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Le regard à l’œuvre : amplification et renversements du regard dans les arts scéniques et visuels

Le regard à l’œuvre : amplification et renversements du regard dans les arts scéniques et visuels

Publié le par Marc Escola (Source : Marie Garré Nicoara)

Appel à communication 

« Le regard à l’œuvre : amplification et renversements du regard dans les arts scéniques et visuels »

Université d’Artois – EA 4028 Textes et Cultures – Équipe Praxis et Esthétique des Arts

 Le 17 juin 2019 à l’Université d’Artois

 

Cette journée, co-organisée par les équipes d’accueil Textes et Cultures de l’Université d’Artois et Calhiste de l’Université Polytechnique des Hauts de France sera l’occasion d’interroger les modalités de présence du regard dans les créations contemporaines.

Si l’on peut considérer que les techniques de la perspective et de la mise en abyme des cadres ont révolutionné la peinture au 17e siècle et modifié le regard tant de l’artiste que celui du lecteur du tableau, on peut penser que les technologies médicales de visualisation du corps, la vidéo et le numérique ont bouleversé la création artistique à partir de la seconde moitié du 20e siècle et ont troublé à leur tour, en modifiant la perception des êtres et des choses, le regard du spectateur. De nouveaux champs des possibles se sont fait jour et les modalités du regard se sont complexifiées. De la multiplication des regards à l'œuvre dans la composition, à l'en-deçà ou l'au-delà du regard, ce qui est donné à voir au spectateur interroge la notion même de représentation de l'homme et du monde.

 Comment les œuvres scéniques et visuelles contemporaines déplacent-elles l’économie habituelle des regards dans les créations artistiques ? Que nous disent-elles de notre rapport au monde, à notre propre corps, aux images? Nous porterons notre attention sur les œuvres et dispositifs qui procèdent soit d’une amplification ou d’un amoindrissement de la vision du spectateur, soit d’un renversement des postures spectatorielles.

Au-delà et en deçà du regard

On étudiera ainsi les dispositifs mis en œuvre du côté de la technique c'est-à-dire tous  les outils technologiques modificateurs et médiateurs du regard qui suppléent et augmentent l'œil pour rendre visible ce qui est invisible à l'œil nu ou pour amplifier la vision, qu'il s'agisse des endoscopes, des microscopes, des caméras, autant d' "outils spéculaires" qui permettent de déployer le dedans (Ariane Martinez, 2009[1]), des écrans ou autres supports de projection. Ceux-ci transforment la perception des hommes et du monde en déplaçant le regard dans l'en-deçà ou dans l'au-delà, en abolissant les frontières des espaces et du temps, en pénétrant l'intériorité même des corps ou en donnant une dimension haptique à la vision.

La question de la sur-dimension du sujet représenté et du rapport entre le microscopique et le macroscopique est un terrain qui ne cesse d'être exploré ; on peut ainsi se référer à l'œuvre de Giuseppe Penone intitulée Palpebra réalisée en 1977 créée à partir des empreintes de paupières agrandies, projetées sur un mur puis dessinées qui deviennent l'écran intermédiaire entre l'œil et le monde extérieur.

Du côté de l'amplification du regard, on peut également penser à de nombreuses œuvres d'Antoine Charbonnier qui, usant du microscope et des objectifs d'appareils photos ou de caméras, n'a de cesse d'inverser les rapports de proportion. Il fait apparaître en grand format ce que nos yeux décèlent à peine et met à jour des lignes, des courbes, des mouvements, une vie insoupçonnée qui révèlent par analogie l'extraordinaire proximité entre l'humain et le végétal. On peut  à cet effet citer par exemple, Corpus (2016-2018), installation acrylique, encre et huile sur polyane avec armatures en bois, dont le support translucide permet d'exploiter plusieurs points de vue des cellules de notre organisme, proposant ainsi une vision microscopique de notre corps ou encore Transfert (2015) impressions par trichloroéthylène sur papier où il s'agit de montrer des cellules d'un corps nu photographié à haute densité lumineuse de manière à faire apparaître un paysage abstrait.

Du côté de l'intermédialité, conçue comme "une herméneutique des supports"[2], on pourra également s’interroger sur le rôle des écrans sur scène au théâtre, (qu’il s’agisse de séquences préenregistrées ou de performances filmiques réalisées en direct) et se demander  si, en proposant une prolifération des regards, ils se mettent au service d’une monstration au plus près et en grand format[3], y compris celle de l’horreur comme dans Les Damnés d’Ivo Van Hove (2016) ou d’une exploration d’une intimité physique et psychique, allant ainsi au-delà du visible, comme dans La Maladie de la mort (2018) mise en scène par  Katie Mitchell.

 A contrario, on peut aussi analyser les cas dans lesquels le regard du regardant est diffracté et retardé par certains obstacles comme le miroir, la vitre, les fenêtres ou les cubes de verre, tant dans les arts plastiques qu'au théâtre comme dans Nobody (2015) de Cyril Teste par exemple ou le tulle comme la mise en scène du Bruit des os qui craquent par Roland Mahauden, à Bruxelles, en 2013. Ou bien encore lorsque le regard est brouillé par le procédé du larsen vidéo[4] qui peut être utilisé au cinéma comme au théâtre (Cf Eau Sauvage de Valérie Mréjen par exemple) ou par le flou soit de l'arrière-plan uniquement soit du sujet lui-même également en jouant sur  la mise au point et en choisissant une grande ouverture du diaphragme et une faible profondeur de champ  pour éviter une image nette.

Nous pourrions alors nous demander si l'exigence du "tout voir" des êtres et des choses n'aboutit pas au contraire à une vision fragmentaire et parcellaire ou brouillée voire même à un échec complet? Et qu'est-ce que cela dit de notre capacité ou incapacité à appréhender notre propre réalité et notre rapport au monde?

En quoi le regard diffracté ou intermédialisé nous fait prendre conscience de l'illusion de la perméabilité des frontières du temps et de l'espace et nous révèle, comme Marcel Duchamp l'affirmait, que l'accès à l'œuvre ne se fait pas par voie "rétinienne" mais par cosa mentale c'est-à-dire par processus mental ?

En quoi la vision brouillée, en se plaçant davantage du côté de la suggestion que de la monstration nous invite à participer à l'élaboration de l'œuvre même? En quoi permet-elle "de s'interroger sur ce que l'on voit"", "sur le réel, sur l'image, la société qui la produit, le monde qui l'expose"[5] et d'accéder à la vie véritable avec ses tremblements, ses incertitudes, ses doutes?

Renversement des postures spectatorielles

Dans un monde saturé d'images, où l'œil n'a jamais été plus sollicité, dans un premier temps on pourra s'interroger sur la manière dont les arts visuels et scéniques se sont emparés de l'organe indispensable à l'action de regarder en tant que sujet et sur les effets de sens qu'ils produisent.

Qu'on pense au motif récurrent et envahissant de l'œil ou de l'objectif chez les street-artistes comme chez JR qui donne des yeux aux murs en collant des clichés photographiques gigantesques dans les endroits les plus improbables, exposant ainsi par exemple le regard titanesque d'une femme, Limila Devi (projet Women are heroes, New Delhi, Inde, mars 2009) qui attire et interpelle celui des passants. Ou bien encore cette photo sur les murs des Bosquets à Montfermeil (France, 2004) dont le personnage central, montré en plan demi-rapproché est le cinéaste Ladj Ly tenant une caméra face aux spectateurs comme si c'était une arme ou enfin cette prolifération de regards affichés sur les façades des maisons de la favela Mono de Providencia à Rio de Janeiro (Brésil, août 2008) qui semblent s'emboîter les unes aux autres.

Que nous disent ces yeux ou ces objectifs qui scrutent, épient, surveillent les passants-spectateurs et comment inversent-ils les rapports?

Proposant des jeux de regards dans un mouvement d'oscillation créant des points d'intersection entre regardés et regardants, les arts instaurent des rapports de réflexivité et d'interaction. Nous nous demanderons donc quel est l’impact du jeu des regards également sur la scène ou sur la toile lorsque, en dehors du jeu traditionnel des acteurs entre eux, ils se placent dans les entre-deux de la trajectoire formée par le couple acteur/spectateur, c'est-à-dire regardé/regardant.      

- Lorsque le regardé devient le regardant :

a) de sa propre image soit reflétée par des surfaces lisses telles que le miroir, les vitres ...  comme dans le film La Chambre des officiers (2001) dans lequel le réalisateur, François Dupeyron, utilise l'ocularisation interne, soit projetée sur un écran ou autre support, instaurant ou non un dialogue avec elle comme dans Eau Sauvage (2015) de Valérie Mréjen ou Die Gelbe Tapete (2013) de Katie Mitchell.

b) d'autres acteurs/personnages : placés sur le côté de la scène, en marge de l’image scénique, devenant à la fois témoins et observateurs de ce qui se passe sur le plateau tout en étant eux-mêmes observés par les spectateurs[6] (l'Avaleur d'après Jerry Sterner  (Other people's momey) mis en scène par Robin Renucci (création 2017), les personnages marginaux et observateurs sur les scènes d’Alain Platel). Le jeu des regards dans les pratiques marionnettiques depuis l’émergence de la manipulation à vue, les jeux d’indexation du regard du spectateur par l’interprète peuvent constituer une autre piste de recherche.

c) des spectateurs de manière directe : procédés d’interpellation, de scrutation du spectateur par l’interprète, comme chez La Fura dels Baus ou procédé du « regard caméra » au cinéma, citons par exemple Dans Paris de Christophe Honoré (2006). 

d) de l'objectif de la caméra sur scène exclusivement se mettant ainsi à nier le regardant suprême qu’est le spectateur comme dans Empire de Milo Rau (2016).

- Lorsque le regardé ou regardant est à la fois regardé et regardant :

a) Dans ce cadre, il s'agit d'analyser l'interactivité des regards entre celui des techniciens sur les plateaux de théâtre, (preneur de son, caméraman derrière l'objectif...) dont la présence peut être avérée ou masquée et celui de l'acteur oscillant entre l'objectif, l'œil des techniciens et celui des spectateurs.

b) Enfin, on pourra également s’interroger sur le jeu des regards engagé par les dispositifs retravaillant la frontalité : scènes bifrontales, circulaires, installation de spectateurs sur le plateau (L'Autre Fille mis en scène par Cécile Backès, création 2017), posant le spectateur comme à la fois regardant et regardé par les acteurs sur scène.

Qu'est-ce que ce chassé-croisé des regards nous dit de nous-mêmes et de l'altérité?  En quoi ce jeu des regards met-il en évidence que l'identité individuelle, la conscience de soi s'opère avant tout dans l'interaction avec l'autre? Et en quoi cela permet-il au spectateur en confrontant son propose regard à ceux des autres donc à ce qu'il voit  des œuvres artistiques, d'accéder à sa propre vérité en voyant ce qui le regarde, c'est-à-dire  aussi en prenant conscience que "voir, c'est sentir que quelque chose inéluctablement nous échappe, autrement dit : quand voir, c'est perdre" comme l'explique Didi Huberman[7].

Les approches depuis la pratique seront appréciées (témoignages d’artistes, compte-rendus d’expérience, installations performées…)

Les propositions de communication de 20 minutes (au format 3000 caractères maximum, espaces compris), ainsi qu’une notice bio-bibliographique, sont à envoyer à Brigitte Saint-Georges (brigitte.saint-georges@wanadoo.fr) et Marie Garré Nicoara (marie.garrenicoara@yahoo.fr) et avant le 15 mai 2019. La réponse aux contributeurs est prévue le 22 mai.

 

 

[1] Ariane Martinez, A corps ouvert. Défigurations, épluchages, pénétrations, in Julie Sermon, Théâtre/public, n°193: Marionnettes contemporaines, 2009.

[2] Eric Méchoulan, "Intermédialité, ou comment penser les transmissions", Fabula/Les Colloques, Créations, intermédialité, dispositif, consultable à l'adresse suivante: http://www.fabula.org/colloques/document4278.php.

[3] Par l'utilisation des gros plans

[4] Lorsqu'une caméra filme l'écran en direct affichant ce qu'elle filme et l'image est ainsi démultipliée, se répétant en écho.

[5] Gérard Mordillat, "Eloge du flou", article paru  dans Le Monde diplomatique, septembre 2011, page 27.

[6] Banu Georges, La scène surveillée, Actes Sud, 2006.

[7] Didi Huberman, Ce que nous voyons, ce qui nous regarde, Editions de Minuit, 2014, p. 14.