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Vers un dépassement de la dialectique de l'histoire et de la fiction dans les littératures francophones (Lille)

Vers un dépassement de la dialectique de l'histoire et de la fiction dans les littératures francophones (Lille)

Publié le par Marc Escola (Source : Lisa Romain)

Colloque international

Vers un dépassement de la dialectique de l'histoire et de la fiction dans les littératures francophones

Du 9 au 11 octobre 2017

Université Charles de Gaulle – Lille 3

Organisé par Ahmed Lanasri et Lisa Romain (ALITHILA, université Charles de Gaulle Lille 3)

 

Les apports de la fiction à l'histoire ont déjà été explorés par de nombreux théoriciens et font aujourd'hui encore l'objet d'une abondante réflexion scientifique. La fiction permettrait ainsi de combler les vides de l'histoire en réintroduisant de l'humain dans des faits désincarnés, de contrer l'apparente objectivité d'un discours historique subverti par les idéologies dominantes en lui opposant une subjectivité assumée, de mettre en évidence les carences et les manques de la matière historique pour mieux repousser la dangereuse illusion d'un discours scientifique prétendument omniscient, placé « sous la caution impérieuse du réel »[1]. Selon Michel Lisse, « la fiction double l’histoire, elle la remplace, la déplace … ; la fiction fait partie de l’histoire, elle est sa prothèse, son supplément artificiel, technique qui la soutient, la fait vivre »[2].

Cependant, l'appropriation du matériau historique par la fiction achoppe sur un certain nombre de difficultés.

D'abord, une confusion des genres : l'incursion du roman dans le champ historique, et, réversiblement, l'histoire présentée comme « roman vrai »[3] a entraîné chez certains lecteurs une attente documentaire qui complexifie la position de l'auteur. A quoi bon refuser l'illusion du discours scientifique et proposer des historiographies alternatives qui recourent à la fiction si, en fin de compte, on prête valeur égale aux deux types de discours ?

Corrélativement, en cherchant à déjouer cette attente documentaire et à réaffirmer les spécificités de la fiction romanesque, les auteurs se heurtent à un problème éthique : peut-on s'approprier des sujets parfois extrêmement sensibles et des mémoires à vif pour en faire l'objet de préoccupations esthétiques ?

Enfin, l'indicible des drames humains pèse sur la prise en charge de l'histoire lorsqu'elle gangrenée par des événements traumatiques. L'apport de la fiction se justifie en partie par la possibilité qu'elle offre d'investir « les territoires de la violence, de la cruauté, de la mort »[4]. Mais cette entreprise délicate entraîne nécessairement des positionnements complexes : faut-il opter pour une écriture de la douleur contenue, qui suggérerait sans dire au risque d' « oublier l'aspect physique d'une tuerie »[5] ? Dire l'indicible passe-t-il au contraire par un traitement frontal du traumatisme, mais qui expose en contrepartie au « voyeurisme » du lecteur[6] ? 

C'est peut-être en réaction à ces problèmes apparemment insolubles que, dans les nombreuses fictions romanesques qui s'emparent du matériau historique, se dessinent les contours d'un espace liminal qui, pour citer Michel Laronde, n'est ni le lieu du « vrai/faux de l'histoire », ni celui du « ni vrai ni faux de la fiction ». C'est cet espace inédit, champ d'expérimentations où se trouverait dépassée la dialectique de l'histoire et de la fiction, que ce colloque cherchera à explorer en s'appuyant sur la variété des stratégies mises en place par les auteurs afin d'y accéder.

PISTES

Le retour mesuré à des expérimentations formelles. Sans qu'il soit question pour l'auteur de se désengager de son œuvre, un certain pouvoir semble restitué au langage, libéré dans l'espoir qu'il puisse atteindre cet espace jusqu'alors resté forclos. On pense par exemple aux élucubrations mathématiques de L'Explication d'YB, à la progression textuelle parfois exclusivement phonique du Serment des barbares de Boualem Sansal, ou encore aux notes infrapaginales de Biblique des derniers gestes (Chamoiseau).

 Une certaine part de responsabilité déléguée au lecteur, « dans lequel s'achève tout texte »[7]. Un « lecteur émancipé » serait lui aussi invité à tenter d'investir cet espace, dans la mesure où le romancier, comme l’historien, ont acquis la conscience douloureuse du caractère faillible qu’entraîne une saisie individuelle (et donc nécessairement orientée) de la matière historique.  

Les écritures de soi et la pratique de l’anamnèse, qui ont pu être mobilisées pour parvenir à formuler ce qui résiste à la fois à l'histoire et à la fiction, décentrant la place de l'individu qui semblait pourtant motiver le genre. Ce phénomène est d’autant plus frappant qu’il fait écho à une réflexion entamée par les historiens eux-mêmes sur leur propre discipline, à travers notamment la pratique de l’ego-histoire, « tentative de laboratoire » où « des historiens cherchent à se faire historiens d’eux-mêmes »[8]

L'apparition du témoignage, comme genre qui reconfigure la place de la parole singulière du sujet au sein de l'écriture littéraire.

Un recours expérimental au paratexte. Ainsi, dans l’édition Quarto consacrée à Boualem Sansal, la section « Vie et œuvre » en vient à fonctionner exactement comme l’un des romans de l’auteur (utilisation astucieuse du topos de la préface d’éditeur, entremêlement non hiérarchisé de données historiques, littéraires et biographiques). 

 

Il va sans dire que cette liste, loin d’être exhaustive, attend d’être enrichie et discutée. Dans cette perspective, le colloque s’ouvre tant aux chercheurs en littératures française et francophone qu’aux chercheurs issus d’autres disciplines, à commencer par l’histoire.  

Les propositions de communication (titre, résumé de 500 mots environ) accompagnées d’un court CV sont à adresser au plus tard le 5 février 2017, à l’adresse suivante : colloquelille3@gmail.com (notification d’acceptation fin février 2017).

 

Comité scientifique

Matthias Eck, PhD (des.), University of St Andrews (Royaume-Uni)

Nabil El Jabbar, professeur, Université Ibn Tofail – Kénitra (Maroc)

Emilie Ieven, doctorante, Université Saint-Louis (Belgique)

Agnieszka Komorowska, Dr. des., Universität Mannheim (Allemagne)

Ahmed Lanasri, professeur émérite, Université Lille 3

Yolaine Parisot, maître de conférences, Université Rennes 2 

Lisa Romain, doctorante, Université Lille 3

Elise Wiener, doctorante, EHESS  

 

 

[1] Roland Barthes, « Le discours de l’histoire », in Le Bruissement de la langue, Essais critiques IV, Paris, Seuil, 1984 [1967], p. 163.

[2] Michel Lisse, « La fiction : prothèse de l’histoire », in Interférences littéraires, Louvain, 2002, n°2, p. 59.

[3] Paul Veyne, Comment on écrit l’histoire. Essai d’épistémologie. Paris, Seuil, 1971, p. 10.  

[4] Yamilé Haraoui-Ghebalou, « Litanies mortuaires et parcours d’identité », in C. Bonn et F. Boualit (dir.) Paysages littéraires algériens des années 90 : témoigner d’une tragédie ?, Paris, L’Harmattan, 1999, p. 53.

[5] Anouar Benmalek, Chroniques de l’Algérie amère, Alger, Casbah Editions, 2011, p. 404.

[6] Charles Bonn, Paysages littéraires algériens des années 90 : témoigner d’une tragédie ?, op. cit., p. 16.

[7] Paul Ricoeur, Histoire et vérité, Paris, Seuil, coll. « Points », 2001 [1955], p. 28.

[8] Pierre Nora (dir.), Essais d’ego-histoire, Paris, Gallimard, 1987, 4e de couverture.