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Les réalismes de Georg Lukács (Paris Nanterre)

Les réalismes de Georg Lukács (Paris Nanterre)

Publié le par Université de Lausanne (Source : Saburova Daria)

Appel à contributions

Colloque : « Les réalismes de Georg Lukács »

Université Paris-Nanterre, 14-15 novembre 2019

 

Organisation

  • Alix Bouffard, doctorante en philosophie à l’université de Strasbourg
  • Vincent Charbonnier, doctorant en philosophie à l’université de Toulouse 2 – Jean Jaurès, enseignant-formateur à l’ÉSPÉ (université de Nantes).
  • Christian Lazzeri, professeur des universités en philosophie à l’université Paris-Nanterre
  • Frédéric Monferrand, post-doctorant en philosophie à l’université de Namur.
  • Daria Saburova, doctorante en philosophie à l’université Paris-Nanterre.

 

Présentation générale

Malgré l'influence durable qu’Histoire et conscience de classe a exercée sur plusieurs générations de pensées critiques, les recherches portant sur l'œuvre de Georg Lukács restent marginales. Qu'il s'agisse des textes consacrés aux questions esthétiques, des réflexions politiques formulées au feu de l'événement, des interventions dans les débats philosophiques de son temps, ou encore de l'Ontologie de l'être social, son opus magnum, l'œuvre du philosophe hongrois est inégalement connue, lue, et même traduite.

 L’ambition de ce colloque est de contribuer à pallier cette carence, en proposant l’hypothèse selon laquelle le problème du réalisme permet non seulement d’interroger l’unité et l’évolution de l’œuvre de Lukács, puisqu’il traverse ses interventions philosophiques aussi bien que politiques et esthétiques, mais aussi d’en évaluer l’intérêt pour la discussion contemporaine, puisqu’on assiste aujourd’hui à une nouvelle « querelle du réalisme » en philosophie et en esthétique.

Deux approches seront ainsi privilégiées : d'une part, une approche historique ou contextuelle, qui permettra de situer les prises de positions lukácsiennes en faveur du réalisme dans leurs conditions d’élaboration, d’en éclairer les enjeux spécifiques souvent codés et de mettre au jour les dialogues et les confrontations sous-jacents qui leur confèrent leur sens ; d'autre part, une approche plus conceptuelle, voire actualisante, qui se concentrerait sur les différents traitements réservés par Lukács au thème du réalisme et sur la manière dont ils permettent d’intervenir dans les débats actuels autour de cette notion, ou encore de déplacer les enjeux qui leurs sont associés. Chacune de ces approches, qui ne sont pas exclusives l’une de l’autre, pourra ainsi s’inscrire dans l’un, ou à la croisée des trois axes suivants : philosophie, politique et esthétique.

Axe 1 : Philosophie

La philosophie et les sciences sociales sont dorénavant engagées dans un « tournant réaliste » aux contours fluctuants, mais qu’on peut situer dans le cadre d’une double opposition. Opposition à l’idéalisme d’une part, qui réduirait le réel à ce que peut en connaître un sujet humain et contre lequel il s’agit ou bien de sauver la possibilité d’une connaissance de la réalité en soi (Meillassoux, 2006 ; Alloa et During, 2018) ou bien d’affirmer que le sens du réel varie en fonction des normes que nous lui appliquons (Benoist, 2017). Opposition au constructivisme, d’autre part, qui soutient que les entités sociales sont le produit de constructions mentales ou langagières et contre lequel il s’agit d’insister sur l’objectivité du social, que ce soit en soulignant les contraintes qu’il exerce sur les pratiques et les représentations, ou en en analysant l’inscription dans la nature humaine et non-humaine (Searle, 1995 ; De Fornel et Lemieux, 2007 ; Haber, 2006).

Or, il nous semble que ces débats, le second en particulier, constituent une invitation à explorer les arguments défendus par Lukács non seulement dans Histoire et conscience de classe, mais aussi dans ses textes d’histoire de la philosophie des années 1930 et 1940, et enfin dans son Ontologie de l’être social. D’une part, en effet, Lukács se confronte explicitement à certains auteurs régulièrement invoqués dans ces débats, de Hegel à Wittgenstein. À ce titre, la question du réalisme constitue une voie d’entrée fructueuse pour relire des textes souvent laissés de côté tels que Le jeune Hegel ou La Destruction de la raison, en y interrogeant par exemple les enjeux historiques d’une philosophie réaliste ou les liens complexes entre réalisme et rationalisme. D’autre part, Lukács défend ce qu’on pourrait appeler un réalisme de la pratique, à la lumière duquel la réalité naturelle et sociale apparaît à la fois comme un donné par rapport auquel les pratiques doivent se situer et comme ce qui fait l’objet de catégorisations historiquement changeantes et socialement contestées. Dans cette perspective, le réalisme lukácsien ne représente pas seulement une position digne d’être mobilisée dans des débats épistémologiques ou ontologiques, mais aussi dans les débats écologiques qui, de plus en plus, se structurent autour du problème de la réalité de la nature et de la manière dont les membres d’une société donnée se l’approprient pratiquement et symboliquement (Descola, 2005 ; Charbonnier, 2015 ; Moore, 2015 ; Malm, 2017).

Axe 2 : Politique

Le réalisme politique renvoie moins à une doctrine ou à une tradition qu’à une certaine manière de penser la politique, consistant à étudier les rapports de force qui structurent une situation socio-historique déterminée dans le but d’identifier les moyens d’y intervenir efficacement. C’est bien cette analyse des possibilités réelles d’émancipation à l’œuvre dans une conjoncture donnée qui soutient les prises de positions lukácsiennes et explique leurs transformations, et ce tant d’un point de vue pratique, puisque Lukács assuma des fonctions dirigeantes dans l’éphémère république hongroise des soviets (1919) ou lors de l’insurrection de Budapest (1956), que théoriques.

À cet égard, il nous semble que la réflexion proprement politique du philosophe hongrois, telle qu’elle se développe des textes proches de la gauche communiste publiés dans la revue Kommunismus au léninisme d’Histoire et conscience de classe, et de son lien complexe avec le stalinisme à l’exigence de démocratisation du socialisme « réellement existant », n’a à ce jour pas reçu le traitement historique et contextuel qu’elle mérite (Tertulian, 2016). Mais il nous semble également qu’une confrontation du réalisme politique de Lukács avec la manière dont l’intervention politique a été pensée dans le marxisme (Gramsci, Althusser, l’opéraïsme) ou dans d’autres traditions intellectuelles (Foucault) reste à établir. Enfin, on peut avancer l’hypothèse selon laquelle l’effort constant de Lukács pour mener de front la critique théorique des « pathologies sociales » (Honneth, 2006) générées par les sociétés modernes (aliénation, réification, exploitation) et le repérage des pratiques et des formes organisationnelles susceptibles d’en favoriser le dépassement (partis, mouvements, coalitions, conseils, syndicats) pourrait être réévalué au prisme des débats contemporains en philosophie sociale et en Théorie critique (Fischbach, 2009) dont les implications stratégiques restent parfois à l’arrière-plan (Garo, 2019).

Axe 3 : Esthétique

Si la théorie lukácsienne de la littérature reste l’un des rares exemples d’esthétique marxiste aboutie, le réalisme qui s’y trouve défendu a longtemps fait figure de repoussoir. On y a en effet souvent vu, au mieux, une incapacité à reconnaître la valeur des expérimentations avant-gardistes et, au pire, une compromission avec les dogmes du « réalisme socialiste » (Adorno, 2009). Mais les analyses lukácsiennes sont rarement considérées à partir du contexte intellectuel, artistique et politique de leurs élaborations. Un effort d’historicisation est pourtant nécessaire si l’on entend saisir la façon dont Lukacs s’insère dans l’élaboration officielle d’une doctrine réaliste, et donc mesurer l’orthodoxie ou la singularité de son esthétique.

En outre, l’idée éminemment lukácsienne selon laquelle l’œuvre d’art peut contribuer à rendre visibles les structures qui organisent l’expérience et à orienter par là même les efforts accomplis pour les transformer semble gagner aujourd’hui une nouvelle actualité. Qu’il s’agisse par exemple de la représentation de l’industrie maritime comme allégorie du marché mondial dans le travail cinématographique et photographique d’Allan Sekula (Sekula, 2013), de la revalorisation jamesonienne du réalisme en littérature, au-delà de ses expressions modernistes classiques (Jameson, 2015) ou encore de la critique par Mark Fischer d’un « réalisme capitaliste » inhérent à la culture de masse et tendant à faire apparaître le capitalisme comme l’horizon indépassable de notre temps (Fischer, 2018), le problème de la figuration de la réalité socio-historique redevient un champ de bataille culturelle et d’expérimentation formelle. Il y a là nous semble-t-il une occasion de revisiter les grands débats des années 1930 opposant Lukács, Brecht, Adorno et Benjamin, ainsi qu’une invitation à actualiser leurs positions au prisme de la production artistique contemporaine.

 

Bibliographie

Adorno, Theodor (2009), « Une réconciliation extorquée. À propos de La signification présente du réalisme critique » in Notes sur la littérature, trad. S. Muller, Paris, Flammarion.

Alloa Emmanuel et During Élie (dir), (2018), Choses en soi. Métaphysique du réalisme, Paris, PUF.

Benoist Jocelyn (2017), L’adresse du réel, Paris, Vrin.

Charbonnier Pierre (2015), La fin d’un grand partage. Nature et société de Durkheim à Descola, Paris, CNRS éditions.

De Fornel Michel et Lemieux Cyril (dir) (2007), Naturalisme versus constructivisme ?, Paris, éditions de l’EHESS.

Descola Philippe (2005), Par-delà nature et culture, Paris, Gallimard.

Fischbach Franck (2009), Manifeste pour une philosophie sociale, Paris, La Découverte.

Fischer Mark (2018), Le réalisme capitaliste, Genève, Entremonde.

Garo Isabelle (2019), Communisme et stratégie, Paris, Amsterdam.

Haber Stéphane (2006), Critique de l’antinaturalisme, Paris, PUF.

Honneth Axel (2006), La société du mépris, trad. O. Voirol et alii, Paris, La découverte.

Jameson Fredric (2015), The Antinomies of Realism, Londres, Verso.

Lukács Georg (1946), Goethe et son époque, Paris, Nagel.

Lukács Georg (1948), Existentialisme ou marxisme ?, Paris Nagel.

Lukács Georg (1949), Brève histoire de la littérature allemande (XVIIIe-XXe siècle), Paris, Nagel.

Lukács Georg (1958-1959), La destruction de la raison, Paris, L’Arche.

Lukács Georg (1960), La signification présente du réalisme critique, Paris, Gallimard.

Lukács Georg (1960), Histoire et conscience de classe, Paris, Minuit.

Lukács Georg (1965), Le roman historique, Paris, Payot.

Lukács Georg (1967), Thomas Mann, Paris, Maspero.

Lukács Georg (1967), Balzac et le réalisme français, Paris, Maspero.

Lukács Georg (1970), Soljénitsyne, Paris, Gallimard.

Lukács Georg (1972), La pensée de Lénine, Paris, Denoël-Gonthier.

Lukács Georg (1974), Écrits de Moscou, Paris, Éditions sociales.

Lukács Georg (1974), L’âme et les formes, Paris, Gallimard.

Lukács Georg (1975), Problèmes du réalisme, Paris, L’Arche.

Lukács Georg (1975), Marx et Engels, historiens de la littérature, Paris, L’Arche.

Lukács Georg (1978), Littérature, philosophie, marxisme (1922-1923), Paris, PUF.

Lukács Georg (1981), Le jeune Hegel, Paris, Gallimard.

Lukács Georg (1981) Correspondance de jeunesse, Paris, Maspero.

Lukács Georg (1981), Philosophie de l’art, 1912-1914, premiers écrits sur l’esthétique, Paris, Klincksieck.

Lukács Georg (1986), Pensée vécue, mémoire parlées, Paris, L’Arche.

Lukács Georg (1989), Socialisme et démocratisation, Paris, Messidor.

Lukács Georg (1989), La théorie du roman, Paris, Gallimard.

Lukács Georg (2001), Dialectique et spontanéité, Paris, Éditions de la Passion.

Lukács Georg (2002), Le jeune Marx, Paris, Éditions de la Passion.

Lukács Georg (2006), Journal (1910-1911), Paris, Payot.

Lukács Georg (2009), Prolégomènes à l’ontologie de l’être social, Paris, Delga.

Lukács Georg (2011), Ontologie de l’être social (tome 2), Paris, Delga.

Lukács Georg (2015), De la pauvreté en esprit, Paris, Éditions de la tempête.

Lukács Georg (2017), La destruction de la raison, Paris, Delga.

Lukács Georg (2018) Nietzsche, Hegel et le fascisme allemand, Paris, Éditions critiques.

Malm Andreas (2017), L’anthropocène contre l’histoire, Paris, La Fabrique.

Meillassoux Quentin (2006), Après la finitude, Paris, Éditions du Seuil.

Moore Jason (2015), Capitalism in the Web of Life, Londres, Verso.

Searle John (1995), La construction de la réalité sociale, Paris, Gallimard.

Sekula Allan (2013), Écrits sur la photographie, éd. Marie Muraciole, Paris, Beaux-Arts de Paris édition.

Tertulian Nicolas (2016), Pourquoi Lukács ?, Paris, Maison des sciences de l’homme.

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Modalités de participation :

Les propositions de communications (400 mots maximum), accompagnées d'une brève présentation de l'auteur.e, sont à envoyer à <colloqueLukács2019@vertumne.fr> avant le lundi 15 juillet 2019. L'organisation pourra prendre en charge l'hébergement et les frais de déplacement des intervenant.e.s ne bénéficiant pas de support institutionnel.