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Penser / panser la crise. Récits et fictions de crise (XIXe-XXIe s.) (Łódź, PO)

Penser / panser la crise. Récits et fictions de crise (XIXe-XXIe s.) (Łódź, PO)

Publié le par Romain Bionda (Source : Anita Staroń)

Penser / panser la crise. Récits et fictions de crise (XIXe-XXIe s.)
24-25 juin 2020

Colloque international et pluridisciplinaire organisé par la Faculté des Lettres, Langues et Sciences Humaines de l’Université de Toulon (France) et l’Institut d’Études Romanes de l’Université de Łódź (Pologne)

 

Difficile aujourd’hui de faire l’économie de la crise dans un monde où ses apparitions lexicales ponctuent dramatiquement l’actualité, entre le spectre récurrent de la crise des institutions dans le domaine politique, les cycles économiques qui la ramènent à intervalles réguliers, concentrée en des pics de violence (crise pétrolière, crise des subprimes, crise de la dette...), la crise écologique qui fait craindre le pire pour l’avenir de la planète comme auparavant de graves crises diplomatiques, durablement enkystées, avaient pu faire entrevoir la fin du monde… Tout un faisceau de marqueurs plaide pour une profonde crise de confiance, conséquence d’une crise perçue comme systémique jusqu’à faire douter que, contre tout ce que défend la doxa de la théorie économique, on en sorte jamais, mais, bien plutôt, finisse par s’accoutumer à cet état, devenu structurel, nonobstant l’histoire du terme quand la crise s’entend désormais en emploi absolu.

Il y aura donc lieu de s’intéresser au cheminement de la notion et à sa sollicitation différenciée en diachronie. Dépouillée de son caractère transitoire, la crise change de paradigme en devenant pérenne. Par où elle perd son caractère de révélateur, attaché au « moment critique » que connaissent bien les tragédies : « Chez les Grecs », rappelle Edgar Morin, « le mot “crise” – “krisis” – correspond au moment qui permet le diagnostic d’une maladie, c’est-à-dire, le moment où des symptômes très nets de telle ou telle affection apparaissent et permettent aux médecins de dire qu’il s’agit de la rougeole ou de la grippe. Alors que le mot “crise”, dans le sens où nous l’entendons aujourd’hui, signifie exactement le contraire : il traduit la difficulté de faire un diagnostic » (Pour une crisologie, 2016). Indissociable du principe d’incertitude, la crise semble donc aujourd’hui impliquer un horizon particulièrement bouché. Mais en allait-il différemment, par exemple, lors de la fameuse crise du IIIe siècle qui frappe l’Empire romain, de la crise de l’an Mil en Occident, pour ce qu’il est convenu d’appeler la crise de la conscience européenne, au tournant des XVIIe et XVIIIe siècles (Paul Hazard), pour la crise des années 1930... ? Et la crise, cette extension sémantique qu’il faut bien dire éminemment critique, dans quelle mesure n’est-elle pas identifiée a posteriori ? Et sur la base de quels indices, de quels marqueurs ? Quel(s) sentiment(s) en ont ceux qui la vivent ? Quel imaginaire lui est-il associé ? Ce sont quelques-unes des pistes que nous voudrions proposer à la réflexion à partir d’un corpus de textes, littéraires ou historiographiques, arrêté à la période contemporaine (XIXe-XXIe s.).

Si Mallarmé devait, en 1897, parler de « crise de vers », c’est bien toute la période qu’informe la crise, très au-delà du seul genre poétique et jusque dans les mots d’une tribu restée prosaïque, comme le romantisme devait le signifier avec force. Et ce doublement : par une littérature de crise, par une littérature de la crise, à la fois objet et sujet d’un dire et d’un dit. Comme il ressort aussi du développement de la science historique qui, à sa façon, empoigne la crise pour en objectiver la catégorie, reprenant à son compte la démarche diagnostique pour penser à nouveaux frais un récit national où le propre de la crise est d’être surmontée.

Principe dynamique, la crise y joue – comme dans les romans personnels du romantisme – le rôle d’épreuve de vérité, d’image dialectique. C’est en cela que Mallarmé peut, sans paradoxe, parler d’« exquise crise, fondamentale », comme avant lui Chateaubriand, pour qui « Les moments de crise produisent un redoublement de vie chez les hommes » (Mémoires d’outre-tombe) en ce qu’ils sont source de dynamique, et d’une dynamique émancipatrice qui fait advenir à soi-même. Par là, la crise peut être salutaire en ce que, comme devait l’établir la psychanalyse, elle peut libérer du refoulé.

« Vive la crise », en somme, comme on avait coutume de le dire dans les années 1980, sans forcément en voir toutes les implications en un retournement des lectures moins radieuses qu’avait pu conduire plus tôt dans le siècle, à l’heure de la bombe, Elsa Triolet dans son Cheval roux (1953) en forme de mise en garde apocalyptique, ouvrant sur une crise béante des valeurs. Ou, à l’heure de la bombe financière, comme Petros Markaris vient tout récemment d’en reprendre les termes avec ses aventures du commissaire Charitos (1995-2016), en donnant corps à la « crise grecque ». Imposant de repenser dialectiquement le terme. Une crise pour qui ? Pour l’Europe ? Pour le peuple grec ? Mais assurément pas pour ses bailleurs. S’il y a assurément des perdants de la crise, quels sont ceux qui en tirent profit ? Et qui, même, ont intérêt à agiter le spectre de la crise ? Piégé, le terme de crise porte en lui le poids d’une idéologie qu’il conviendra d’interroger. Dès lors, faut-il l’admettre sans examen et parler de « crise de la dette » comme si toutes les dettes étaient légitimes ? de « crise migratoire » hors de toute contextualisation géopolitique ? La crise pourrait bien toucher à la catégorie de la fiction au-delà de ses seuls réinvestissements narratifs.

Si la crise de la modernité avait pu apparaître comme bénéfique dans la mesure où, dans sa brutalité et sa concentration, elle portait en elle la sortie de crise, la Révolution française faisant figure d’exemple le plus abouti pour parer à une crise de régime ; celle de la post-modernité impose la crise comme un horizon inéluctable, et ce d’autant plus qu’il intervient sur fond d’histoires connectées, mondialisées. La crise s’installe, durable, dans le lexique et dans les esprits, entretenue par des voix autorisées comme une forme de prophétie auto-réalisatrice dont il conviendra de se demander si elle ne sert pas de paravent, d’alibi, à des mutations structurelles dont il faudrait faire accepter le caractère bénéfique à terme à des foules priées de donner leur consentement. Un terme très lointain dans la mesure où le spectre de la crise et la lutte qu’elle commande justifient tous les abandons et toutes les régressions.

Nous voudrions tout particulièrement nous intéresser à ceux que ces perspectives laissent froids ou dubitatifs à travers les stratégies d’évitement adoptées pour tenter de parer à une brutalité qui est autant celle du discours sur la crise que de ses mécanismes eux-mêmes et, par delà cette violence symbolique, résistent à cette crise de la pensée en en donnant à voir les ressorts, les implications, sinon la possible issue.

 

Sans être forcément exhaustives, les pistes ouvertes ici dessinent le champ conceptuel dans lequel nous voudrions inscrire notre réflexion, de la manière la plus transversale possible, répondant à l’injonction de Baudelaire d’adopter une vision « politique, c’est-à-dire faite à un point de vue exclusif, mais au point de vue qui ouvre le plus d’horizons ».

 

 

Calendrier

30 septembre 2019 : date limite de l’envoi des propositions de communication (2000 signes maximum espaces comprises), accompagnées d’une brève notice bio-bibliographique, aux adresses :

laure-leveque@wanadoo.fr

anita.staron@uni.lodz.pl

 

30 octobre 2019 : notification aux intervenants

15 décembre 2019 : date limite de paiement des frais d’inscription

24-25 juin 2020 : déroulement du colloque (Pologne, Łódź, Faculté Philologique de l’Université de Łódź)

Langues de travail : français, italien

Durée des communications : 20 minutes+10 minutes de discussion

 

Une publication des contributions est prévue ; sa date, ainsi que la date limite de la réception des articles rédigés, seront précisées ultérieurement.

 

Frais d’inscription : 100 euros

Le numéro de compte bancaire vous sera communiqué ultérieurement.

Les organisateurs couvrent les frais de restauration et de publication des actes.

Les frais de logement et de déplacement restent à la charge des participants.