 300 mots, accompagnées d’une brève notice biographique sont à envoyer à l’adresse suivante : couleur.flahm@yahoo.com avant le 30 juin 2017.

 

Comité scientifique :

Fadhila LAOUANI.

Zinelabidine BENAISSA.

Samir MARZOUKI.

Mokhtar SAHNOUN.

Habib BEN SALHA.

Afifa CHAOUACHI MARZOUKI.

Jalel EL GHARBI.

Ali ABASSI.

Amor BEN ALI.

Abderrazak SAYADI.

 

Comité d’organisation :

Bessem ALOUI.

Tasnime AYED.

Jihane TBINI.

Ahlem GHAYEZA.

Sana DAHMANI.

Fadhila LOUANI.

Zinelabidine BENAISSA.

 

Université de La Manouba 2016 / 2017

 

[1]Arthur Rimbaud, « Voyelles », Poésies complètes.

[2] Emile Benveniste, Problèmes de linguistique générale, Paris, Gallimard, coll. Tel, 1966, p. 53.

[3] Jacques Le Rider, Les Couleurs et les mots, Paris, PUF, 1997.

[4] Friedrich Nietzsche, Aurore, in Œuvres. (dir. J. Lacoste et J. Le Rider).Paris, Robert Laffont, coll. Bouquins, 1993,  p. 423.

[5] Charles Baudelaire, Œuvres Complètes, Collection Bibliothèque de la Pléiade, T1, Gallimard, 1975, p.136.

[6] Émile Zola, Du roman: sur Stendhal, Flaubert et les Goncourt, 1989, p.161.

[7](XIII, 382).