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Le Moyen Age mort-vivant (TrOPICS n° 7)

Le Moyen Age mort-vivant (TrOPICS n° 7)

Publié le par Marc Escola (Source : Marc Arino)

Appel à contributions – Revue TrOPICS, n° 7 (2020) :

« Le Moyen Age mort-vivant »

Sous la direction d’Anne-Cécile Le Ribeuz–Koenig et de Marc Arino

TrOPICS est une revue électronique pluridisciplinaire en libre accès (http://tropics.univ-reunion.fr/accueil/) et à comité de lecture, dirigée par l’Equipe d’Accueil DIRE (Déplacements, Identités, Regards, Ecritures) de l'Université de la Réunion (http://dire.univ-reunion.fr/), dont le fondateur est G. Armand (http://dire.univ-reunion.fr/equipe/guilhem-armand-mcf-9e-section/). Elle propose un numéro thématique par an comprenant des articles, rubriques « Documents » et Varia, en Lettres et Sciences Humaines (arts et littérature, langues et civilisations étrangères, didactique des langues, linguistique, études culturelles, anthropologie et sociologie).     

La revue lance un appel à contribution pour son 7ème numéro à paraître courant 2020 et consacré au thème suivant : « Le Moyen Age mort-vivant »

« Les médias ne meurent jamais ; ils peuvent être abandonnés, devenir obsolètes, mais ils ne meurent pas […]. D’autre part, de façon plus positive, les « médias zombies » rendent possibles la réutilisation et le remixage, et permettent de repenser les médias anciens pour produire de nouveaux assemblages, idées, dispositifs et usages. […] Le médias sont partout, de la nature aux animaux, des rues aux écrans, aux sons et à l’électronique ; dans tout ce qui apporte des perceptions, des sensations, des souvenirs »,

(Pour une archéologie des virus. Entretien avec Jussi Parikka, Tracés 21, 2011-2, p. 242-243.)

Quand on s’intéresse à la littérature de la fin du Moyen Age, la réflexion de Jussi Parikka fait immédiatement écho à celle que l’on rencontre dans les textes médiévaux. Se percevant comme de « vieux fils », les écrivains des XIVe et XVe siècles qui puisent leurs matières auprès de l’autorité des anciens, qui cultivent les lettres vernaculaires dans la tradition, depuis deux siècles déjà, s’interrogent sur le renouvellement de leur art. Les écrits de cette période mettent donc en scène la mémoire du Moyen Age par lui-même, et tirent leur créativité des formes et matières anciennes recombinées.         

De plus, dans les lettres médiévales, à l’importance du souvenir, à l’épaisseur du temps, à ce retour du passé qui informe le présent, à l’ancien qui exprime le nouveau et au nouveau qui exprime l’ancien dans le plaisir de la littérature, s’ajoute une dimension multimédiale et même intermédiale. La démarche de l’archéologie des media invite en effet à une définition extensive des media, qu’on peut interpréter comme tous les supports de communication, et d’abord pour le Moyen Age, les supports corporels que sont la voix et les gestes, et les supports matériels que sont le manuscrit (rouleau et livre), puis l’imprimé.

Or, comme la période contemporaine, le Moyen Age connaît des media nouveaux qui engloutissent les anciens et propose une réflexion sur ces évolutions médiatiques. Plus au moins précocement selon les ‘genres’ – chanson de geste, roman, lyrisme – l’oralité (et donc la performance plus ou moins théâtralisée,  vocale, accompagnée de musique et / ou danse) est remplacée par la scripturalité : le medium écrit est d’abord un medium d’enregistrement, puis un medium  de réception et de production. Dans les œuvres médiévales épiques, romanesques, lyriques, on peut réfléchir aux imbrications, interférences, résonances qui existent entre le mouvement de la danse ou du mime, la musique instrumentale, le chant ou la cantillation et le texte manuscrit, ainsi qu’aux imaginaires/ esthétiques associés aux media passés, mais actualisés dans le texte qui les remémore.

L’approche proposée par Jussi Parikka permet ainsi de reconsidérer, pour les lettres médiévales, la question du renouvellement des formes et des matières, de l’inscription dans la tradition, de l’invention du point de vue médial et mediumnique.

Plus précisément, l’archéologie des media conduit à analyser l’articulation des media présents – les nouveaux et les morts-vivants – dans les œuvres médiévales, en s’intéressant aux effets de médiation et aux représentations magiques/surnaturelles de ceux-ci (on trouve des traces d’une représentation ‘archaïque’ sacrée du chant, comme de l’écriture, dans les œuvres médiévales).      Par exemple, pour le lyrisme, au tournant des XIVe et XVe siècles, est entérinée la scission entre la musique et la poésie ; les œuvres lyriques s’inscrivent dès lors dans des montages textuels, non seulement dans une perspective de conservation, mais aussi de partage par la lecture. A cette période, coexistent la voix et la vue pour la réception de la lyrique et le souvenir de la musique vocale ou instrumentale, voire de la danse à l’origine des formes lyriques comme le rondeau ou la ballade. Le concept de medium mort-vivant éclaire l’imbrication / le montage de différentes formes textuelles comme un mouvement dynamique, résultant de tensions entre processus de médiation présents et ceux passés, remémorés, réactualisés par le montage. Les media recombinés – voix, images et textes – contribuent à l’invention du medium présent, le texte manuscrit et enluminé, non seulement enregistrement, figuration mais aussi réflexion sur le montage.

Ainsi, le concept de media morts-vivants semble offrir des outils intéressants pour aborder les écrits des XIVe et XVe siècles, mais aussi pour penser les humanités numériques. Et les œuvres médiévales qui réfléchissent aux révolutions médiatiques du passé s’offriraient comme modèles pour penser la création et les media imbriqués d’aujourd’hui.

Il conviendrait dans ce numéro 7 de la revue TrOPICS de mener l’enquête sur les différents aspects que peuvent prendre les media  morts-vivants dans les œuvres qui nous intéressent : transposition esthétique (par exemple, la circularité de la danse et du chant informant celle du texte poétique) ; thématisation (les descriptions et représentations de scènes de performance : chant, danse, mime, lecture…) ; invention d’un medium imaginaire qui réfléchit au statut de l’œuvre intermédiale, tel un miroir parlant chez Froissart, qui met en scène une poésie lyrique à la fois circonscrite et conservée dans un support matériel, mais nostalgique de la voix. Ainsi, l’archéologie des media conduit à changer de point de vue sur les « lettres médiévales » et aborder le texte comme un medium qui interfère avec et relaie des media morts-vivants.

Par ailleurs, on pourrait penser que les interférences, par exemple texte-voix-image, sur la page du manuscrit médiéval, constituent un modèle pour comprendre les interférences contemporaines présentes dans la création artistique et les médias numériques. L’articulation médiévale entre les media anciens et nouveaux donne des clefs pour comprendre les media contemporains, en résonance avec les media préexistants – textes imprimés, voix, musiques, danses, images fixes et mobiles­ - en particulier dans une perspective artistique.

Le manuscrit médiéval numérisé et accessible en ligne pourrait aussi être analysé comme un exemple de medium mort-vivant, un support, une relation médiatique, disparus et réactualisés par la numérisation et la diffusion sur internet. Les humanités plus globalement deviendraient un exemple emblématique de media morts-vivants, revivifiés par le support numérique et l’imbrication, grâce à celui-ci, avec d’autres formes médiatiques : par exemple, un texte manuscrit numérisé côtoyant sur l’écran une édition critique, mais aussi une lecture ou une mise en scène contemporaine de l’œuvre médiévale, voire une transposition moderne, telle une performance multimédiale. La convergence médiale offerte par la numérisation et la diffusion sur la toile permettrait alors d’opérer un déplacement fécond par rapport à nos objets de recherche, jusqu’à présent le plus souvent perçus de manière univoque.

Plus largement il serait possible d’étudier toute adaptation/recréation, dans les arts de la scène, visuels ou plastiques, d’une œuvre médiévale ou de l’imaginaire des mondes médiévaux, qui ferait preuve d’originalité/d’inventivité dans le recours à son medium, au(x) jeu(x) entre media ou dans la représentation de performances.

Pistes d’études pour le numéro 7 de la revue T(r)OPICS :

  • L’archéologie des médias : médias morts-vivants ; médias médiévaux qui hantent les media modernes ;
  • L’aspect médial / intermédial : dégager les caractéristiques propres à chaque medium (instrument de musique, corps qui danse ou mime, musique vocale ou instrumentale, voix, image fixe ou mobile, texte manuscrit, texte imprimé, voire « esprit » ou « fantôme ») et à chaque processus de médiation (performance musicale ou orale, lecture individuelle d’un roman), du point de vue culturel, social, poétique ;
  • La question de la performance / « oralisation » qui réactualise l’œuvre et lui donne un nouveau sens (dimension socio-anthropologique) ;
  • Les imaginaires médiatiques médiévaux : les représentations des « jongleries » et manuscrits médiévaux dans les œuvres modernes ;
  • L’exhumation d’appareils : la question de l’archive manuscrite / des traces matérielles (qu’en est-il des performances vocales, musicales, théâtrales médiévales ?) ;
  • Dans le cadre d’une approche large des bornes chronologiques (temps anciens / Moyen Age /16ème siècle), comment « l’ancien » hante-t-il « le moderne » ?
  • Le médiévalisme / la réception du Moyen Age dans les media contemporains ;
  •   Une partie du numéro intitulée « Documents » pourra être consacrée à la présentation de nouvelles pistes didactiques et pratiques pédagogiques pour enseigner le Moyen Age dans les classes de collège et de lycée (nouveaux programmes 2015 en collège).

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Les propositions d’articles pour le numéro en lui-même ou de contributions à la partie « Documents » (3000 signes maximum, espaces et notes compris, hors bibliographie), ainsi qu’une courte bio-bibliographie des auteurs (10 lignes maximum) seront à envoyer avant le 15.12.18 à Anne-Cécile Le Ribeuz-Koenig et à Marc Arino aux deux adresses : anne-cecile.koenig@univ-reunion.fr et marc.arino@univ-reunion.fr

 

Calendrier informatif en vue de la publication du numéro en 2020

  • Les auteurs dont les propositions d’articles auront été retenues (une réponse leur sera donnée rapidement après le 15.12.18) devront envoyer ensuite leurs articles (entre 25000 et 35000 signes maximum, espaces et notes compris, hors bibliographie) aux co-directeurs du numéro pour expertise par le comité de lecture (suivant le principe de la double lecture anonyme) avant le 31.08.19 ;
  • Les articles et contributions devront être rédigés en français, la feuille de style à utiliser étant téléchargeable ici :  http://ufr-lsh.univ-reunion.fr/fileadmin/Fichiers/FLSH/BTCR/Publications/guide_auteur_BTCR.pdf
  • Les auteurs sont priés, en cas d’insertion d’images, de prendre leurs dispositions pour ce qui concerne les droits d’auteurs ;
  • La publication du numéro après expertise des articles par le comité de lecture et retour, le cas échéant, des versions corrigées par les auteurs, s’effectuera courant 2020.

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Eléments bibliographiques

Abiker, Séverine, Besson, Anne et Plet-Nicolas, Florence (dir.), Le Moyen Âge en jeu [actes du colloque de Bordeaux-Pessac, avril 2008], Eidôlon, n° 86, Pessac, Presses universitaires de Bordeaux, cop. 2009, 1 v., 406 p. (et DVD-ROM).

Citton, Yves, « Les Lumières de l’archéologie des media », Dix-huitième siècle, n° 46, 2014, p. 31-52.

Citton, Yves, « Herméneutique ou (re)médiation. Vers des études de media comparés ? », Critique, n° 817-818 « Où va l’herméneutique ? », juin-juillet 2015, p. 569-581.

Coste, Florent et Mussou, Amandine (dir.), Fabula-LhT, n°20, « Le Moyen Âge pour laboratoire »,  janvier 2018, URL : http://www.fabula.org/lht/20/introduction.html.

Dominguez, Véronique et Douchet, Sébastien (dir.), Perspectives médiévales, n°39, « Enseigner la langue et la culture médiévale en France aujourd’hui », 2018, URL : https://journals.openedition.org/peme/13779.

Doudet, Estelle, « Medieval Theater as Medium : A Survey in Media Archaeology », Studia Litterarum, vol. 2, n° 1, 2017, p. 44-61.

Doudet, Estelle, « Moyen Âge et archéologie des media. Vers un nouveau temps profond des arts et des imaginaires de la communication », Fabula-LhT, n°20, « Le Moyen Âge pour laboratoire », janvier 2018, URL : http://www.fabula.org/lht/20/doudet.html.

Ferré, Vincent (dir.), Médiévalisme, modernité du Moyen Âge (Itinéraires LTC, 2010-3), L'Harmattan, 2010, 200 p.

Gorgievski, Sandra, et Leroux, Xavier (éd.), Le Moyen Âge mis en scène : perspectives contemporaines, livraison de la revue Babel. Langages, Imaginaires, Civilisations, n° 15, Toulon, 2007. 1 vol., 350 p. (http://www.fabula.org/acta/document3995.php)

Huhtamo, Erkki et Parikka, Jussi (dir.), Media Archeaology. Approches, Applications and Implications, Berkeley, University of California Press, 2011.

Paloque-Berges, Camille et Turquier, Barbara, « Pour une archéologie des virus. Entretien avec Jussi Parikka », Tracés. Revue de Sciences humaines, n°21, 2011, URL :  http://traces.revues.org/5230.

Parikka, Jussi, traduit par Julien Quentin, « Archéologie des media et arts médiaux. Dialogue avec Garnet Hertz»,  Multitudes, n° 59,  2015, p. 206-216.

Parikka, Jussi, What is Media Archeology ?, Cambridge, Polity Press, 2012 ; Qu’est-ce que l’archéologie des media ?, Grenoble, UGA, 2018.

Zielinski, Siegfried, Archäologie der Medien. Zur Tiefenzeit des technischen Hörens und Sehen, Hamburg, Rowholts Taschenbuch Verlag, 2002.