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Traces et ratures de la mémoire juive dans le récit contemporain (Metz)

Traces et ratures de la mémoire juive dans le récit contemporain (Metz)

Publié le par Université de Lausanne (Source : Claire Placial)

Traces et ratures de la mémoire juive dans le récit contemporain

Colloque international (Université de Lorraine)

ÉCRITURES EA 3943 – F-57 000 Metz

14-15 mars 2019

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Quand le Baal Shem Tov avait une tâche difficile à accomplir, il se rendait à un certain endroit dans la forêt, allumait un feu et se plongeait dans une prière silencieuse ; et ce qu’il avait à accomplir se réalisait. Quand, une génération plus tard, le Maggid de Meseritz se trouva confronté à la même tâche, il se rendit à ce même endroit dans la forêt et dit : « Nous ne savons plus allumer le feu, mais nous savons encore dire la prière » ; et ce qu’il avait à accomplir se réalisa. Une génération plus tard, Rabbi Moshe Leib de Sassov eut à accomplir la même tâche. Lui aussi alla dans la forêt et dit : « Nous ne savons plus allumer le feu, nous ne connaissons plus les mystères de la prière, mais nous connaissons encore l’endroit précis dans la forêt où cela se passait, et cela doit suffire » ; et ce fut suffisant. Mais quand une autre génération fut passée et que Rabbi Israël de Rishin dut faire face à la même tâche, il resta dans sa maison, assis sur son fauteuil, et dit : « Nous ne savons plus allumer le feu, nous ne savons plus dire les prières, nous ne connaissons même plus l’endroit dans la forêt, mais nous avons encore raconter l’histoire » ; et l’histoire qu’il raconta eut le même effet que les pratiques de ses prédécesseurs.

Cette légende hassidique racontée par Gershom Scholem (Les Grands Courants de la mystique juive, Payot, [1941] 2014, p. 505) et reprise par Elie Wiesel (Célébrations hassidiques. Seuil, Points Sagesse, 1976, p. 173), invite à réfléchir sur le récit en tant que noyau de la transmission du judaïsme. Comment peut-on, pour reprendre l’expression d’Amos Oz et de sa fille, Fania Oz-Salzberger, être « Juifs par les mots » ? Comment concilier judaïsme et judéité, conçue comme sentiment subjectif ? C’est cette interrogation que ce colloque international se propose d’étudier à partir d’œuvres littéraires contemporaines diverses dans leurs genres et dans leurs langues. Il s’agira donc, davantage que d’interroger les liens entre judaïsme et littérature, d’explorer les liens entre judéïté et récit, récit entendu ici non comme genre littéraire mais comme dimension inhérente à la littérature, liée à la transmission. Cette question rejoint par ailleurs l’idée exprimée par Yosef Hayim Yerushami dans Zakhor (souviens-toi !), selon laquelle l’impératif de mémoire résonne chez les Juifs depuis les temps bibliques tant par les rites que par le récit.

Il conviendra donc de dépasser les nombreuses tentatives de définir une « littérature juive » par l’identité juive des écrivains ou par la présence de motifs proprement juifs dans les œuvres (à savoir la communauté et son histoire, le folklore, les mouvements migratoires, etc.) Cette rencontre, qui s’attachera certes à l’analyse de textes d’écrivains d’ascendance juive, ne se limitera pas pour autant à l’origine juive arbitraire de l’écrivain ni à l’étude de thématiques ou de motifs réputés juifs des œuvres. Notre point de départ sera au contraire de nous demander dans quelle mesure la littérature en tant que récit joue un rôle de transmission du judaïsme, au-delà de toute reconnaissance immédiate ou plus évidente d’appartenance. Nous pouvons en ce sens nous demander d’une part de quelle mémoire il s’agit : historique, religieuse, culturelle, familiale… ? D’autre part, par quelles modalités le récit arrive-il à faire passer cette mémoire, entre une « mémoire ancrée dans le passé » et une « sacralisation des cendres », pour reprendre des expressions empruntées respectivement à Régine Robin et à Maurice-Ruben Hayoun.

D’un point de vue historique, l’affaire Dreyfus en France, puis le sionisme sont au cœur de la réflexion sur le judaïsme du xxe siècle en Europe ; la Shoah a introduit une rupture radicale dans toute considération du judaïsme. D’un point de vue littéraire la « Lettre au père » de Kafka avec le reproche à son géniteur de ne pas avoir su lui transmettre le sens d’une tradition désormais réduite à des rituels purement extérieurs semble s’imposer pour mettre en évidence l’étiolement d’une tradition considérée comme ensemble de rites et pratiques, un aspect qui est déjà présent dans la légende hassidique citée par Scholem. Mais au-delà de la transmission des pratiques au sein d’une communauté partageant un même destin historique, quel rôle revient à la littérature comme mode de cristallisation d’une mémoire du judaïsme ?

La question se pose de nouveau pour la littérature de la seconde moitié du xxe siècle à nos jours : désormais la littérature de témoignage de la Shoah ne semble plus répondre à une urgence, tandis qu’au phénomène de l’assimilation s’ajoute celui de la globalisation. De quelle mémoire parle-t-on donc aujourd’hui ? Quelles sont les possibilités de transmission pour et par la littérature ? Quelles formes prend le judaïsme ou la judéité dans les productions littéraires ? À quels moments de sa trajectoire littéraire, un écrivain fait-il parler son judaïsme ou sa judéité dans les textes, consciemment ou inconsciemment ? et pourquoi ? Quelles en sont les nouvelles modalités littéraires, stylistiques, mais également les changements, d’un point de vue sociologique, du positionnement de l’écrivain dans un champ donné ou de réception à son époque ? Comment le judaïsme s’articule-t-il au rattachement à une communauté nationale ou linguistique spécifique, et quels contrastes existent entre ces différentes communautés – argentine, américaine, française, israélienne… ? Enfin, quel est le rapport de ces écrivains aux différentes langues qui les traversent et qu’ils emploient : langues maternelles, langues nationales, langues juives ?

S’il est capital de s’écarter de tout essentialisme, il est aussi nécessaire de s’interroger sur l’évolution de la mémoire d’une tradition dont le récit littéraire continue de se faire l’écho jusqu’à nos jours. Que ce soit par le choix de la continuité ou par la rupture, les écrivains juifs de différentes littératures contemporaines se voient confrontés à cette mémoire dont ils sont porteurs par le récit.

L’étude comparatiste à partir de l’analyse de différents écrivains français, espagnols, italiens, américains, argentins, marocains, russes ou israéliens, entre autres nationalités, avec leurs contextes socio-culturels et politiques particuliers, et dans les différentes langues d’écriture, devrait nous permettre d’explorer non seulement les constantes et les invariants, mais également les singularités dans l’expression d’une judéïté à l’œuvre au moment même où les littératures nationales sont mises en question.

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Axes proposés :

- mémoire et oubli dans le récit : dans quels cas la mise en récit obéit-elle à un impératif de mémoire ? Comment composer avec l’oubli, quelles qu’en soient les causes ? (rupture de la transmission des traditions, disparition des proches, exil…)

- réception des œuvres et des écrivains juifs : quelles sont les réceptions des écrivains et quelle est la place du composant juif dans la réception de leurs œuvres ? 

- judéité et tradition nationale : à quels moments précis de la trajectoire de l’écrivain apparaît l’élément juif et pourquoi ? Quel lien s’élabore avec l’œuvre, ainsi qu’avec la tradition nationale, voire avec le canon dans lequel s’insère l’auteur ? Entre assimilation et tradition (cf. la notion de « rébellion des fils » de Stéphane Mosès), comment l’écrivain se situe-t-il par rapport à une tension inhérente à une double tradition ? Quelles sont en ce sens les particularités de la littérature israélienne ? Y a-t-il notamment des différences entre les littératures européennes et américaines ?

- rapport à la langue et aux langues des écrivains juifs : quels sont les enjeux du choix ou du non-choix de la langue d’écriture ? Quel rapport les écrivains entretiennent-ils avec la langue de leurs parents ou grands-parents, quand ils n’écrivent pas dans cette langue ? La transmission achoppe-t-elle sur le changement de langue ? Les langues juives laissent-elles des traces dans l’écriture, y compris lorsque les écrivains ne les maîtrisent pas ?

L’approche littéraire sera privilégiée sans exclusivité, car une telle thématique vise nécessairement une recherche interdisciplinaire avec la sociologie, l’histoire, l’anthropologie ou encore la socio-linguistique et la traduction…

Les propositions porteront sur des écrivains et des œuvres de fiction et de non-fiction, postérieurs à 1945 ; les perspectives les plus contemporaines seront privilégiées dans la mesure du possible.

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Les propositions de communications de 300 mots environ sont à envoyer en copie à Claire Placial (claire.placial@univ-lorraine.fr) et Valentina Litvan (valentina.litvan@univ-lorraine.fr) avant le 30 mai 2018.

Le comité scientifique donnera sa réponse avant le 30 juin 2018.

Les participants confirmeront le titre de leur intervention pour le 30 septembre 2018.

Le programme sera communiqué le 30 novembre 2018.

Les langues du colloque seront le français et l’anglais.

En principe, le séjour et les repas des intervenants seront pris en charge, non les déplacements ; toutefois, il pourra éventuellement être dérogé à ce principe en fonction des budgets disponibles et des situations particulières ; des droits d'inscription de 30 seront demandés à tout intervenant, sauf, ici encore, situation particulière.

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Comité d’organisation : Claire Placial et Valentina LitvanComité scientifique : Edgardo Dobry (Université de Barcelone, Espagne), Francine Kaufmann (Professeur émérite, Université Bar-Ilan, Israël), Valentina Litvan (Université de Lorraine), Claire Placial (Université de Lorraine), Philippe Zard (Université Paris-Ouest Nanterre La Défense)