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La question de l’animation et de l’image animée autour d’Émile Reynaud (1844-1918)

La question de l’animation et de l’image animée autour d’Émile Reynaud (1844-1918)

Publié le par Université de Lausanne (Source : Christelle Odoux)

Avant, après et au-delà la cinématographie

La question de l’animation et de l’image animée autour d’Émile Reynaud (1844-1918)

Histoire des médias, esthétiques de l’animation, repérages des voies encore inexplorées
 

Malgré la prévision d’un « retour en force » de l’inventeur formulée par André Gaudreault et Philippe Marion dans leur ouvrage en 2013, qu’en est-il réellement de la recherche actuelle concernant ce « refoulé » de l’histoire qu’est Émile Reynaud1 ?

Par sa position particulière dans la question de l’invention du cinéma, la question esthétique de son travail semble avoir été peu explorée. L’approche non-plus téléologique mais sérielle proposée par André Gaudreault2 ouvre des pistes de réflexion nouvelles créant parfois des passerelles avec la création contemporaine.

Archives, conservation, restauration et diffusion

Émile Reynaud a revendu ou détruit une grande partie de ses appareils, la plupart des documents de production et presque toutes les bandes de ses Pantomimes lumineuses entre 1910 et 1913. Nous avons pu, lors d’un précédent colloque3, faire un état des archives et des documents de recherche. De nouveaux éléments ont été recueillis et sont actuellement traités par l’association des Amis d’Émile Reynaud et par la famille4. Avec l’inscription du spectacle des Pantomimes lumineuses d’Émile Reynaud au Registre Mémoire du monde de l’UNESCO (2015), qu’en est-il de l’état des documents sources ? Quelles sont les conditions actuelles de leur conservation ?

Tout au long du XXe siècle, différents écrits, expositions, films documentaires réalisés à l’occasion de différents hommages et commémorations ont permis une meilleure connaissance du travail d’Émile Reynaud. Quelle fut, dans ces diverses productions, la part de subjectivité, d’interprétation, d’appropriation, d’erreurs et de confusions ? Pour pouvoir montrer ces images, plusieurs reconstitutions d’appareils et adaptations cinématographiques ont été réalisées à partir des quelques documents sources existants. Quels choix ont été faits, quelles difficultés techniques ont dû être surmontées lors de ces constructions ? Quelle part à la remédiation de ces images et quelles informations en ont été données dans les supports de communication des événements et dans la scénographie, pour permettre au public de prendre conscience des différences et similitudes avec le spectacle original ?

Question historique, voies inexplorées

Le 28 octobre 1892, Émile Reynaud projette à l’aide de son Théâtre optique pour la première fois au public du musée Grévin à Paris, les Pantomimes lumineuses, soit trois ans avant la première projection publique des frères Lumière. La première biographie écrite en 1926 par Maurice Noverre5 pose Émile Reynaud en tant qu’inventeur de la « projection animée ». Les biographies suivantes s’inscrivent dans cette lignée. Quelle est la place d’Émile Reynaud dans l’écriture de l’Histoire du cinéma, du pré-cinéma, de l’animation et dans la constitution d’un imaginaire de la projection animée ?

Définir la vie et les travaux d’Émile Reynaud exclusivement par rapport à la question de l’« Invention » a souvent conduit les recherches à considérer la seule période des Pantomimes lumineuses (1892-1900) et à négliger ainsi à la fois les travaux antérieurs (photographie6, enseignement, météorologie, mécanique…) et les recherches de la fin de sa vie (stéréoscopie7). Une remise en contexte globale de la vie de l’inventeur permettrait d’en comprendre les sources d’inspirations (conférences de vulgarisation scientifique, spectacles de Lanterne magique, Pepper’s ghosts, pantomime scénique, musique, peinture…).

Dès lors, quelle est la part d’invention et d’inédit dans le spectacle des Pantomimes lumineuses ? L’utilisation de la compensation optique par la rotation de la cage de miroir8 du Praxinoscope et du Théâtre optique ? Le fait de raconter par la projection des histoires pleines de péripéties grâce à une bande perforée de longueur indéfinie ? Le passage du mouvement en boucle des jouets optiques au mouvement complexe du Théâtre optique ?

Questions esthétiques et techniques, l’image et le mouvement

Pour comprendre les spécificités des travaux d’Émile Reynaud, il faut considérer le Théâtre optique non plus comme un appareil qui aurait « raté la marche » de « ce qui fait cinématographie » mais bien comme un dispositif « faisant animation », et les Pantomimes lumineuses non plus comme des films pré-enregistrés sur un support qui préfigurerait la pellicule de cinéma mais comme un spectacle de projection animée performative. Certaines de ces spécificités vont se retrouver de façon transversale dans les réflexions autour de l’image animée et vont trouver des échos dans le travail de certains créateurs contemporains.

Performances animées et transmédialité

Lors de la manipulation du Théâtre optique au moment des projections publiques9, Émile Reynaud maîtrisait totalement son mouvement. La performance ne se faisait pas exclusivement par l’accompagnement musical10 ou par le « boniment » habituel des projections de l’époque. Le créateur de la Pantomime lumineuse doit concevoir l’enchaînement des images peintes sur sa bande de façon à permettre au manipulateur du Théâtre optique de rentre visible et compréhensible par le spectateur l’intention narrative de son mouvement.

À l’aide de cette technique, chaque manipulateur peut apporter, en condition de spectacle, une interprétation différente à partir de la même suite d’images et chaque représentation est différente.

De plus en plus de créateurs proposent de nos jours des projections animées dans lesquelles l’animation se construit en direct en fonction du public et/ou en relation avec d’autres médias (danse, théâtre, musique…) comme dans le travail performatif de Pierre Hébert et Bob Ostertag ou dans le travail chorégraphique de Mourad Merzouki11.

Le temps de l’image, de l’éclipse et de l’intervalle

Avec le Théâtre optique, la transition entre les images se fait par substitution progressive lors de la rotation de la cage de miroirs. Grâce à la compensation optique, l’image reste fixe tout en disparaissant progressivement au profit de la suivante. Le manipulateur, à l’instar du manipulateur de marionnettes, doit contrôler son geste12 afin de maintenir chaque image visible le temps nécessaire avant d’enchaîner, de façon plus ou moins rapide, sur la suivante et anticiper le cas échéant sur un retour en arrière pour une répétition du mouvement. Dès lors, le mouvement ne peut se calculer en nombre d’images par seconde, comme en dessin animé traditionnel et le temps de projection d’une même Pantomime peut varier d’une représentation et d’une interprétation à une autre.

Dans ses derniers travaux et pour La Jeune Fille sans mains, Sébastien Laudenbach se trouve également dans une démarche de recherche du temps nécessaire à l’image, à sa trace et à son absence, pour construire un mouvement visible et compréhensible par le spectateur.

Opacités et transparences dans la projection animée

En animation cinématographiée, cette question de l’opacité et des transparences de l’image animée va se poser en amont de l’enregistrement des images, avec l’usage des celluloïdes, des bancs-titres dans le dessin animé traditionnel ou bien encore avec la Servaisgraphie de Raoul Servais, entre autres. En animation par ordinateur, des caches et filtres sont utilisés par différents logiciels. L’image se construit de façon composite avec des éléments fixes et des éléments animés qui se superposent, se masquent ou se rendent visibles en fonction de la narration. En peinture animée13, les couleurs et les matières peuvent se superposer sur un support de base.

Avec les dispositifs tels que le Théâtre optique cette question se pose au moment même de la projection : Quelle(s) source(s) lumineuse(s) ? Quelle(s) modification(s) éventuelle(s) dans la trajectoire de projection (optique, miroir, cache...) et la nature du/des supports(s) de réception de l’image animé (écran, fumée, sculpture, monument...). Chacun de ces éléments étant éventuellement modulable.

Ces questions se trouvent au cœur du travail de Nicolas Schoëffer, de Pierrick Sorin ou de Bruno Cohen… dans les vidéos mapping, les effets de Pepper’s ghost des projections holographiques actuelles et dans de plus en plus de Festivals de lumière.

Le mouvement, entre chronophotographie et Pantomimes lumineuses, entre motion capture14 et abstraction15 ; Les Photo-peintures animées

Le développement des techniques de motion capture remet en avant la question de l’enregistrement du mouvement des corps, de son application au cinéma. Entre analyse et synthèse du mouvement quelle est la part conservée au créateur depuis l’interprétation du comédien sous ses capteurs à l’animateur qui adapte ce mouvement à l’image ?

À partir de 1895, Émile Reynaud applique la Chronophotographie d’Étienne-Jules Marey au Théâtre optique avec une seconde génération de bande de Pantomimes lumineuses qu’il appelle des Photo peintures animées 16.

Dans le contexte d’éclosion du Cinématographe Lumière, ces projections pourraient passer pour de simples projections chronophotographiques colorisées mais Émile Reynaud va intervenir sur le mouvement en sélectionnant des phases-clés dans les poses enregistrées.

Cette journée d’étude autour d’Émile Reynaud propose à la fois de faire un point sur les éléments historiques et historiographiques existants, d’en explorer les nouvelles pistes et également de replacer Émile Reynaud dans une réflexion esthétique de l’animation et de l’image animée incluant éventuellement une réflexion sur de nouvelles écritures de l’animation appliquées, par exemple, à la vulgarisation scientifique dans la scénographie muséale ou à l’univers vidéoludique et interrogeant la position interactive du spectateur et ou bien encore de l’usage de la boucle animée sur les réseaux sociaux ou de la stéréoscopie à l’heure de l’imagerie d’immersion…

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La journée d’études se déroulera à Paris le vendredi 7 décembre 2018. Les propositions (titre et résumé : 1 page) accompagnées d’une courte bio-bibliographie (nom, institution et publications importantes) doivent être envoyées :

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1. André Gaudreault et Philippe Marion, La Fin du Cinéma ? Un média en crise à l’ère du numérique, Paris, Armand Colin, 2013, p. 221-222.

2. André Gaudreault, Cinéma et attraction. Pour une nouvelle histoire du cinématographe, Paris, CNRS Editions, 2008.

3. Archives et acteurs des cinémas d’animation en France, colloque organisé par l’IRCAV qui s’est tenu les 30 et 31 octobre 2013 à l’INHA.

4. Sylvie Saerens, « Le Rôle de la famille Reynaud et de l’association des Amis d’Émile Reynaud et des institutions dans la conservation et la transmission des archives et des œuvres d’Emile Reynaud », Sébastien Denis, Chantal Duchet, Lucie Merijeau, Marie Pruvost-Delaspre, Sébastien Roffat (dir.), Archives et acteurs des cinémas d’animation en France, Collection Cinémas d’animations, L’Harmattan, Paris, 2014, pp. 47-53.

5. Maurice Noverre, La Vérité sur l’invention de la projection animée. Émile Reynaud, sa vie et ses travaux, imprimé pour l’auteur (1926). Réédité en 2013 aux éditions L’Harmattan (sous la direction de Sébastien Roffat, préface de Sylvie Saerens)

6. Christelle Odoux, « Émile Reynaud et la photographie », Cinéscopie n°27, septembre 2012, p. 5.

7. Christelle Odoux, « Émile Reynaud et la stéréoscopie », Cinéscopie n°15, septembre 2009, p. 30.

8. Christelle Odoux, « La Compensation optique chez Émile Reynaud », Bulletin de Liaison de l’association Les Amis d’Émile Reynaud, n°47, septembre 2011.

9. Christelle Odoux, « La Technique du Théâtre optique d’Émile Reynaud », Inter-Lignes, Actes du colloque Le Dessin animé ou les métamorphoses du réel, Institut Catholique de Toulouse les 7, 8 et 9 avril 2011

10. Avec des musiques originales composées par Gaston Paulin pour les Pantomimes lumineuses d’Émile Reynaud.

11. Voir le spectacle Pixel avec Adrien Mondot et Claire Bardainne.

12. Voir Pierre Hébert, L’Ange et l’Automate, Laval, éditions Les 400 coups, 1999.

13. Voir Stéphanie Varela, la peinture animée. Essai sur Émile Reynaud (1844-1918). Entre peinture et cinéma, L’Harmattan, 2010.

14. Voir Marco Grosoli et Jean-Baptiste Massuet (dir.), La Capture du mouvement ou le modelage de l’invisible, Coll. Le Spectaculaire, Presses universitaires de Rennes, 2014.

15. Voir Georges Sifianos, Esthétique du cinéma d’animation, Collection 7ART, Edition du cerf, 2012, Mouvement – abstraction complétude, p. 99.

16. Voir Dominique Willoughby, Le Cinéma graphique. Une histoire des dessins animés : des jouets d’optique au cinéma graphique, Textuel, 2009,

p. 67.


Comité scientifique de la journée
Jean-Baptiste Massuet - Maître de conférences, Université Rennes 2
Christelle Odoux - Déléguée Générale des Amis d’Emile Reynaud
Marie Pruvost-Delaspre - Maîtresse de conférences à l’Université Paris 8 Vincennes- Saint Denis
Sébastien Roffat - Docteur, chargé de cours, Université Paris 3 Sorbonne Nouvelle
Sylvie Saerens - Présidente des Amis d’Emile Reynaud et arrière petite-fille d’Emile Reynaud
Pascal Vimenet - Écrivain, expert en cinéma d’animation, enseignant à l’EMCA