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Pour une critique matérialiste des œuvres littéraires : quoi ? comment ? pourquoi ? (Orléans)

Pour une critique matérialiste des œuvres littéraires : quoi ? comment ? pourquoi ? (Orléans)

Publié le par Université de Lausanne (Source : Vincent Berthelier)

« Pour une critique matérialiste des œuvres littéraires : quoi ? comment ? pourquoi ? »

Université d'Orléans le 29 mai 2019

Journée organisée par Vincent Berthelier (Sorbonne Université), Alix Bouffard (Université de Strasbourg)

Marion Leclair (Université de Cergy), Laélia Veron (Université d'Orléans)

 

Dans un article publié en 2007 intitulé « Haro sur l’idéologie », et réfléchissant à l’obsolescence dont semblait frappé le terme d’idéologie à l’âge postmoderne dans les études littéraires, Jean-Pierre Bertrand déplorait la tendance de celles-ci, depuis la fin des années 1980, à se « retranche[r] davantage sur des montages rhétoriques ou linguistiques que sur un véritable questionnement de fond1. »

Sans doute la critique littéraire a-t-elle rarement fait entièrement l’économie, hors de l’épisode formaliste des années 1960-1970, comme le rappellent Dinah Ribard et Judith Lyon-Caen, d’une étude du contexte des œuvres – qu’il s’agisse du contexte littéraire dans le cadre d’une histoire des formes et des traditions littéraires d’inspiration lansonienne, ou du contexte historique, politique et social dans lequel s’inscrivent les œuvres2. Mais l’influence du « tournant linguistique » et l’accent porté par celui-ci sur les discours plutôt que sur le monde social3, ou l’influence d’études de réception concevant la réception comme un jeu interprétatif et intertextuel entre le lecteur et l’œuvre plutôt que comme une analyse des conditions effectives de sa diffusion et de sa consommation4, ont eu, de fait, tendance à restreindre le contexte d’étude pertinent des œuvres à un co-texte, constitué par l’ensemble des textes, littéraires et non-littéraires (scientifique, politique, philosophique, esthétique etc.) agrégés autour d’une œuvre et susceptibles d’en éclairer le sens.

Une dizaine d’années et une crise économique mondiale plus tard, force est de constater, en même temps qu’un regain de fortune critique du concept d’idéologie, une résurgence en littérature d’approches critiques soucieuses d’interroger le rapport de l’œuvre à son dehors, son ancrage social compris dans sa matérialité plutôt que dans sa seule textualité. Ancrage très directement matériel dans des travaux qui, prolongeant ceux de Roger Chartier en histoire du livre, s’intéressent aux supports non-livresques de la littérature5, et à leur impact sur la production et la diffusion des œuvres ; mais aussi ancrage sociologique ou politique, dans des travaux en sociologie de la littérature nourris par les concepts bourdieusiens6, ou dans la redécouverte d’une critique littéraire marxiste longtemps frappée de discrédit7. Ces approches matérialistes du texte ont aussi été mises en œuvres en linguistique et en stylistique, dans les travaux de chercheuses et chercheurs soucieux de dépasser le clivage entre approche formelle et approche de la littérature comme fait social.

La présente journée d’études est à la fois tributaire et partie prenante de ce regain d’intérêt critique pour la littérature comme phénomène social, et veut s’intéresser à ses différentes formes. Il s’agirait ainsi de rendre compte, par le biais d’exposés théoriques et d’études de cas, des différentes méthodes critiques ayant pour dénominateur commun d’envisager la littérature comme produit matériel et social. Ces méthodes sont tributaires, ou relèvent directement, de disciplines différentes (l’histoire, la philosophie, la sociologie, etc.). Il nous paraît pertinent de réfléchir aux implications des partis-pris disciplinaires de chacune sur le type d’approche matérialiste de la littérature qu’elle propose. Il s’agirait également d’appliquer réflexivement cette méthode à l’objet même de l’enquête, en s’intéressant à la critique littéraire comme fait social historiquement construit, afin de poser la question de la finalité de cette critique littéraire.

L’objectif de cette journée d’études est donc multiple. Elle espère clarifier le contenu, les moyens et les enjeux d’approches critiques dont il est parfois difficile de cerner les contours, dans une conjoncture intellectuelle encore marquée par l’éclectisme et par une certaine méfiance postmoderne envers la théorie. Elle voudrait aussi mettre au jour des outils, pour certains en partie oubliés, mobilisables dans l’analyse littéraire, en s’interrogeant sur leurs mérites respectifs et leur compatibilité potentielle. Surtout, elle voudrait, contre l’idée que toute analyse de la littérature comme phénomène social serait fatalement monolithique et réductrice, faire droit à la diversité et à la richesse des approches matérialistes de la littérature.

Les propositions de communication pourront s’inscrire dans les axes de réflexion suivants (qui ne sont pas exhaustifs) :

  • L’histoire du livre et ses avatars contemporains : comment un médium détermine-t-il la production littéraire (matérialité du support, circuits de distribution, disponibilité du lectorat, etc.)

  • La sociocritique, la sociologie de la littérature et la sociostylistique (approches et délimitations théoriques, études de cas) : comment faire une sociocritique dynamique, évitant l’écueil d’une simple comparaison entre contenu littéraire et faits historiques ? Peut-on (et doit-on) faire une sociologie qui rende compte du phénomène littéraire, et pas seulement des pratiques et des sociabilités des écrivains ?

  • Les théories littéraires marxistes de la littérature, continentales (G. Lukacs, L. Goldmann, P. Macherey, P. Barbéris) mais aussi anglo-américaines (R. Williams, T. Eagleton, F. Jameson) et latino-américaines (M. Löwy?) : comment penser l’œuvre littéraire comme le produit de déterminations extérieures sans sombrer dans une théorie du reflet simplificatrice ? Quelles médiations sont pertinentes pour penser le rapport entre la "base" que constitue celles-ci et la "superstructure" dont relèverait celle-là ? Quelle place une telle conception de l’œuvre comme produit ménage-t-elle à la singularité de l’œuvre et de l'auteur ?

  • Le néo-historicisme qui se développe aux États-Unis dans les années 1980-1990 et constitue encore le cadre théorique implicite d'une partie de la recherche anglophone actuelle en littérature : quel rapport le néo-historicisme entretient-il avec le marxisme, par lequel il se dit inspiré mais dont il a aussi cherché à se distinguer dans un contexte (géo)politique et culturel peu favorable à celui-ci  ? Quel usage le néo-historicisme fait-il des théories développées par Foucault, dont il se revendique volontiers, dans son effort pour articuler littérature et histoire, et de quel type d'histoire s'agit-il ?

  • Plus généralement, comment l’histoire peut-elle prendre la littérature pour objet, sans tomber dans la simple histoire des idées ? Doit-elle écraser la spécificité littéraire pour la mettre au même rang que les autres faits historiques qu’elle étudie ? Ou peut-elle considérer les écrivains comme les porte-paroles adéquats et plus ou moins conscients d’un moment historique particulier ? Les critiques littéraires peuvent-ils faire valablement une analyse historique sans avoir eux-mêmes une formation d’historien ou un contact direct avec les sources ?

  • Comment la critique littéraire s’est-elle progressivement constituée en discipline autonome ? Quels ont été les critères de scientificité qu’elle a pu avancer, et comment peut-elle perdurer en renonçant (partiellement ou totalement) à ces critères ? Comment justifie-t-elle la coupure entre la pratique littéraire et la pratique critique (qui n’existe pas en philosophie par exemple).


Les propositions (2500 signes maximum) sont à envoyer avant le dimanche 17 mars à :

jematerialisme arobase gmail.com.

   

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1 Jean-Pierre Bertrand, « Haro sur l’idéologie », COnTEXTES [En ligne], 2 | 2007, mis en ligne le 15 février 2007.    

2 Judith Lyon-Caen et Dinah Ribard, L’historien et la littérature, Paris, La Découverte, 2010.

3 Ibid., p. 11.    

4 Voir notamment les travaux de Hans Robert Jauss (Pour une esthétique de la réception, 1978), de Wolfgang Iser (L’Acte de     lecture, 1985) et, plus récemment, de Stanley Fish (Quand lire c’est faire : l’autorité des communautés interprétatives, 2007).

5 Voir par exemple Matthieu Letourneux, Fictions à la chaîne : littératures sérielles et culture médiatique, Paris, Seuil, 2017.

6 Voir notamment Gisèle Sapiro, La sociologie de la littérature, Paris, La Découverte, 2014.    

7 On pense par exemple à la réédition récente de Pour une production de la théorie littéraire (1967) de Pierre Macherey par Anthony Glinoer (Lyon, ENS Éditions, 2014) ou, pour le marxisme anglo-saxon, à la thèse de Daniel Hartley sur Raymond Williams, Terry Eagleton et Fredric Jameson (The Politics of style: towards a Marxist poetics, 2017).