Acta fabula
ISSN 2115-8037

2007
Novembre-Décembre 2007 (volume 8, numéro 6)
Catriona Seth

À pied dans Paris…

Laurent Turcot, Le promeneur à Paris au XVIIIe siècle, Préface d’Arlette Farge, Paris, Gallimard, Le Promeneur, 2007, 432 p.

1Dans ce livre passionnant, issu d’une thèse de l’EHESS, Laurent Turcot envisage la promenade sous tous ses angles, comme pratique sociale, hygiénique, politique… Son corpus de textes comprend aussi bien des traités de civilité que des ouvrages de médecine, des romans que des précis de jardinage, des guides du voyageur que des archives de police. L’ouvrage est, de plus, abondamment illustré de gravures, de planches anatomiques, de schémas, de documents d’archives. L’auteur montre que le promeneur, indissociable, dans nos esprits, du cadre urbain, ne s’y est pas toujours inscrit. Au contraire, il surgit à la suite d’une série de bouleversements. Il est à la fois le produit de l’espace et l’une des composantes qui le façonne. Pour lui sont créés promenades et boulevards, parcs et allées. L’une des étapes essentielles dans son arrivée sur la scène est la prise de conscience de l’importance de l’exercice. Au milieu du siècle des Lumières, le médecin Tronchin, comme certains de ses confrères, fait de la promenade un temps fort de l’hygiène de l’homme moderne. La mode suit. Les dames de la bonne société se mettent à marcher avec un bâton. Les talons de leurs chaussures baissent. Leurs robes deviennent plus commodes et légères dûment baptisées « tronchines » pour faire mémoire de celui qui a invité les Parisiens à « tronchiner », c’est-à-dire à abandonner un temps leurs carrosses pour découvrir les joies de la déambulation. Les gravures et tableaux montrent cette élégance nouvelle qui accompagne un certain retour à la nature. Autre indication de l’importance des conseils du médecin en matière ambulatoire, une fable, intitulée « Fin contre fin », montre Raton criant à une souris : « Vous altérez votre santé. / Trottez, trottez, Tronchin l’ordonne1 ».

2L’ouvrage de Laurent Turcot sert, à son tour, de guide au lecteur qui croise au détour des allées parisiennes et des arcades du Palais-Royal des princesses comme des repris de justice, des prostituées aussi bien que des urbanistes, des agents de police et des écrivains. L’auteur nous fait passer de la promenade de civilité à la promenade de divertissement et de santé, des boulevards aux Champs-Élysées, muni de guides de voyage ou des textes de promeneurs aussi divers que le libraire Siméon-Prosper Hardy, Louis-Sébastien Mercier, auteur du Tableau de Paris, ou encore le graphomane que fut Restif de La Bretonne. Il ouvre pour nous des perspectives, mettant la découverte du panorama et l’intérêt pour l’herborisation en relation avec l’adoption de la promenade dans tous les milieux. Si chacun songe parfois à Baudelaire ou à Benjamin lorsque, piéton dans la capitale, il en traverse les quartiers, gageons qu’après avoir lu cet ouvrage fascinant il aura d’autres repères complémentaires : aucun de nous ne pourra plus déambuler dans Paris sans songer à la conquête de l’espace urbain que représente ce rituel social, cette pratique individuelle, ce temps de méditation ou de rêverie.

3Si la promenade est un exercice doublé d’une activité de loisir, ce livre offre une excursion intellectuelle dont l’intérêt informatif considérable est égal au plaisir qu’en tirera le lecteur.