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Séminaire "Du jeu dans la théorie de la lecture" (Reims)

Publié le par Marc Escola (Source : Alain Trouvé)

Séminaire Approches Interdisciplinaires et Internationales de la Lecture (A2IL4)

CRIMEL-CIRLEP

2018-2019

« Du jeu dans la théorie de la lecture »

Semestre 1 : séances le jeudi, de 17 à 19h

 (Salle R202 ou R240)

 

  • Jeudi 20/9 : Christine Chollier, « Articuler instances lectorales et régime textuel : du jeu entre théories : l’exemple de City of glass de Paul Auster » (salle R240)

  • Jeudi 18/10 : Alain Trouvé, « Bricolage et déconstruction : autour de La Potière jalouse  (Lévi-Strauss) » (Salle R202)

  • 22/11 : François Rastier, « Un jeu sérieux : la mission critique de la littérature »

 

Introduire la notion de jeu dans la théorie de la lecture est a priori le contraire d’une innovation. Les Rencontres  Internationales de Reims qui se sont tenues durant la dernière semaine de mai ont  placé la lecture comme jeu  au cœur de l’hommage rendu par l’université et la ville de Reims au professeur Michel Picard, fondateur en 1976 à Reims du premier Centre de Recherche sur la Lecture littéraire et auteur d’un essai marquant, La Lecture comme jeu (Minuit, 1986). Les débats qui ont associé nombre de jeunes chercheurs ont évoqué comme un fil conducteur la formule toujours novatrice de Picard décrivant la littérature comme une activité. Cette position non essentialiste implique que l’activité littéraire se déploie  dans le cadre d’une relation verbale, d’une performance redoublée plaçant en résonance une parole d’auteur dont le style serait la trace  et une parole de lecteur investissant le texte à lire de différentes manières, selon les contextes.  Le thème directeur des deux derniers séminaires consacrés à cet objet difficile à cerner, les « Paroles de lecteurs », a pu ainsi venir dialoguer avec la notion de jeu qui implique de saisir la relation littéraire comme une activité de synthèse intégrant toutes les composantes de la personne : composante psychoaffective (le lu), corporelle et sensible à la présence au monde (le liseur),  intellectuelle et apte au maniement du symbolique (le lectant). La performance liée à la parole au sens plein du terme ne se décline pas de la même manière selon que l’enjeu en est une traduction du texte d’auteur dans une autre langue, un commentaire interprétatif élaboré dans une salle de classe ou une représentation théâtrale, voire la simple profération orale, en public, d’un texte fabriqué par autrui.

Si les débats autour de la lecture littéraire restent riches et ouverts, c’est aussi, nous semble-t-il, qu’ils impliquent  un retour constant à la langue qui en est le support et la prise de conscience du caractère  variable des acceptions données aux mots censés la décrire, notions ou concepts. Le jeu, par exemple, quelle que soit la fécondité du modèle picardien de la réparation psychique, inspiré du fameux Fort-Da freudien, peut aussi prendre dans les pratiques d’écriture-lecture des connotations moins constructives. Il n’est pas certain que la parole déployée dans une salle de cours, avec son arrière-plan pédagogique de transmission et d’éducation, ne soit pas plus sensible à la dimension constructive du jeu, quand d’autres pratiques artistiques  frôlent davantage le pôle entropique. Le modèle à deux et quatre pôles de Caillois[1] (agon, alea, mimicry, illinx sur l’axe horizontal, paidia et ludus sur l’axe vertical) se distingue en ce sens, par exemple,  du modèle ternaire à visée synthétique.

Aussi voudrions-nous déplacer la notion de jeu, l’introduisant au cœur de la théorie elle-même pour mettre « du jeu dans le jeu » et plus généralement dans les concepts et les catégories. La variation des termes abstraits censés conceptualiser l’activité du jeu dit déjà à sa façon quelque chose du flottement des contenus notionnels que nous  souhaiterions prendre en compte. Chacun de ces mots, « littérature », « lecture », « esthétique », « herméneutique », « fiction », entre autres,  prend, selon les contextes verbaux et les auteurs qui les proposent, des inflexions trop souvent passées sous silence. Autrement dit, la pensée théorique de la littérature et de la lecture n’est pas pensée de la même façon par tous. Identifier la lecture à une « conduite » n’a ni le même sens ni les mêmes implications que de la concevoir comme « pratique » ou « activité ».

Mettre du jeu dans la théorie peut s’entendre de différentes façons, allant de la meilleure adéquation possible du discours théorique à son objet jusqu’à des variantes humoristiques  dont la pointe extrême anéantirait toute prétention à une forme de vérité. Michel Arrivé a pu intituler le premier chapitre de son Saussure retrouvé[2], « ce qui fait rire le linguiste », montrant la défiance du fondateur de la linguistique moderne à l’égard de ses propres catégories et l’oscillation de ce dernier entre une linguistique de la langue comme structure et une linguistique de l’énonciation.

Placer les théories de la littérature et de la lecture sous le signe du jeu invite chacun à prendre position vis-à-vis de l’effort théorique, conçu, sur le modèle de l’investigation scientifique, comme « activité cognitive verticale (généralisante ou particularisante) » ou implicitement récusé, dès lors que régnerait, « l’attention […] plutôt associative » qui caractériserait la « conduite esthétique »[3].  Il n’y aurait plus en ce sens de théorie de la lecture mais au mieux, un art de la penser, ce qui invite aussi à revoir les proximités et différences entre la pensée scientifique et la pensée artistique.

Afin de ne pas enfermer les débats dans le corset de l’abstraction, nous invitons ceux qui le souhaitent à suivre des suggestions d’auteurs. Cette pensée implicite, « en acte », peut se retrouver dans nombre d’œuvres littéraires depuis deux siècles au moins, en vertu du caractère réflexif de ces dernières, si bien qu’il est possible alors de dégager les germes théoriques des représentations de la littérature et de la lecture qui s’y trouvent impliqués. Invitant  à ce type d’investigation, notre séminaire reste fidèle à l’une de ses lignes directrices : faire le lien entre l’écriture littéraire et la théorie ; mais cela n’exclut pas des interventions plus générales inspirées par d’autres disciplines : linguistique, philosophie…

 

 

[1] Roger Caillois, Les Jeux et les Hommes, Paris, Gallimard, 1958.

[2] Michel Arrivé, Saussure retrouvé, Paris, Classiques Garnier, 2016.

[3] Jean-Marie Schaeffer, Les Célibataires de l’art, Paris, Gallimard, 1996, p. 165-166.