Actualité
Appels à contributions
Musique et engagement (Paris Sorbonne)

Musique et engagement (Paris Sorbonne)

Publié le par Marc Escola (Source : stephane lelievre)

Musique et engagement

Colloque international organisé en Sorbonne

les mardi 31 mars, mercredi 1er et jeudi 2 avril

 

Organisation et comité scientifique 

François Giroux (Musicologie, Sorbonne Université)

Michela Landi (Littérature française, Université de Florence)

Stéphane Lelièvre (Littérature Comparée, Sorbonne Université)

Marthe Segrestin (Littérature Comparée, Sorbonne Université)

Frédéric Sounac (Littérature comparée, Toulouse II)

 

 

Est-ce parce que la philosophie, depuis Hegel – au moins – et sa célèbre formule : « C’est dans les mots que nous pensons[1] », nous a habitués à ne jamais appréhender une forme de pensée, quelle qu’elle soit, indépendamment de sa verbalisation ? Toujours est-il que lorsqu’on aborde la question de l’engagement en art, c’est bien souvent la littérature qui, la première, vient à l’esprit : Agrippa d’Aubigné, Voltaire, Victor Hugo, Jean-Paul Sartre, ou, hors de nos frontières, Henrik Wergeland, Italo Calvino, Richard Wright, ne sont que quelques exemples de cette littérature dite engagée, connue et étudiée en tant que telle depuis longtemps. La peinture, pourtant, n’est pas en reste, et les exemples de peintres engagés, en particulier lorsqu’il s’agit de condamner la guerre – de l’Allégorie de la Guerre de trente ans de Rubens (1637) au Tres de mayo de Goya (1814), ou au Guernica de Picasso (1937) – ou de combattre les régimes totalitaires (David Olère et ses œuvres dénonçant l’horreur du nazisme) sont nombreux.

Le cas de la musique est un peu particulier… On aurait tôt fait de réduire la « musique engagée » au seul domaine de la chanson. Il est vrai qu’il n’y a guère, Vian, Brassens, Ferré, Brel ont laissé de célèbres témoignages en ce domaine. Hors de la sphère francophone, le cantautore Gianmaria Testa, Bob Dylan, Pink et Billy Mann (dont la ballade Dear Mister President  critiquait de façon virulente la politique menée naguère par George W. Bush), le groupe punk allemand Die Ärtze (dont la chanson Cry for love moquant les mouvements néo-nazis trouve actuellement des échos inattendus face à la crise de l’accueil des migrants et est en passe de devenir l’un des titres les plus écoutés aujourd’hui en Allemagne) constituent, parmi tant d’autres, quelques exemples significatifs de chanteurs ou de chansons engagés.

Mais l’engagement en musique dépasse bien sûr, et de beaucoup, le seul domaine de la chanson. Le jazz a largement contribué à la lutte contre la discrimination raciale : Nina Simone notamment a mis tout son talent de compositrice et d’interprète au service de causes nobles : droit des femmes, droits civiques, lutte contre le racisme...  Et l’on assiste aujourd’hui, en écho au mouvement Black Lives Matter (« Les vies des Noirs comptent »), à une repolitisation du jazz, avec des artistes tels que Robert Glasper, Marcus Strickland, Christian Scott ou Kamasi Washington.

Les musiciens dits classiques ont eux aussi dès longtemps mis leur art au service de causes auxquelles ils étaient particulièrement attachés, que leurs idées se lisent (ou s’entendent) en creux dans leurs œuvres (le pacifisme et l’unité nationale défendus par Offenbach dans Die Rheinnixen, le rêve d’une Italie libérée de l’oppression autrichienne dans le Nabucco de Verdi, l’opposition à toute forme de totalitarisme en général et à la personne de Hitler en particulier dans le Brundibár de Hans Krása), ou qu’elles y soient explicitement exprimées : on songe alors, entre autres très nombreux exemples, à l’engagement social du jeune Liszt, qui transparaît aussi bien dans ses écrits que dans certaines de ses compositions musicales (sa transcription de La Marseillaise pour le piano, L’Héroïde funèbre,…) ; on pense encore à l’opposition que manifeste Verdi envers une forme de morale bourgeoise étriquée et rigide, à sa plaidoirie en faveur de la liberté d’aimer et du respect dû aux femmes quelles qu’elles soient (La Traviata), à son rejet d’un catholicisme extrême et intolérant (Don Carlos) ; au droit à la différence exprimé par Britten dans Peter Grimes ou Billy Bud, à son indéfectible pacifisme (War Requiem) ; à la compositrice Ethel Smyth dont les convictions humanistes et féministes transparaissent dans The March of the Women (1911) ou The Prison (1930) ; à la position complexe qui fut celle de Chostakovitch après la révolution de 1917 : devenu premier compositeur du régime soviétique, il tient comme un double langage dans sa Cinquième Symphonie (1937), semblant chanter les louanges du régime tout en le dénonçant – ou de façon plus explicite encore dans sa Dixième Symphonie, composée à la mort de Staline dont il fait un portrait musical à la fois effrayant et grotesque.  La Victoire de Guernica (1954) ou le Canto sospeso de Luigi Nono sont deux œuvres témoignant du combat du compositeur contre le fascisme. Et plus près de nous, les opéras Claude de Thierry Escaich  (livret de Robert Badinter d’après Claude Gueux de Victor Hugo, créé à Lyon en 2013) ou Brokeback Mountain de Charles Wuorinen (livret d’Annie Proulx d’après sa propre nouvelle, créé à Madrid en 2014) témoignent chacun de l’engagement de leurs auteurs contre la peine de mort ou l’homophobie.

Ces quelques exemples ressortissant à des époques, des esthétiques, des genres différents, témoignent de l’importance que revêt pour les musiciens, dans l’histoire de la musique, le fait de s’engager dans des causes humanistes, sociales, politiques, et de le faire par le medium qui leur est propre et qu’ils maîtrisent le mieux. Le colloque international qui aura lieu en Sorbonne les 31 mars, 1er et 2 avril 2020 se propose précisément d’explorer cette notion d’engagement en musique, en abordant notamment les thèmes et problématiques suivants :

- L’engagement musical et la relation du compositeur aux mots : le musicien peut-il ne pas recourir au texte pour exprimer son engagement, la musique se suffisant à elle-même pour dire, dénoncer, convaincre, accuser ? Si le recours aux mots s’impose, quel rôle le compositeur octroie-t-il au texte dans la composition d’une œuvre musicale dite « engagée » : les mots sont-ils le vecteur essentiel de l’engagement (paroles chantées, ou déclamées sur de la musique), la musique ne constituant qu’un auxiliaire venant renforcer la puissance du verbe tout en lui restant subordonnée ? La musique, au contraire, décuple-t-elle le pouvoir des mots, parachevant le message dont ceux-ci sont porteurs ? Le texte n’est-il alors que le prétexte à une création autre, purement musicale, trouvant son efficacité en elle-même et en s’affranchissant du discours qui l’a suscitée ?

- Certaines formes, ou certains procédés d’écriture musicale sont-ils plus aptes que d’autres à exprimer l’engagement ?

- La question d'une musique dite engagée pose également la question de l’essence de l'art, de son utilité supposée, de sa finalité : la co-fusion de l’expression musicale et du combat social, humaniste, politique, ne se fait-elle pas au détriment de la musique ? 

Pour apporter des éléments de réponses à ces questions, toutes les formes musicales, toutes les époques peuvent être sollicitées, les œuvres ou musiciens cités ci-dessus ne l’étant bien sûr qu’à titre d’exemples. Les interventions pourront être consacrées aussi bien à un ouvrage en particulier qu’à un musicien en général et à son parcours humain et artistique, étant entendu que l’engagement d’un artiste en faveur de telle ou telle cause peut se retrouver sous différents aspects au fil des œuvres qu’il aura créées.

*

Les projets de communications (titre et résumé de 2000 caractères environ), assortis d’une courte biographie, sont à adresser, avant le 31 octobre 2019, à :

Stéphane Lelièvre (st.lelievre@gmail.com) et Marthe Segrestin (marthe.segrestin@wanadoo.fr).

 

 

 

[1] Georg Wilhelm Friedrich Hegel,  « Philosophie de l'esprit » (in Encyclopédie des sciences philosophiques en abrégé, III),  Paris : G. Baillière, 1867-1869, § 450, traduction A. Vera.