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Appels à contributions
Les âmes d'Emilio Salgari (Revue Belphégor)

Les âmes d'Emilio Salgari (Revue Belphégor)

Publié le par Université de Lausanne (Source : Matthieu Letourneux)

LES ÂMES D’EMILIO SALGARI

Appel à contribution

Qu’il ait été apprécié ou critiqué, adoré ou ignoré, Emilio Salgari, le doyen du genre du roman d’aventures en Italie, a attiré l’attention de chercheurs de tous niveaux – des amateurs passionnés aux spécialistes universitaires – qui ont exploré un très grand nombre de thèmes reliés à sa vie et à son œuvre. Parmi ceux qui sont restés jusqu’ici dans les marges, toujours ignorés, figure la question de la profondeur psychologique de ses personnages.

Quoiqu’il soit admis que ses aventures emportent le lecteur dans une sarabande ininterrompue à laquelle on ne sait aisément se soustraire (que l’on mette cela sur le compte d’un indéniable métier, d’un aplatissement banal sur des schémas tout aussi fixes que frénétiques, ou encore qu’on le juge être le résultat de la passion de l’auteur et de sa capacité de se plonger totalement dans son travail), on ne reconnaît la plupart du temps aux personnages salgariens qu’un certain aspect. Un aspect impressionnant, bien sûr, mais tout en extension et aucunement en profondeur. Une présence au lieu d’une essence. Un paraître plutôt qu’un être. Un caractère, mais pas une personnalité, si on veut considérer celle-ci comme une construction complexe et contradictoire faite d’expériences qui se superposent et s’intègrent les unes aux autres. En d’autres termes, les personnages salgariens ne pourraient pas compter sur une psychologie qui leur serait propre, mais seraient simplement constitués de signes unidimensionnels, d’éléments non pas simples, mais plutôt simplistes, visant à en faire uniquement des symboles susceptibles de faire avancer l’action et progresser l’histoire. Cette critique, si on veut la considérer telle, s’applique par ailleurs tout aussi bien à l’écrivain de Vérone qu’aux autres romanciers populaires, non exclusivement de son époque. Il ne s’agirait alors pas d’un défaut qui lui serait exclusif, mais d’un phénomène que l’on associe souvent et volontiers à un prétendu manque de valeur littéraire authentique typique des narrations feuilletonesques et, au-delà, de la narration de masse jusqu’à nos jours. Dans ce contexte, Salgari ne serait donc ni meilleur ni pire que tant d’autres, si ce n’est peut-être encore plus « pur », c’est-à-dire parfaitement détaché d’une quelconque aspiration à la mise en scène de la moindre profondeur psychologique, qui appartiendrait à un registre littéraire auquel il n’aurait jamais pu ni voulu prétendre aspirer.

Des explorations moins classificatoires et canoniquement orientées de l’œuvre de Salgari n’ont pourtant pas pu manquer de relever comment les personnages de ses aventures, et les situations auxquelles ils sont confrontés, présupposent de la part de l’auteur une connaissance loin d’être superficielle de l’âme humaine, une pénétration profonde qui permet de graver certains souvenirs de manière indélébile dans la mémoire et la psyché d’innombrables lecteurs. Ces recherches, après avoir mis en lumière l’évolution cohérente à laquelle l’œuvre salgarienne a été soumise au fil des ans, au-delà d’idées préconçues datées si ce n’est inexplicables, ont révélé par exemple la forte attraction, longtemps ignorée, dont ces romans ont fait preuve sur le public féminin de tous âges, qui s’expliquerait notamment par une identification profonde, projetée au-dessus et au-delà de la simple aventure et de tout sentimentalisme. De même, certains personnages qui se ressentent d’une inspiration autobiographique ou qui sont liés de bien des façons à l’univers de la Bohème, dont la présence a animé des créations soumises à des rythmes de production ardus à gérer, seraient eux-mêmes significatifs de ce point de vue et, lorsqu’ils réapparaissent d’un roman à l’autre, révèlent les traces d’une forte attention au détail, de polissures et d’approfondissements. Ce phénomène est sensible même dans le cas de personnages secondaires, dont la personnalité fortement marquée semble parfois leur permettre d’échapper aux intentions initiales de l’auteur, pour leur conférer l’autonomie nécessaire à leur faire occuper pour un temps les devants de la scène.

Ce numéro de Belphégor tâchera de cerner ces aspects divers et variés pour vérifier s’il est effectivement vrai que l’esprit des personnages salgariens équivaut à une page blanche. Nous essayerons d’analyser la vaste œuvre du romancier, si possible en proposant des excursions dans des lieux encore inexplorés, ou en se concentrant sur certains cas particulièrement représentatifs, pour déterminer en quoi consiste, étymologiquement, ce « souffle » qui transporte les personnages de Salgari, hommes et femmes (ces dernières, particulièrement nombreuses) dans leurs aventures héroïques et sentimentales. Peut-on parler d’une psychologie des personnages salgariens ? Jusqu’à quel point et dans quels buts ? Qu’est-ce qui la construit, qu’est-ce qui révèle sa présence ? Ou alors, quels sont les effets que son absence peut avoir sur les romans et sur les constructions des univers qui sont issus de l’imagination invraisemblablement féconde du romancier ?

Numéro sous la direction de Vittorio Frigerio et Felice Pozzo

Prière d’envoyer les articles d’ici le 31 mars 2017 aux adresses suivantes :

frigerio@dal.ca et felicepozzo@alice.it

Belphégor https://belphegor.revues.org/?lang=fr