éditos
Foucault dans le désert

Lors d'une soirée mémorable, l’auteur de l’Histoire de la folie ingéra une dose de LSD offerte par les jeunes hôtes américains qui avaient organisé pour lui un road trip hors du commun. Ce fut une nuit d’hallucination et d’extase, qu’il décrira comme l’une des "expériences les plus importantes de [sa] vie", ayant bouleversé son existence et son œuvre. Cet épisode, rapporté par certains biographes, a longtemps été sujet à caution, considéré comme tenant davantage de la légende que de la réalité. Le jeune universitaire qui avait entraîné le philosophe dans l'aventure en avait pourtant consigné le détail. Sous le titre Foucault en Californie, les éditions La Découverte donnent à lire le récit inédit par Simeon Wade de l'expérience psychédélique vécue avec Michel Foucault en 1975 au milieu des plaines de sable californiennes.
Outre ce texte surprenant, dont on peut lire un compte rendu sur le site En attendant Nadeau, signalons la réédition de plusieurs écrits de Michel, au Seuil avec Leçons sur la volonté de savoir, son cours au Collège de France de 1971-1971, mais également chez Gallimard, qui réimprime dans la collection "Tel" Herculine Barbin dite Alexina B., regroupant les mémoires d'Herculine Babin, personne intersexe née au XIXe siècle, et le commentaire de ce texte par Foucault.
Moyen Âge et critique littéraire

La très belle collection "Libre cours" des Presses Universitaires de Vincennes accueille un nouveau volume : Moyen Âge et critique littéraire, signé par Alain Corbellari, qui vient combler ce qui restait une lacune dans bien des histoires de la critique littéraire. Il montre combien et comment les médiévistes ont pris une part prépondérante et souvent insoupçonnée dans l’élaboration de nos modèles critiques et théoriques. Une histoire de la critique littéraire relue du point de vue du médiévisme donc.
La poésie du cinéma

Poétiques, lyriques, riches en rimes visuelles : de telles expressions ne sont pas rares sous la plume des critiques, pour désigner des films aussi différents que ceux de Malick, de Jarmusch ou de Miyazaki. Si la poésie comme genre littéraire n’occupe qu’une place infime dans les lectures de nos contemporains, elle n’a visiblement pas disparu du langage commun (tel était le propos d'un récent sommaire de Fabula-LhT), où son dérivé, l’adjectif "poétique", est souvent utilisé à propos du cinéma. C'est de ce constat que part l'ouvrage collectif dirigé par Nadja Cohen, Le Cinéma en quête de poésie (Les Impressions Nouvelles), qui entend mener l’enquête sur cette quête de poésie au cinéma. On peut d'ores et déjà lire dans notre revue des parutions Acta Fabula un compte rendu du volume, qui s’interroge sur les formes et les significations du poétique au cinéma mais aussi sur la manière dont celui-ci peut informer les représentations filmiques des poètes et de la poésie.
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Une perspective similaire anime le numéro 53 de la Revue de langue et littérature françaises de Tôdai, intitulé "Le cinéma des poètes", qui donne les actes d'un colloque coorganisé par Carole Aurouet et Marianne Simon-Oikawa à l'Université de Tokyo en 2018.
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Rappelons également que les Nouvelles Éditions Place consacrent une collection au "Cinéma des poètes" et aux liens multiples qui unissent art cinématographique et expression lyrique: elle a notamment accueilli en 2018 l'ouvrage de Maïté Snauwaert Duras et le cinéma, qui revient à la fois sur les longs-métrages réalisés par la romancière et sur ses textes relatifs à ses œuvres filmées, relevant autant du manifeste pour un cinéma expérimental que du pamplet contre le cinéma commercial. Autre titre notable la même collection, Les Poètes spatialistes et le cinéma de Marianne Simon-Oikawa (2019) qui démontre que les poètes spatialistes, réfléchissant dans le cadre de leur poésie sur les notions d’espace, de mouvement et de son, ont pu voir dans la projection de poèmes et d’images sur un écran un prolongement des expériences qu’ils menaient par ailleurs sur des supports fixes. Nos lecteurs en trouveront également dans Acta fabula un compte rendu.
[Image tirée du film Le Sang d'un poète, Jean Cocteau, 1930]
N'était Michel Deguy

La revue Critique fête dans sa livraison d'avril les "quatre-vingt-dixièmes rugissants" de Michel Deguy, Prix Goncourt de la poésie 2020, en offrant quelques poèmes inédits et un entretien avec le poète, avant de donner la parole aux lectrices et lecteurs de ses plus récents recueils. "N'était Michel Deguy, nous finirions par oublier que la poésie est une force de proposition", fait valoir Martin Rueff qui a supervisé ce sommaire, après avoir naguère médité la "situation d’un poète lyrique à l’apogée du capitalisme culturel" selon le sous-titre de son essai Différence et identité. Michel Deguy (Hermann, 2009). Guillaume Perrier avait rendu compte de ce titre en son temps pour Acta fabula: "Image, allégorie, mémoire (Michel Deguy)".
Dictionnaire des francophones

Réunie autour de Bernard Cerquiglini, une équipe d'experts et expertes issus de toute la francophonie a mis au point le premier Dictionnaire des francophones sous la forme d'un espace wiki, collaboratif et ouvert, destiné à rendre compte de la richesse du français parlé au sein de l'espace francophone. Associant différentes institutions, dont l'Organisation internationale de la Francophonie (OIF), TV5MONDE et l'Agence universitaire de la Francophonie (AUF), le projet accessible comme site web ou via une application mobile gratuite offre une interface de consultation au sein de laquelle sont compilées plusieurs ressources lexicographiques, et un espace participatif invitant chacun à développer les mots et faire vivre la langue française.
La civilisation des mœurs au Moyen Âge

En 1939 paraissait en Suisse, sans rencontrer de réels échos, Sur le processus de civilisation, un ouvrage signé par juif allemand réfugié en Angleterre, un docteur en philosophie n’ayant pas pu soutenir son habilitation de sociologie sur la cour à l’époque de Louis XIV, un soutier de l’université, où il ne trouvera de poste stable qu’à… 57 ans. Norbert Elias ne connaîtra la gloire qu'à l'âge de la retraite: son maître-livre est réédité en Allemagne en 1969, puis traduit en français et en anglais, mais au prix de quelques coupes, dont le sacrifice d'un chapitre entier qui prenait place au centre du diptyque formé par La Civilisation des mœurs et La Dynamique de l'Occident comme de l'histoire que le sociologue voulait retracer, puisqu'il traitait du Moyen Âge. C'est ce chapitre inédit qui est aujourd'hui rendu aux lecteurs français par les soins de A.-M. Pailhès et E. Anheim sous le titre Moyen Âge et procès de civilisation. Sa lecture permet d’éclairer la pensée du sociologue allemand sur la place du Moyen Âge dans la genèse de la civilisation européenne : N. Elias y développe l’idée d’un "grand" Moyen Âge, qui irait du XIIe au XVIIIe siècle et se caractérisait par une institution, la cour. Ce texte est également un témoignage très précieux sur les méthodes de travail d’Elias, sur l’histoire des sciences sociales et la fécondité de la rencontre entre sociologie et histoire.
Rappelons la publication en 2016 aux mêmes éditions EHESS d'un autre essai inédit de N. Elias, Humana conditio, rédigé en marge de la conférence prononcée le 8 mai 1985 à Bielefeld pour célébrer le quarantième anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale, occasion d'une réflexion d'une grande lucidité sur les périodiques retours à la barbarie.
Traduire, transposer, composer

Quels usages poétiques fait-on du langage hors de "l’Occident", et que peut-on en saisir "en Occident" ? Ces usages, comment les aborder sans reconduire les "grands partages" (entre nous et les autres, entre écrit et oral, entre savant et populaire) qui conditionnent leur transmission ? Comment donner forme écrite à des pratiques artistiques orales ? Comment comprendre et traduire les arts verbaux très différents des canons littéraires européens ?`Ces questions, de nombreux écrivains se les sont posées et ont tenté de leur apporter des réponses. De la chanson tupinamba des "cannibales" de Montaigne au haïku "pour moi" de Roland Barthes, en passant par la pratique symboliste du pantoum ou l’intérêt de Jean Paulhan pour les hain-teny merinas, l’histoire littéraire est constellée d’aventures de transfert, aux motifs et aux succès variables. Ces tentatives ont en commun de ne pas laisser inchangées les pratiques de ceux qui en sont les artisans, d’affecter — étayer ou altérer — leur idée de ce qu’est la littérature, en révélant ses implications esthétiques et linguistiques, mais aussi sociales et politiques. Trois journées d'études organisées en ligne par l'Université de Genève les 27, 28 et 29 mai 2020 se sont attachées à éclairer les modalités d’ouverture, au XXe siècle, des écrivains, lettrés ou savants aux poétiques extra-occidentales, et à rendre compte de la manière dont s’opèrent des transferts de formes entre aires culturelles distinctes. Les actes de ces journées, réunis par Magali Bossi, Éléonore Devevey et Sébastien Heiniger, sont à présent disponibles dans la rubrique Colloques en ligne de Fabula.
Cyrano rouvre les théâtres

En partenariat avec le Réseau Canopé et Théâtre en Acte, la rédaction de Théâtral magazine a développé sous le nom de Cyrano une plateforme vidéo qui propose aux enseignants des collèges, lycées et universités francophones un accès libre et gratuit à un catalogue de captations, en lien avec les programmes scolaires. Ces captations intégrales sont assorties de compléments éducatifs sous la forme d'interviews, de liens vers des dossiers, d'éclairages dramaturgiques, de pistes pédagogiques etc.
(Illustr.: Valérie Dréville est Phèdre, m.e.s. Luc Bondy, Vidy-Lausanne, 1998)
Manières d'être(s)

Dans Manières d’être vivant, Baptiste Morizot déplace le curseur de la perception du côté du vivant, abandonnant la seule focale de « l’espèce qui a fait sécession en déclarant que les dix millions d’autres espèces étaient ‘‘de la Nature’’ ». Ces réflexions contemporaines, nourries d'enquêtes sur les formes de (la) vie, envisagent des modes d’organisation politique alternatifs, basés sur l’interdépendance et l’altérité. D’autres ouvrages récents collaborent à l’investigation, accueillis eux aussi dans la collection « Mondes sauvages. Pour une nouvelle alliance » des éditions Actes Sud, comme Habiter en oiseau de Vinciane Desprets, qui interroge la notion de territoire du point de vue animal, ou Penser comme un iceberg d’Olivier Remaud, centré pour sa part sur l'instabilité de la frontière (toute anthropocentrée) entre le minéral et le vivant. Pour un regard sur le végétal, plus spécifiquement ancré dans la métaphysique, les presses du réel éditaient il y a deux semaines la traduction française d’un succès paru en 2013 aux USA, Plant-thinking de Michael Marder, sous un titre sans équivoque : La pensée végétale. Nul doute que l’ample travail contemporain de refondation philosophique de notre rapport au vivant continuera à alimenter la recherche interdisciplinaire en écologie culturelle et sociale, qu’on pense à l’éco-histoire (dont le récent Les révoltes du ciel sera sans doute un jalon important) ou bien sûr à l’éco-poétique qui s’annonce comme un incontournable des études littéraires futures et compte déjà nombre de parutions francophones.
Voyages inaboutis

Les voyages suscitent le désir, mais ne sont pas toujours heureux (souvenez-vous): on voyage souvent mal ; sentiment d’ennui, de vanité ou d’inutilité face à l’entreprise, obstacles, changements d’itinéraire, interruptions et contretemps frustrants, événements forçant le voyageur à un retour précoce, et même, dans le pire des cas, mort en chemin sont autant de causes susceptibles de condamner le voyage comme son souvenir. L’échec, toutefois, peut également devenir un ressort essentiel de l’écriture viatique. À l'initiative de Nathalie Vuillemin, la huitième livraison de la revue Viatica constitue un guide pour les "Voyages inaboutis".
(Illustr.: Scène de rue au Caire, par Prosper Marilhat, ca. 1850)
Le XIXe siècle reste à venir

Après Poétique et Littérature, c'est au tour de la revue Romantisme de fêter son cinquantième anniversaire. Issue de la Société des études romantiques sous l’impulsion de Pierre Barbéris, la revue s'est longtemps donnée pour tâche de penser "l'impossibile unité" du Romantisme. Dans son éditorial, Françoise Gaillard rappelle qu'en 1970, "les temps étaient alors plus aux échanges vifs qu’au consensus. Mais cette vivacité témoignait d’une passion pour les idées et d’une implication personnelle dans les orientations à donner à la recherche et dans le choix des méthodes d’analyse des textes". Aujourd'hui comme hier, le romantisme a besoin d’impertinences et d’audaces, d’écarts plus que d’égards, comme en témoigne le 191e sommaire intitulé: "Le XIXe siècle à venir".
La bibliothèque des morts-vivants

Après un (réussi) Éloge des ratés, la bien vivante collection "Fictions pensantes" dirigée aux éd. Hermann par F. Salaün, qui fêtait l’an passé sa dixième année d’existence, accueille un deuxième essai de Ninon Chavoz: Les morts-vivants, sous titré Comment les auteurs du passé habitent la littérature présente. Car les auteurs qui reposaient paisiblement au Panthéon viennent désormais hanter les romans français et francophones contemporains du sceau de leur obsédante présence : celle-ci se manifeste moins par une prolifération intertextuelle que par une véritable résurrection, qui peut prendre la forme de zombis walks, de revenances spectrales ou de réincarnations en tous genres. N. Chavoz nous invite à suivre leur titubant cortège : au détour d’étranges rencontres avec Baudelaire, Rimbaud et d’autres, elle délivre quelques réflexions sur l’état présent de la littérature, sur son dialogue avec la culture populaire et sur le rapport des lecteurs et des auteurs d’aujourd’hui au patrimoine littéraire. Fabula donne à lire l'introduction de l'ouvrage…
Rappelons au passage aux éditions Champion la thèse de N. Chavoz consacrée à la tentation encyclopédique dans l’espace francophone africain, et les "Entretiens littéraires" qu'elle avait organisés en 2016-2017 à l’École Normale Supérieure, accueillis parmi les Colloques en lignes de Fabula sous le titre "Les Rencontres d’Afriques Transversales".
Déplacer l'éléphant

Trop longtemps négligée par la critique, l’œuvre de Patrick Sébastien est à géométrie variable. De la scène à la lettre en passant par le petit écran, elle est à maints égards emblématique d’une recherche qui transgresse les horizons artistiques du post-extrême contemporain. Ça baigne! (1980-81), T’aime (2000), Comme un poisson dans l’herbe (2013), On dégoupille! (2020) : autant de manières de thématiser, sous des formes inlassablement renouvelées, un je dubitatif face à une société (du spectacle?) en permanente mutation. Sébastien polygraphe donc, mais peut-être avant tout, artiste total. Sous le titre "Déplacer l’éléphant. Pour une cartographie transmédiale de l’œuvre sébastianesque", une journée d’étude initiée à Lausanne par le Pôle d’études patrick-sébastianesques (PEPS) visera ainsi à réévaluer à nouveaux frais les pratiques artistiques de Sébastien pour montrer que, sous sa frivolité et sa disparité supposées, cette œuvre recèle mutatis mutandis une cohérence roborative.
Le nom de l'auteur

Et si les innombrables difficultés méthodologiques et théoriques liées au statut de l’auteur avaient pour origine la nature fuyante du nom propre ? Telle est l'hypothèse mise en débat, à l'initiative d'Yves Baudelle et Mirna Velcic-Canivez par la dernière livraison de la revue Études françaises sous le titre "Noms d'auteurs". Si c’est avant tout par son nom que l’auteur manifeste son identité, le nom d’auteur n’en est pas moins un nom bien particulier. Il cautionne l’écrit auquel il est apposé et s’associe à un ensemble de titres. D’où sa spécificité : contrairement aux anthroponymes usuels, il ne renvoie pas nécessairement à une personne, son référent étant déterminé par l’institution de la signature. Un nom d’auteur est donc un nom propre et, en même temps, un acte de validation. Le dossier approfondit les particularités du nom d’auteur, en s’attachant notamment au cas de l’anonymat, aux signatures collectives et à l’insertion du nom de l’auteur dans sa fiction.
Des étoiles nouvelles

Après Un savoir gai, paru en 2018, William Marx publie un nouvel ouvrage aux éditions de Minuit: Des étoiles nouvelles. Quand la littérature découvre le monde. L'auteur y parle du plus loin de nous, le firmament, et de ce qui nous touche au plus près, les mots du poète, des mots qui parfois nous découvrent le ciel. Il propose un livre sur tout et sur l’inaccessible, sur l’altérité et les relations Nord-Sud, sur l’esthétique, la science et le pouvoir, sur la mémoire et les possibles de l’histoire. Il dévoile les métamorphoses de la poésie en même temps que celles de notre connaissance du monde, autour d'une série de questions originales, sous-tendues par celle-ci, qui les résume toutes : que peut une image ? À partir de deux mots pris dans l’un des poèmes les plus célèbres de la langue française, un sonnet d'Heredia, l’ouvrage raconte la découverte du monde, de la terre et du ciel par le langage et la littérature. Notre revue des parutions Acta Fabula inaugure avec ce livre une nouvelle formule, et donne à lire un entretien de William Marx avec Perrine Coudurier et Matthieu Vernet. Acta fabula propose également dans cette même livraison une recension de sa leçon inaugurale : "Vivre dans la bibliothèque du monde".
Vive la Commune !

18 mars 1871, le peuple de Paris prend les armes pour s’opposer à la défaite de la guerre franco-allemande. Dans une large partie de la ville, une expérience autogestionnaire se met alors en place et, malgré sa brièveté, elle se taille dans les mémoires une part lumineuse. Pour commémorer les cent-cinquante ans du soulèvement, le 30ème numéro de COnTEXTES, dirigé par Justine Huppe et Denis Saint-Amand, se consacre aux « Discours et imaginaires de la Commune ». Il s'inscrit dans une salve de parutions consacrées à l’événement, dont le dernier numéro de Nineteenth-Century French Studies, les anthologies d’Éléonore Reverzy, Témoigner pour Paris. Récits du Siège et de la Commune (1870-1871) et de Jordi Brahamcha-Marin et Alice De Charentenay La Commune des écrivains : Paris, 1871, vivre et écrire l’insurrection, outre l'édition très attendue des Mémoires de Louise Michel par Claude Rétat. Une encyclopédie éditée par Michel Cordillot rassemble une trentaine de chercheurs et de chercheuses autour de textes inédits (et de 600 illustrations pour la plupart également inédites). Dans les termes de Ludivine Bantigny, qui a récemment fait paraître une vivifiante correspondance au présent de personnalités d'aujourd'hui avec les acteurs et les actrices de la Commune : "Dignité, justice sociale, partage du travail, égalité, rapport renouvelé à l’art, à l’éducation, à la culture et au quotidien… C’est tout cela, la Commune de Paris, une expérience révolutionnaire à bien des égards inouïe : pour la première fois, des ouvriers, des ouvrières, des artisans, des employés, des instituteurs et institutrices, des écrivains et des artistes s’emparent du pouvoir." Pour mieux se convaincre que la Commune n'est décidément pas morte, on se plongera aussi dans l'anthologie Demain, la Commune ! Anticipations sur la Commune de Paris de 1871, où Philippe Ethuin (publie.net) a rassemblé les textes qui, dès 1871, ont imaginé, pour le pire ou pour le meilleur, la victoire de la Commune.
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Cet anniversaire nous est aussi une occasion de méditer une nouvelle fois ce mot de Hugo, témoin de l’écrasement de la Commune : "Alceste est aujourd’hui fusillé par Philinte" (Les Fusillés, dans la section Juin de L’Année terrible).
Pourquoi le style change-t-il ?

Après Sujet, verbe, complément. Le moment grammatical de la littérature française 1890-1940 (Gallimard, 2002), le volume La langue littéraire. Une histoire de la prose en France de Gustave Flaubert à Claude Simon co-dirigé avec J. Piat (Fayard, 2009), Le Français dernière des langues et Le rêve du style parfait (PUF, 2013 et 2015) ou encore French style. L’accent français de la prose anglaise (Les Impressions nouvelles, 2016) dont on peut lire l'introduction dans l'Atelier de théorie littéraire de Fabula, Gilles Philippe se demande Pourquoi le style change-t-il ? (toujours aux Impressions nouvelles). Non pas à l'échelle de tel ou tel auteur, où la question n'admet de réponses qu'individuelles — certains auteurs ne changent guère de plume, d'autres connaissent des périodes — mais bien à l'échelle collective: le fait est qu’on n’écrivait pas de la même façon en 1850 et en 1900, en 1950 et en 2000, ou même en 1860 et en 1880, en 1940 et en 1960… Ce livre confronte les réponses qui ont été apportées à la question du changement stylistique, et vient en proposer d'autres. Fabula donne à lire un extrait de l'ouvrage.
Corneille revient en scène

L'Œdipe de Corneille (1659) fait son entrée dans la collection GF-Flammarion, où celui de Voltaire l’avait précédé de quelques mois, dans une édition établie par Arnaud Welfringer qui fait dialoguer la pièce par laquelle Corneille est revenu au théâtre après sept ans d’absence avec les trois Discours sur le poème dramatique élaborés exactement dans le même temps. Considéré par Aristote comme le sujet tragique par excellence, l’histoire de ce roi qui se découvre parricide et incestueux heurtait toutefois de front l’impératif de bienséances: pour "remédier à ces désordres", le dramaturge français a dû apporter des modifications considérables au mythe, qu’il adapte selon ses propres préceptes dramatiques. "Lire l’Œdipe de Corneille, c’est ainsi l’occasion de comprendre, peut-être plus clairement qu’avec toute autre pièce du XVIIe siècle, ce qu’est une tragédie classique". La GF réimprime dans le même temps les Trois Discours sur le poème dramatique dans l’édition établie par Marc Escola et Bénédicte Louvat.
Les poèmes appartiennent à ceux qui les lisent

Après La Fabrique du vers (Seuil, "Poétique", 2009) et La Muse satyrique - 1600-1622 (Droz, 2014), Guillaume Peureux fait paraître De main en main. Poètes, poèmes et lecteurs au XVIIe siècle (Hermann). Il y montre comment, entre la fin du XVIe siècle et la fin du XVIIe siècle, les poèmes appartiennent à ceux qui les lisent : manuscrits ou imprimés, passant de main en main, ils sont objets d’appropriations de formes et d’ampleurs variées, autoritaires, qui entraînent une variabilité insoupçonnée. L'essai vient proposer de nouveaux cadres d’analyse de la poésie classique, qui renouvellent en profondeur la compréhension de ses enjeux esthétiques et des pratiques sociales auxquelles elle donne lieu. Il met en évidence un phénomène massif : les innombrables commentaires et réécritures auxquels sont soumis les poèmes à l’époque, de la part de multiples sources et acteurs – correspondants des auteurs, experts sollicités ou non, copistes ou lecteurs. Ces gestes constituent autant d’appropriations par lesquelles on s’empare des poèmes en vue de nouvelles utilisations. Fabula donne à lire l'introduction du volume…
Littérature a cinquante ans

Après la revue Poétique, qui faisait paraître l'an dernier un indispensable index Cinquante ans de Poétique (1970-2020), c’est au tour de Littérature, la revue de l’Université de Vincennes à Saint-Denis, de fêter son cinquantième anniversaire avec un revigorant sommaire intitulé "Zones à dire. Pour une écopoétique transculturelle", coordonné par le Collectif ZoneZadir. Il nous invite à réfléchir aux "formes qu’emprunte la littérature lorsqu’elle manifeste un attachement concret à des lieux singuliers du monde entier revêtent une portée particulière", à pratiquer une lecture à la fois écopoétique et transculturelle des textes littéraires pour "rendre aux lieux leur horizon non linéaire, leurs dérangeantes lignes de fuite et leurs fractures"…
Flaubert sans fin

L'année 2021 marque le bicentenaire de la naissance de Gustave Flaubert. À l'occasion de cet anniversaire, différents événement auront lieu en Normandie, région d'origine de l'écrivain, où il a rédigé une partie de son oeuvre. Cette dernière connaît plusieurs rééditions, notamment en poche aux éditions Flammarion: c'est le cas de La Tentation de saint Antoine et de Salammbô, édités par Gisèle Séginger, ainsi que des Trois Contes, annotés par Pierre-Marc de Biasi. Par ailleurs, sa correspondance avec Guy de Maupassant a récemment été publiée aux éditions Le Passeur, sous le titre La terre a des limites, mais la bêtise humaine est infinie. Ces lettres permettent de suivre Flaubert dans les sept dernières années de sa vie et Maupassant dans ses sept premières années en littérature, et de prendre conscience de la profonde amitié qui unissait ces deux hommes, malgé leur trentaine d'années d'écart. Du côté de la critique, plusieurs études originales consacrées à l'auteur de Madame Bovary ont vu le jour au cours des derniers mois: c'est notamment le cas de l'ouvrage Après la fin. Flaubert et le temps du roman de Véronique Samson, qui propose de relire l’œuvre de Flaubert comme une réponse de l'écrivain à sa relation au temps et ouvre plus largement une réflexion sur l’histoire des formes romanesques au XIXe siècle, ou encore de Flaubert aux prises avec le « genre ». De la famille queer à « la Nouvelle femme » de Jeanne Bem, essai utilisant la théorie du « genre » pour revisiter de façon critique l’homme et le romancier. Dans cette étude, rien n’est éludé de ce que Flaubert a pu penser du féminin, de la binarité, de la domination masculine, ni de la manière dont il se situait personnellement dans la société, mais tout est replacé dans le contexte historique. De manière plus surprenante encore, un roman publié par Régis Jauffret aux éditions du Seuil, intitulé Le dernier bain de Gustave Flaubert, propose de relire au prisme de la fiction les pensées qui ont pu traverser l'écrivain au crépuscule de sa vie, quelques heures avant l'attaque cérébrale qui lui sera fatale: allongé dans l'eau de son bain, Flaubert revoit son enfance, sa jeunesse, ses rêves de jeune homme, ses livres dont héroïnes et héros viennent le visiter. Il se souvient d’Élisa Schlésinger, la belle baigneuse de Trouville qui l’éblouit l’année de ses quinze ans, de Louise Colet dont les lettres qu’il lui adressa constituent à elles seules un chef-d’œuvre mais aussi de l’écrivain Alfred Le Poittevin qui fut l’amour de sa vie.
Radio-graphie

La dernière livraison de la revue Komodo 21 s'intéresse à Nuits magnétiques, un programme emblématique de France Culture, lancé en 1978 et animé d'abord par le poète Alain Veinstein, présent dès l’ouverture du sommaire dans un entretien avec Karine Le Bail. Le numéro présente le cas de l’émission – atypique dans le paysage audiovisuel – pour explorer les liens entre écriture littéraire et radio, interrogeant notamment « la part de l’écrivain » dans les évolutions médiales contemporaines. On peut lire sur un sujet proche, dans les Colloques en ligne de Fabula, un article de Marie-Laure Rossi prenant pour corpus les tweets du même Alain Veinstein et dont le titre pose un problème significatif : qu’est-ce que « twitter dans le bruit du monde » ? Nuits magnétiques, puis Du jour au lendemain, ont été des moments clés du travail de documentarisation de la littérature contemporaine mené par le poète, passeur de textes et homme de radio, dont plusieurs recueils d’entretiens sont parus ces dernières années, notamment avec André Du Bouchet chez l’Atelier Contemporain ou avec Bernard Noël chez l’Amourier, deux volumes qui attestent de la construction d’une position d’interlocution au fil des années, du travail subtil que fait celui ou celle qui interroge, qui écoute et qui enregistre.
Critique juridique et policière

Dans Agatha Christie. Le droit apprivoisé récemment paru aux éditions Classiques Garnier dans la collection "Esprit des lois, esprits des lettres", Nicolas Bareït postule que l’œuvre d’Agatha Christie peut donner lieu à une lecture juridique, car l’autrice y déploie une véritable poétique du droit. Le procès, le couple et la mort sont les trois motifs à la fois littéraires et juridiques qui participent à la structuration de son imaginaire et lui confèrent sa singularité. Cette relecture originale d'un corpus de romans policiers à travers un prisme juridique trouve un écho singulier avec la publication en ligne du deuxième numéro de la revue Intercripol, réunissant des contributions de spécialistes de la "critique policière" : le volume comprend notamment un grand dossier collectif sur Georges Perec, centré sur son dernier et mystérieux roman inachevé, 53 jours, et propose également des enquêtes sur les soeurs Brontë, Stendhal, Balzac, Mérimée, Henry James et Giono, Conan Doyle, Vian ou les cinéastes Jean Cocteau et Jacques Demy. Le dernier numéro d'Acta Fabula propose par ailleurs un entretien avec le "Policburo" d'Intercripol, qui entre en résonance avec la contribution de Caroline Juillot portant sur le procès du personnage du Comte de Monte-Cristo dans le dossier "Débattre d'une fiction" publié en février dans Fabula-LhT.
(Photo: "Agatha Christie on the set of Witness for the Prosecution", ©The Christie Archive Trust)
Le journal de lecture comme pratique de recherche

À la croisée de la lecture et de l'écriture, les journaux de lecture peuvent être aussi des outils de recherche et d'enseignement stimulants pour qui souhaite enquêter sur l'interprétation et la réception des œuvres littéraires et/ou proposer des exercices favorisant l'appropriation des œuvres par les étudiant·e·s. Dans un essai inédit qui forme une nouvelle entrée de l’Atelier de Théorie Littéraire, Anne-Claire Marpeau revient sur cette pratique qu’elle a mis plusieurs fois en place, comme en témoigne aussi sa contribution sur la réception d’Emma Bovary dans la récente livraison de Fabula-LhT. Comparativement à d’autres pratiques de constitution de sources, le journal permet de récolter les traces d’une lecture sur une temporalité longue, intégrant les variations émotionnelles et interprétatives de l’enquêté·e. S’il autorise un accès plus précis à l’intimité du sujet lisant, sa mise en place ne peut s’imaginer sans plusieurs précautions méthodologiques, qu’Anne-Claire Marpeau détaille, tout en exemplifiant à la fois ses usages, ses fondements théoriques et ses limites. Si les enquêtes de réception sont largement installées aujourd’hui dans les perspectives sociologiques et didactiques, l’article montre comment le journal de lecture permet d’inscrire une démarche de recherche dans le champ des études culturelles, et il ne fait aucun doute que les théories de la littérature et du récit pourraient aussi y trouver un laboratoire riche ou mettre en question leurs hypothèses sur les effets supposés des textes, les cadrages sociaux de la lecture comme pratique ou encore l’appartenance de chaque lecteur·trice à différentes communautés interprétatives.
Journée des droits des femmes

La Journée internationale des droits des femmes a lieu ce lundi 8 mars, et constitue une occasion de rappeler que l'égalité est encore aujourd'hui loin d'être acquise. Historiquement, l'idée de cette date est apparue au début du siècle dernier, à l'initiative (parmi d'autres) de la militante féministe, révolutionnaire et antifasciste Clara Zetkin, dont plusieurs textes majeurs ont été récemment rassemblés dans un volume intitulé Je veux me battre partout où il y a de la vie. Fabula signale donc à ses lectrices et lecteurs quelques publications récentes consacrées à certaines figures fondamentales des combats pour l'égalité, à l'instar d'un récent numéro de la revue Europe consacré à Virginia Woolf, la biographie de cette même pionnière proposée par Henriette Levillain, la récente édition dans la collection Folio du journal de la suffragiste Aubertine Auclert ou encore un bel ouvrage consacré aux peintres femmes entre 1780 et 1830. Dans le registre autobiographique, on trouve l'enquête de Rose-Marie Lagrave sur son propre parcours de sociologue féministe, dans lequel elle remet en cause les récits dominants sur la méritocratie, les stéréotypes associés aux transfuges de classe, le mythe d’un «ascenseur social» décollant par la grâce de talents ou de dons exceptionnels. Dans le champ anglophone, enfin, plusieurs ouvrages théoriques proposant notamment de relire certains récits télévisuels au prisme des rapports de genre ou d'interroger l'inégalité à travers des contributions de spécialistes de différents domaines ont récemment vu le jour, et complètent de manière utile ce tour d'horizon non-exhaustif.
[Illustration: Virginia Woolf en couverture de la revue Europe]
L'empire du rire

Avec l’avènement de la démocratie, le rire apparaît comme un bien commun, partagé par tous et irriguant la totalité de l’espace public. Ce rire démocratique prend aussi appui sur la puissance de propagation et d’innovation des nouvelles industries médiatiques, qui acquièrent un poids économique et une force de frappe incomparables : acteur majeur de notre culture moderne du loisir et du divertissement, le rire s’est imposé à tous et constitue aujourd’hui l’un des moteurs de la société marchande et du consumérisme. Mais le rire répond aussi à un besoin anthropologique plus large : il soulage face aux angoisses de l’existence, et permet d’expérimenter le plaisir de la connivence sociale et celui de la fantaisie imaginative. Réuni par M. Letourneux et A. Vaillant sous le titre L'Empire du rire. XIXe-XXIe siècles (CNRS éd.), un volume d'un millier de page offre à la fois une histoire culturelle du rire, une description de ses formes et des techniques utilisées, une réflexion théorique sur ses usages dans l’espace social. Des catégories du risible aux cibles du rire, de l’esthétique du rire à son usage au service des idéologies – à travers les beaux-arts, la littérature, la caricature, les arts de la scène, la télévision et les médias, la publicité, internet, l'ouvrage nous redonne accès à toutes les grandes figures de l’humour depuis près de deux siècles, en prenant au sérieux la culture du rire pour mesurer le rôle capital qu’elle a pu jouer dans l’histoire de notre modernité.
Et parce que Fabula a toujours le mot pour rire, rappelons que l'Atelier de théorie littéraire de Fabula donne à lire l'introduction du précédent ouvrage d'A. Vaillant sur le sujet, "La civilisation du rire", et propose imperturbablement des entrées dédiées à l'Humour et au Comique, mais aussi, dans les Colloques en ligne, les actes d'un colloque tenu naguère à l'Université de Lausanne à l'initiative de M. Caraion et L. Danguy: "Le rire : formes et fonctions du comique".
(Photo.: ©René Maltête)
Voyages en Sicile

L'année 2021 marque le centenaire de la naissance de l'auteur sicilien Leonardo Sciascia. Diverses publications ont vu le jour à l'occasion de cet anniversaire, à commencer par Portrait sur mesure aux éditions Nous, qui propose un choix de textes (articles, essais, souvenirs, textes d’intervention) de Leonardo Sciascia, traduits pour la première fois par Frédéric Lefebvre. On peut lire sur le site de l'éditeur l'introduction de ce livre réunissant des analyses subtiles et jamais convenues des difficultés de la Sicile, des réalités de la mafia, mais aussi de l’histoire de l’île et des enjeux de la littérature; le site Altritaliani propose un compte rendu de cet ouvrage, tout comme le journal en ligne En attendant Nadeau, Récemment, des rééditions en français de l'oeuvre romanesque de Sciascia ont été proposées, notamment aux éditions Sillage avec Le Chevalier et la Mort, l’un des derniers écrits publiés par l'auteur, roman ironique et érudit et forme de testament littéraire. Enfin, les Cahiers de l'Hôtel de Galliffet ont réuni dans le recueil Stendhal for ever. Écrits 1970-1989 toutes les pages consacrées par l'écrivain sicilien à l'auteur de la Chartreuse. Bibliophile raffiné et lecteur insatiable, Sciascia y adopte la démarche du glaneur qui savoure le plaisir de retrouver, au fil de ses explorations littéraires, les traces de la présence, manifeste ou secrète, d'un écrivain auquel il voue une véritable adoration.
[Image: photographie de Leonardo Sciascia, source: Babelio]
Selon Matthieu

Après Des verticales dans l'horizon et Trois soulèvements, sous-titré Judaïsme, marxisme et la table mystique, Denis Guénoun poursuit aux éditions Labor et fides (Genève) sa méditation entre esthétique et théologie avec un essai sur le prénom Matthieu tel qu'il circule d'un art à l'autre, depuis les grandes toiles consacrées à saint Matthieu par Caravage, jusqu'à l’immense Passion selon Matthieu de Bach, mais aussi L’Évangile selon saint Matthieu de Pasolini, en laissant vibrer les résonances du récit biblique. L'enquête prend aussi la forme d'une quête autobiographique où le prénom de Matthieu fait figure "d'indice dans une intrigue dont on ignore la clé".
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Le mardi 23 mars, à 18h15, l'Université de Genève organise, à l'initiative de sa Faculté de théologie, une discussion en vidéo-conférence autour de ce Matthieu, avec la participation de Jan Blanc, Andreas Dettwiler, Elisabeth Parmentier et Martin Rueff. [SÉANCE ANNULÉE]
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Rappelons la parution il y a quelques semaines aux éditions MétisPress, et toujours à Genève, du volume collectif Avec Denis Guénoun. Hypothèses sur la politique, le théâtre, l'Europe, la philosophie, supervisé par É. Eigenmann, M. Escola et M. Rueff.
Pour une histoire de l'idée de littérature

"La littérature n’est au fond que le nom stable d’une fuite incessante de concepts, de formes, d’expériences" écrivait Roland Barthes qui comparait la littérature au vaisseau Argo : à l'heure de l'extension contemporaine du champ littéraire et des débats sur la mort de la littérature, Alexandre Gefen propose dans L'Idée de littérature. De l'art pour l'art aux littérature d'intervention (Corti) de faire l'histoire d'un concept en cours de rapide transformation pour mieux décrire la littérature d'aujourd'hui. Fabula vous invite à lire l'introduction de cet essai dans l'Atelier de théorie littéraire.
La visite au vieil homme

À l’occasion du centenaire de la naissance de Friedrich Dürrenmatt, Albin Michel publie un premier tome de ses œuvres complètes, préfacé par Amélie Nothomb et réunissant quatre de ses plus grands romans - La Promesse, La Panne, Le Juge et son bourreau et Le Soupçon. Le centre d’art neuchâtelois qui porte le nom de l’auteur renouvelle son exposition permanente, programme plusieurs événements commémoratifs et fait paraitre un volume dirigé par Madeleine Betschart et Pierre Bühler consacré au dialogue entre écriture et peinture chez Dürrenmatt.
En effet, si l’on étudie beaucoup l'œuvre théâtrale et romanesque de Dürrenmatt, on sait moins qu’il était également un peintre abondant – ainsi qu’un caricaturiste, comme en témoigne une récente contribution de Philippe Kaenel parue dans les Colloques en ligne de Fabula. De la satire politique (on appréciera Guillaume Tell armé d’une bombe atomique dans sa Critique de l’affaire Mirage) au jeu complexe autour de la notion de représentation (Dürrenmatt peint régulièrement ses propres mises en scènes théâtrales avec une certaine liberté), l’œuvre hétéroclite du suisse devrait susciter encore longtemps l’intérêt de la critique.
(©Illustration : Critique de l’affaire Mirage (1973), collage, encre de Chine et gouache sur une carte de la Suisse)
Philippe Jaccottet s'absente du paysage

Le poète suisse Philippe Jaccottet est mort à Grignan le 24 février 2021, à l’âge de 95 ans. De son écriture, on retiendra une forme intense d’attention au monde et un souci de justesse dans la volonté de transcrire par les mots l’instant saisi, qui ne se déparent jamais de l’inquiétude de ce que «peut la parole» comme dirait Jean Starobinski. Si l’on peut parler d’une éthique chez Philippe Jaccottet, c’est bien celle de la parole simple, qui se veut hésitante, tâtonnante, car elle sait que «c’est le tout à fait simple qui est impossible à dire», de même qu’un bol de terre est le plus difficile à peindre. L’œuvre de Philippe Jaccottet a été rassemblée en 2014 dans la Bibliothèque de la Pléiade, reconnaissance que seuls de rares écrivains suisses ont obtenu, et aucun de son vivant. La collection Blanche de Gallimard fait également paraitre deux inédits, un recueil de notes et un recueil d'une trentaine de poèmes dans lesquels le poète revisite les grands textes qui l'ont inspiré. Enfin, un volume rassemblant des écrits de l'écrivain sur les arts plastiques et la peinture est à paraître aux éditions Le Bruit du Temps.
[Image : Philippe Jaccottet - Grignan, 2007 © Serge Assier]
Patrimoine et littérature

Récemment créé, le réseau Patrimonialitté rassemble des chercheur.euse.s intéressé.e.s par les principaux axes en fonction desquels se déclinent les rapports entre littérature et patrimoine. D’une part, la fabrique du patrimoine littéraire, c’est-à-dire la constitution de la littérature comme patrimoine et, d’autre part, la fabrique littéraire du patrimoine, c’est-à-dire la mobilisation, voire l’instrumentalisation, de la littérature comme outil de patrimonialisation pour d’autres objets ou d’autres formes et pratiques culturelles. Le réseau Patrimonialitté, ouvert à tous les chercheurs et chercheuses, se donne pour but de dresser le panorama des recherches en cours et de contribuer à fédérer les projets dans ce domaine, à travers, notamment, un agenda, un séminaire (dont les visioconférences sont en libre accès) et un annuaire de chercheurs et chercheuses, hébergés sur un Carnet de recherche.
À la mémoire de Joseph Ponthus

L'écrivain Joseph Ponthus nous a quittés, emporté par un cancer à l'âge de 42 ans. Il laisse derrière lui un unique roman, À la ligne – Feuillets d'usine, publié en 2019 aux éditions de la Table ronde et primé à plusieurs reprises. Sous la forme d'un long poème sans ponctuation, l'auteur y narre le quotidien éreintant et répétitif d'un employé intérimaire dans une usine agroalimentaire du nord de la France. Ce récit plein de rage et de sensibilité, inspiré du vécu du romancier, qui a été contraint de travailler en usine après avoir abandonné son emploi de travailleur social pour suivre sa compagne en Bretagne, offre une voix salutaire à celles et ceux qui en sont généralement privés. Le plus bel hommage que l'on puisse faire à cette plume incisive partie trop tôt est de lire et de relire ce texte d'une grande justesse.
(Image: portrait de Joseph Ponthus, Babelio)
Débattre d'une fiction

Nos lectures comme nos expériences de spectateur ou de spectatrice ne prennent pas fin à la dernière page, à la dernière réplique ou au dernier plan. Les fictions ne nous importeraient sans doute pas autant si elles faisaient seulement l’objet d’une expérience individuelle vouée à rester silencieuse. Parvenu·es au dénouement d’une fiction, au terme d’une projection ou à l’issue d’un spectacle, personnages, conflits ou situations continuent de nous hanter sur un tout autre mode que celui du souvenir personnel. La fiction se pluralise alors dans l’interdiscours et vient tout à la fois structurer l’espace social et modéliser l’expérience personnelle de réception.
L’interrogation qui préside à ce nouveau numéro de Fabula-LhT (pour Littérature Histoire Théorie), à l’initiative de la Formation doctorale interdisciplinaire de l’Université de Lausanne et de la jeune Société internationale de recherches sur la fiction et la fictionnalité (International Society for Fiction and Fictionality Studies), est aussi simple qu’abrupte : que faisons-nous avec les fictions et aux fictions elles-mêmes lorsque nous débattons d’elles ? Comment constituer le débat sur les fictions en objet théorique ? Réuni par Marc Escola, Françoise Lavocat et Aurélien Maignant, ce vingt-cinquième sommaire de Fabula-LhT, qui accueille en supplément un essai inédit de Raphaël Baroni sur la "perspective narrative", est adossé comme à l'accoutumée à un dossier critique d’Acta fabula qui revient de son côté sur plusieurs parutions récentes dans le champ des théories du récit et de la fiction.
(Illustr.: ©Luis Camnitzer)
Faux poivre

Récemment traduit et publié aux éditions Noir sur Blanc, Faux poivre de Monika Sznajderman narre l'odyssée des membres de la famille de l'autrice à travers les camps, leur fuite, puis leur retour à Varsovie. Pour la sociologue Barbara Engelking, «Faux poivre est un livre extraordinaire qui montre l’enchevêtrement des histoires ayant fait la Pologne. L’auteure reconstitue le destin de ses aïeux juifs, trouvant des traces de leur existence dans les journaux, les archives d’infimes indices éparpillés entre le ghetto de Varsovie, Radom et jusqu’à l’Amérique et l’Australie. Elle présente avec le même soin les parents et ancêtres de sa mère, issus d’une pittoresque famille de la noblesse polono-saxonne. Leur histoire se déroule à Varsovie, à Moscou, en Volhynie, sur les domaines et les grandes villes que bouleversaient les Années folles. Monika Sznajderman évoque ces deux mondes avec une égale dévotion, nous faisant prendre conscience à la fois de la fugacité de l’existence et de la complexité des identités polonaises, ainsi que de la valeur et du sens de la mémoire.» On peut lire sur le site de l'éditeur les premières pages de cette enquête sensible, traduites du polonais par Caroline Raszka-Dewez.
Où passe la censure ?

Aux yeux de la justice, l’art n’a pas tous les droits et les approches juridiques du fait littéraire se multiplient. Emmanuel Pierrat, avocat et écrivain, fait paraitre une réflexion nouvelle sur trois affaires connues, 1857. La littérature en procès : Gustave Flaubert, Charles Baudelaire et Eugène Sue face à la censure (Herman). L’auteur s’essayait déjà l’année dernière à un guide de survie juridique à destination de celles et ceux qui se lancent dans la création littéraire, objet d’un récent compte-rendu paru dans Acta Fabula. S’agissant de censure, la revue accueillait aussi récemment des contributions revenant sur la genèse d’une œuvre souvent interdite, celle de Violette Leduc ainsi que sur les jugements de l’Index, du romantisme au naturalisme.
Retour des fantômes

La dernière livraison de la revue Critique (n° 884-885), intitulée «Le grand retour des fantômes» et coordonnée par Irène Salas et Yves Hersant, propose une anthologie de l'«hantologie» en postulant que les revenants et autres spectres investissent tout le domaine de l’humain depuis le début du XXIe siècle. Le sommaire que l'on peut lire sur Cairn réunit quinze chercheurs et chercheuses d'horizons divers portant sur la hantise généralisée qui caractérise notre époque. L'idée d'une émergence d'un temps contemporain des fantômes rappelle les problématiques évoquées dans le numéro 13 de notre revue Fabula-LhT portant sur «La bibliothèque des textes fantômes» (2014), apparié à un dossier critique d'Acta fabula, tous deux consacrés à ces textes «spectraux» qui n'existent qu'au sein d'une autre œuvre. Ces livres décrits dans des livres suscitent l'engouement : en témoignent le récent ensemble consacré aux «Chefs d'oeuvre inconnus au XIXe siècle» parmi les Colloques en ligne de Fabula ou l'actuel séminaire de William Marx au Collège de France consacré aux bibliothèques invisibles.
Les chefs-d'œuvre inconnus au XIXe siècle

La collection "Auteurs, œuvres, périodes" des Colloques en ligne de Fabula accueille un nouvel ensemble consacré aux "Chefs-d'œuvre inconnus au XIXe siècle", réuni par Amandine Lebarbier. Cette publication, issue de deux journées d’études organisées dans le cadre d’un atelier de la Société d'Études Romantiques et Dix-neuvièmistes (SERD), vise à proposer une exploration de la bibliothèque fantôme, du musée imaginaire et de la musicothèque fictive constitués par la littérature du XIXe siècle, en étudiant notamment la vogue des fictions d’artistes dans lesquelles l’atelier devient un lieu mythique. En partant à la rencontre de quelques-uns des chef-œuvres inconnus qui non seulement n’ont d’existence que littéraire mais connaissent la plupart du temps une deuxième mise à mort dans la fiction – les tableaux sont détruits, les artistes meurent sans terminer leurs œuvres, etc –, l'ensemble vise à reconstituer quelques projections historicisées de l’histoire de l’art et de la conception de l’œuvre d’art, traversées par des enjeux multiples : réflexion anamnestique et nostalgique sur les grands maîtres du passé, rêves du chef-d’œuvre absolu et de l’œuvre à venir, rivalités entre les arts, conception genrée de la création artistique.
(Illustr. A.G [sig.], illustration pour la scène XIV du drame en un acte de Charles Lafont, Le chef-d’œuvre inconnu, 1837, © BnF).
Faire ses exercices

Tous les arts requièrent de s’exercer, mais c'est une exigence encore peu étudiée, notamment par la recherche qui préfère les formes advenues à ce qui les a fait advenir. Un récent sommaire de Methodos, dirigé par Bernard Sève et Sarah Troche et intitulé « L’exercice en art » aborde la question sous un angle pluridisciplinaire. L’ensemble des contributions montre que si l’exercice artistique tend à développer de nouvelles capacités, il vise aussi à se déprendre de conditionnements gestuels et perceptifs. On trouvera notamment au sommaire des réflexions sur le travail de Francis Ponge, dont les éditions Gallimard viennent de republier La Fabrique du pré, ouvrage où le poète révèle et médite la genèse d'un de ses poèmes : donner priorité au processus créateur sur le produit final, telle est peut-être l'une des leçons majeures de la poétique, sinon son sens même.
Perspective narrative, focalisation, point de vue

Dans le domaine de la théorie du récit, il y a peu de notions théoriques qui soient aussi systématiquement enseignées tout en ayant donné naissance à autant de définitions divergentes, de débats contradictoires et de controverses que la perspective narrative, souvent désignée, dans la foulée de Genette, par le terme générique de focalisation. Si tout le monde s'accorde à reconnaître l'importance de cet aspect de la narrativité, qui détermine de manière décisive l'appréhension du monde de l'histoire, la difficulté tient à la complexité du phénomène dont il s'agit de rendre compte. En effet, la perspective narrative est conditionnée par les caractéristiques matérielles du support médiatique et elle se définit autant par l'orientation de l'information que par son ancrage ou son étendue, ces phénomènes prenant de surcroît un aspect très différent quand on les appréhende à une échelle locale ou globale. Raphaël Baroni propose dans le numéro de Fabula-LhT intitulé "Débattre d'une fiction " un essai de mise au point : "Perspective narrative, focalisation, point de vue. Pour une synthèse", que l'Atelier de théorie littéraire indexe de son côté aux entrées Point de vue et focalisation et Narratologie de son encyclopédie.
Croisements photolittéraires

Le quarante-deuxième numéro de la revue littéraire Archipel, publiée avec le soutien de l'Université de Lausanne, vient de paraître. Le cahier thématique de la publication se penche sur les croisements entre les arts a priori distincts que sont l'écriture littéraire et la photographie, réunis par le terme englobant de "photolittérature". Cette notion, qui avait notamment fait l'objet d'une exposition à la fondation Jan Michalski (Montricher) supervisée par Marta Caraion, Jean-Pierre Montier et Nathalie Granero, ainsi que d'une publication dont on peut lire un compte rendu sur Acta, est abordée dans ce numéro de la revue sous un prisme original : croiser des analyses critiques et des fictions littéraires pour éclairer de manière variée les points de contact multiples entre l'écrit et le photographique. Les lecteurs de Fabula peuvent aussi se reporter à l'entrée Photographie de notre Atelier de théorie littéraire.
Latour et la crise du présent

Auteur prolifique, à l’origine d’un des corpus précurseurs de la sociologie pragmatique, puis d’une nouvelle pensée politique de l’environnement, Bruno Latour signe un essai sur le confinement et ses « leçons à l’usage des terrestres » aux éditions La Découverte. La même maison fait paraitre simultanément un volume collectif autour de ses travaux, Le cri de Gaïa. Penser la Terre avec Bruno Latour qui revient sur Face à Gaïa, ouvrage dans lequel Bruno Latour discutait de l’hypothèse du même nom et entendait en inverser le sens politique : sommes-nous sur la Terre ou face à elle ? Un autre livre collectif paru il y a quelques mois, cette fois-ci anglophone et à l’initiative de Rita Felski, entendait faire le point plus largement sur les apports de la pensée latourienne aux sciences humaines. Ces temps d’isolation où les théâtres gardent portes-closes sont aussi l’occasion de découvrir les conférences performées du philosophe, certaines captations étant accessibles en intégralité sur son site.
Une littérature sauvage

Engagé dans une recherche au long cours sur les "littératures sauvages" qui s'écrivent hors des livres, Denis Saint-Amand donne à lire dans l'Atelier de théorie littéraire de Fabula une enquête sur les collages intrigants apparus sur les murs de Marseille, Lyon et Paris dans le contexte des débats français sur les violences faites aux femmes ; de composition sobre (une lettre noire par feuille A4 blanche), ils forment des messages percutants, qui, en leur confrontant la violence du quotidien, déplorent les prudences et détours retardant une définition juridique du féminicide et, plus largement, s'attaquent aux différentes manifestations de la domination masculine. Il montre que, si elles ne se pensent pas comme littéraires, ces pratiques expérimentant des formes pour prendre position, pour créer du commun, proposer de nouvelles manières d'appréhender le monde et la vie, et faire germer de nouveaux imaginaires : elles font "à peu près tout ce que nous attendons généralement des œuvres littéraires".
Une histoire d'émotions

S'inscrivant dans un champ de recherche relativement jeune posant des questions historiographiques inédites, la riche Histoire des émotions, chapeautée par Georges Vigarello, Alain Corbin et Jean-Jacques Courtine, est opportunément rééditée dans la collection "Points". Cette ambitieuse recherche collective décrit la construction historique des états d'âme humains, des larmes au rire en passant par la colère. Les trois volumes viennent couvrir trois périodes historiques : de l'Antiquité à la Renaissance, de la Renaissance à la fin du XIXe siècle, et de la fin du XIXe siècle à nos jours. Cette plongée dans les ressentis individuels et collectifs, qu'ils touchent au domaine de la guerre, de la famille, de l'art, de la politique ou de la religion révèle que l'histoire des sensibilités n'est pas linéaire: loin d'être universelles et intemporelles, les émotions se manifestent différemment selon les cultures et les époques.
[Illustration: James Stewart et Kim Novak dans Vertigo (Alfred Hitchcock, 1958), en couverture du tome 3]
Genette passe en Quatrième

L'Atelier de théorie littéraire de Fabula (re)donne à lire un entretien, retrouvé par le plus grand des hasards (Google), de Gérard Genette avec Daniel Bermond publié par L'Express en 2002, à l'occasion de la parution du cinquième tome de Figures et de la réédition de Seuils au format de poche. Le théoricien y faisait "le point" sur cet élément capital du dispositif péritextuel qu'est la "Quatrième de couverture", qu'il propose de regarder comme une manière de préface, ou mieux encore : un "avertissement sans frais".
Fabula compte jusqu'à 100 000

Après avoir fêté l'an dernier sa vingtième année d'existence, Fabula affiche en ce premier février 2021 sa 100 000e page d'actualité, qui vient heureusement saluer un nouvel essai que Judith Schlanger, au titre lui-même bienvenu : Une histoire de l'intense (Hermann). La philosophe y offre une relecture de Guerre et paix pour méditer sur les liens entre Histoire et violence — une Histoire pensée par Tolstoï comme la façon dont un désordre immaîtrisable vient remettre en question intentions, projets et initiatives humaines. Fabula vous invite à découvrir un extrait de l'ouvrage… Cette date dans l'histoire du site nous est encore une occasion de rappeler la belle méditation que Judith Schlanger nous avait offerte pour le numéro de Fabula-LhT intitulé "L'écrivain préféré" (mars 2008) sous le titre "La pauvreté enchantée", ainsi que les comptes rendus de ses précédents essais proposés par Acta fabula : Présence des œuvres perdues (2010), Le Neuf, le différent et le déjà-là (2014).
Les mauvaises fréquentations

Tout lecteur est quand il lit le propre lecteur de lui-même, écrivait (à peu près) Proust, qui a fait du baron de Charlus la figure même de ce mauvais lecteur qui n'accède à la vérité des œuvres — vers de Musset ou lettres de Mme de Sévigné — qu'en les dénaturant pour se les approprier pleinement. Après Pouvoirs de l'imposture et Qui a peur de l'imitation ?, Maxime Decout prononce un Éloge du mauvais lecteur, toujours dans la bien nommée collection "Paradoxe" des éditions de Minuit. Il y révèle ce qu'il faut d’art, d'adresse et de ruse pour pratiquer une mauvaise lecture véritablement inspirée, en achevant de faire la preuve que la mauvaise lecture est souvent une excellente manière de lire. Fabula vous invite à feuilleter un extrait de l'ouvrage... Au chapitre des lectures infidèles, l'Atelier de théorie littéraire affiche de son côté un essai de Marc Escola: "Peut-on trahir les livres que l'on a aimés ?".
(Illustr.: John Malkovich est le baron de Charlus dans Le Temps retrouvé par Raoul Ruiz, 1999)
Devenir immortel

Qui était Jean Parvulesco (1929-2010) ? De ce mystérieux écrivain d’origine roumaine, auteur de plus de cinquante livres, on ne sait presque rien. Mais son visage reste à jamais gravé dans la mémoire des cinéphiles sous les traits de Jean-Pierre Melville dans une unique scène d'À bout de souffle de Jean-Luc Godard. Chapeau, lunettes noires, il descend d’un avion; sur le tarmac, il est assailli par les journalistes. À la question de savoir quelle est sa plus grande ambition dans la vie, il répond : "Devenir immortel, et mourir." Christophe Bourseiller a bien connu Godard, pour lequel il a tourné plusieurs fois quand il était enfant. Des années plus tard, il a rencontré Parvulesco. L’énigme est restée entière. Il a relu son œuvre fantôme, mené l’enquête sur ce personnage de l’ombre qui fut tour à tour un passager clandestin de la Nouvelle Vague et l’ami intime d’Éric Rohmer (il apparaît dans trois de ses films : l'Amour l'après-midi, les Nuits de la pleine lune et l'Arbre, le maire et la médiathèque), un dandy fascisant et un poète ésotérique. L’inclassable Parvulesco est mort depuis dix ans. Son immortalité commencerait-elle maintenant, avec cette enquête intitulée En cherchant Parvulesco (La Table Ronde) ?
(Illustr.: J.-P. Melville dans le rôle de J. Parvulesco dans À bout de souffle de J.-M. Godard, 1959)
On n'a pas fini de rire

On ne le sait pas assez de ce côté-ci de l'Atlantique ou de la Manche, mais il existe une International Society for Humor Studies (ISHS), qui a constitué, en anglais, l’humour comme un champ de recherche, en fédérant les plus sérieuses disciplines, dont la psychologie, la linguistique, la sociologie et la communication. Le XXIXe congrès de l’ISHS, en 2017 à Montréal, a confirmé ces grandes tendances, mais il a aussi laissé s’exprimer une recherche francophone sur l’humour (française, québécoise, maghrébine notamment, mais non exclusivement), préoccupée par le spectacle vivant, par les traditions historiques et littéraires, et par les réflexions méthodologiques et disciplinaires : c’est de cette "humoristique" francophone que cherche à rendre compte le volume supervisé par Bernard Andrès et Yen-Maï Tran-Gervat sous le titre Études littéraires et Humour Studies. Vers une humoristique francophone (Presses de la Sorbonne nouvelle).
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Yannick Mouren n'a peut-être pas adhéré à l'ISHS, mais il nous invite à Prendre au sérieux la comédie (CNRS éd.), au moins au cinéma. Car la censure baisse souvent la garde devant la comédie, qui peut se permettre d’attaquer tabous et interdits beaucoup plus efficacement. Cela nécessite un fin dosage : être suffisamment choquant pour provoquer rire et réflexion critique, mais ne pas l’être trop, pour ne pas susciter rejet ou censure.
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Mais le rire n'est en rien une passion politique moderne : dans l’Athènes de l’époque classique, la parrhèsia était portée comme un étendard, et Platon ou Aristote ont pris comme on sait le rire au sérieux. Dans La Cité du rire. Politique et dérision dans l’Athènes classique (Les Belles Lettres), Jean-Noël Allard prend les philosophes antiques au (bon) mot, avec l'ambition de démêler les liens charnels qu’entretiennent dérision et politique dans la cité démocratique, et de faire dialoguer Aristophane et Bourdieu, Démosthène et Habermas, Xénophon et Durkheim. Fabula vous invite à feuilleter l'ouvrage…
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Parce qu'on n'a pas fini de rire, rappelons le récent essai de Mathieu Chauffray, Qu’est-ce que l’humour ? (Vrin), déjà salué par Fabula, qui fait de l'humour une vertu morale autant qu'intellectuelle, mais aussi l'entrée Humour de notre Atelier de théorie littéraire, dont les portes demeurent grandes ouvertes à de nouvelles contributions, et les actes du colloque de Lausanne sur Le rire : formes et fonctions du comique.
(Photo.: © Martin Parr)
Primitivismes

En même temps que le catalogue de l'exposition Ex Africa qui doit (devait?) se tenir au Musée du quai Branly à Paris, Philippe Dagen fait paraître le second volume de sa monumentale enquête sur les Primitivismes. Il y poursuit l’analyse des "manifestations artistiques qui s’arment du primitif contre la socieÌteÌ moderne, processus que l’histoire a pris l’habitude de nommer primitivisme", en reprenant l'enquête au deÌbut de la deÌcennie 1910, pour la pousser jusqu’aÌ l’immeÌdiat apreÌs-Seconde Guerre mondiale. La geÌographie est double : celle des mouvements artistiques et intellectuels, europeÌens principalement, d’une part ; celle, d’autre part, des cultures africaines, ameÌrindiennes, eurasia- tiques et oceÌaniennes, anciennes et contemporaines, qui sont les agents et les enjeux des primitivismes.
On peut lire sur Acta fabula un compte rendu par C. Le Quellec Cottier du premier volume, au sein d'un dossier consacré en novembre 2020 aux études africaines, ou se reporter, en amont, à l'article consacré par J. Denogent et N. Magnenat à l'essai de Ben Etherington, Literary Primitivism (Stanford University Press, 2018).
Recueils et anthologies à l’époque moderne

Au terme d'un travail collectif qui aura duré deux ans, le Groupe d’analyse de la dynamique des genres et des styles (GADGES, IHRIM-Lyon 3) fait paraître à l'initiative de M. Bombart, M. Cartron et M. Rosellini un riche sommaire sur la publication massive de recueils et d’anthologies en France à l’époque moderne. Si l’anthologie – qui est un cas particulier du recueil mais également un genre à part entière – a donné lieu à des études historiques et littéraires spécifiques, le recueil – sous sa forme éditoriale et plus encore sous sa forme bibliographique (le recueil factice) – restait un objet à construire, au croisement de plusieurs disciplines, principalement l’histoire de l’édition, l’histoire littéraire et l’histoire de la lecture. Cette 17e livraison de la revue Pratiques & formes littéraires 16-18 (Cahiers du GADGES), fait suite à un volume consacré au « recueil Barbin » (1692), et précède un sommaire à paraître sur les « recueils factices ». À terme, l'équipe aura proposé un triptyque pour mieux comprendre la place décisive de la forme recueil dans la formation du champ littéraire de la première modernité et, plus largement, dans la constitution et la transmission des savoirs de ce temps.
Rater encore. Rater mieux

Parmi les amitiés littéraires d’Alberto Giacometti, celle qui le lie à Samuel Beckett n’est pas la plus connue, mais c’est l’une des plus durables. Elle remonte à 1937 et se développe dans l’après-guerre. Les deux artistes aiment se retrouver dans les soirées sans fin des cafés de Montparnasse, puis arpenter Paris la nuit. De profondes parentés rapprochent leurs œuvres, qui s’expriment dans une collaboration exceptionnelle : la réalisation par Giacometti d’un décor pour une mise en scène d’En attendant Godot en 1961. Pour la première fois, l’Institut Giacometti présente les liens qui ont rapproché l’artiste et l’écrivain. Le rapprochement opéré entre les sculptures et dessins de Giacometti et les textes et pièces sonores et filmiques de Beckett vient révéler l’importance du processus créatif vécu entre répétition et déception (le fameux « rater mieux » de Cap au pire), leur intérêt pour un corps à la fois médium et contrainte, l’importance de la scénographie, la dislocation du corps et de la parole, la solitude, et un sens de l’absurde.
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La collection "Le savoir suisse" (Lausanne, EPFL Press) accueille un portrait du sculpteur signé par un écrivain : Alberto Giacometti. La vie dans le regard, par Étienne Barilier. Thomas Franck met pour sa part en miroir le plasticien et un philosophe dans Le philosophe dans l'atelier. Sartre et Giacometti en miroir (P.U. Liège).
Dans l'Atelier

L'Atelier de théorie littéraire ouvre avec la nouvelle année de nouveaux chantiers : après s'être interrogé sur nos mémoires de lecteurs et les paradoxes de la relecture ("Peut-on trahir les livres que l'on a aimés ?"), Marc Escola s'arrête sur "L'heure luxueuse du loisir romanesque" en réunissant une anthologie de textes méditant la phrase attribuée par Breton à Valéry pour dénoncer l'arbitraire du romancier : "La marquise sortit à cinq heures". Dans un essai inédit en français, Alexandre Gefen revient sur 'Le tournant empiriques des études littéraires", et Alain Trouvé dialogue avec les thèses de François Rastier sur le témoignage : "Du témoignage littéraire au roman historique: régimes de fiction et relation littéraire". L'Atelier redonne à lire encore la préface elle-même historique donnée par René Démoris pour l'édition des Mémoires de Casanova dans la collection GF-Flammarion en 1977 : "L'invention de Casanova".
Michel Leiris triple la mise

Son nom figure brille au fronton de la littérature à la première personne, et sur les étagères de nos bibliothèques, mais le lit-on encore et le fait-on toujours lire ? Trente ans après sa disparition, les éditions Gallimard remettent Michel Leiris triplement à l'honneur en publiant dans "Les Cahiers de la NRF" sa Correspondance (1923-1977) avec Marcel Jouhandeau, établie par D. Hollier et L. Yvert, mais aussi, dans la collection "Quarto", une nouvelle édition revue et augmentée de son immense Journal (1922-1989) par J. Jamin, et en réunissant sous coffret les quatre indispensables volumes de La Règle du jeu parus dans la collection "L'Imaginaire", où se cherche et se définit un art poétique et un code de savoir-vivre "fondus en un unique système" au sein duquel "l'usage littéraire de la parole n'est qu'un moyen d'affûter la conscience pour être plus — et mieux — vivant."
Irréductible Baudelaire

La collection GF-Flammarion offre une nouvelle édition des Paradis artificiels de Baudelaire, procurée par Aurélia Cervoni et Andrea Schellino. Objet hybride, cette petite philosophie des effets du haschich tient à la fois de la traduction, de l’essai, du conte et du poème, puisqu'elle traduit, en les éclairant d’une lueur tragique, les Confessions d’un mangeur d’opium anglais de Thomas De Quincey, publiées quarante ans plus tôt (1820), en offrant une méditation sur la volonté et l’imagination, et la puissance rédemptrice de l’art. La GF réimprime dans le même temps les essais esthétiques de Baudelaire: L'art romantique. Littérature et musique (éd. L.J. Austin) et Au-delà du romantisme. Écrits sur l’art (éd. C. Schopp). La collection "Champs" réédite pour sa part l'essai d'Antoine Compagnon, Irréductible Baudelaire, portrait d'un poète à la fois moderne et antimoderne.
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La livraison de janvier d'Acta fabula rend compte de son côté de plusieurs essais récents consacrés à Baudelaire : Baudelaire et la sacralité de la poésie de John E. Jackson (par D. Galand), et Baudelaire et la vérité poétique de Régine Foloppe (par E. Merlevede).
La visite au musée

Salle d’archéologie égyptienne transformée en scène de crime, épisodes romanesques dans un centre d’art contemporain, fantasmes de nuit passée au milieu de tableaux célèbres… nombre d'écrivains situent leurs intrigues au musée. Mais que nous en disent-ils vraiment ? Musée mausolée, élitiste, fruit de la colonisation, collections fétichisées ou expositions à la solde du marché de l’art ? Réunie par Serge Chaumier et Isabelle Roussel-Gillet sous le titre Le Goût du musée (Mercure de France), une anthologie nous introduit dans un musée des musées littéraires, sur les pas de Proust, Toussaint, Forest, Perec, Sarraute, et bien d'autres…
L'Atelier de théorie littéraire accueille un essai inédit d'Isabelle Roussel-Gillet qui vient donner une manière de postface à cette anthologie : "Le (dé)goût du musée ? Un florilège littéraire", par Isabelle Roussel-Gillet.
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Sous le titre "Muséographies. Le goût muséal des écrivains. Entretien avec Isabelle Roussel-Gillet", on pourra lire encore l'entretien accordé par la même auteure à David Martens sur le site litteraturesmodedemploi.org, qui offre aussi une série d'enquêtes sur l'expographie de la littérature, un espace studio, avec des captations de rencontres, où figurent notamment les vidéos d'une journée d'études tenue à Arras en octobre 2020 sur les "Lieux et hors-lieux du littéraire".
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Rappelons encore la récente parution du volume Délivrer le temps. Écrire le musée (XIXe-XXIe siècles), par les soins de Martine Créac'h, Juan Manuel Ibeas-Altamira et Lydia Vasquez, dont Fabula donnait à lire il y a peu l'introduction d'ensemble…. Et plus haut dans le temps (2015), la livraison d'Interférences littéraires/Literaire interferenties intitulée "Ce que le musée fait à la littérature. Muséalisation et exposition du littéraire", sous la direction de Marie-Clémence Régnier.
Les bibliothèques invisibles

Une page se tourne. Une semaine après la leçon de clôture qu'Antoine Compagnon a donnée au Collège de France, William Marx commence son deuxième cours le mardi 19 janvier sur ces bibliothèques invisibles qui hantent tout lecteur, ces livres perdus ou oubliés, ces œuvres fantasmées, ces mondes parallèles qui approfondissent et donnent tout leur relief aux bibliothèques bien visibles qui nous entourent. Le cours et le séminaire qui l'accompagnera chaque semaine jusqu'au mois d'avril 2021 seront ainsi l'occasion de s'intéresser à des littératures autres, à des livres qui se trouveraient dans d'autres bibliothèques, d'autres étagères et selon d'autres canons. Autant de possibles et de questions qui prolongeront le cours sur la bibliothèque des étoiles nouvelles, donné l'an dernier.
(Illustration ©Jean-François Rauzier)
La Grèce hors d'elle-même

Nicole Loraux n’a pas cessé de "trouver dans la Grèce (et en abondance) de quoi la faire sortir d’elle-même", en multipliant les pôles de comparaisons, tout comme les va-et-vient entre les champs disciplinaires les plus divers (philosophie, psychanalyse, ethnologie, philologie). Sous le titre de l'un de ses articles, La Grèce hors d'elle et autres textes, un recueil établi par M. Cohen-Halimi et préfacé par J.-M. Rey recueille cinquante-six articles écrits par Nicole Loraux entre 1973 et 2003, en donnant à méditer un parcours intellectuel, de l’analyse obstinée du discours que la cité athénienne a construit à son propre sujet, à l’éclairage du conflit (stasis) constitutif de la démocratie. Fabula vous invite à découvrir un extrait de l'ouvrage…
Le théâtre de science-fiction

Le théâtre a donné à la science-fiction quelques-unes de ses œuvres les plus célèbres, à l’instar de R.U.R. de Karel Äapek, qui offrirait la première occurrence du terme "robot". Il est toutefois rare qu’on fasse une place au théâtre dans les études science-fictionnelles, tout comme il est rare, du côté des études théâtrales, qu’on fasse une place à la science-fiction. Cette incuriosité réciproque est l'effet de présupposés anciens. Le prochain sommaire de la revue Res Futuræ à paraître en 2021 se propose de mettre en perspective ces présupposés, pour nouer le dialogue entre cet "art du présent" que serait le théâtre et une science-fiction qui n’est pas simplement un "genre du futur". Des journées d'étude préparatoires à cette livraison se tiennent en ligne à l'initiative du Centre d'études théâtrales de l'Université de Lausanne.
« Quindecim annos, grande mortalis aevi spatium »

Après quinze années passées au Collège de France à la chaire de "Littérature française moderne et contemporaine : histoire, critique et théorie", Antoine Compagnon a donné sa leçon de clôture mardi 12 janvier à 17h45, sous un intitulé emprunté à Tacite: "Quindecim annos, grande mortalis aevi spatium" — c'est un long intervalle que quinze ans dans la vie d'un mortel. Cette conférence, prononcée à huis clos mais diffusée en direct, reste accessible sur le site Internet du Collège de France. Les liens entre Fabula et Antoine Compagnon sont forts, anciens et nombreux ; il a su accompagner le développement du site à des moments importants. Nous lui en sommes reconnaissants. Lui qui prétendait "jouer la littérature à la hausse" dans sa leçon inaugurale, "La littérature pour quoi faire ?", n'a cessé de la servir. Et le fera encore.
Le visage de l'Amérique

Anthony Mangeon fait paraître un portrait de Martin Luther King (Cerf, 2020) qui s'éloigne des hagiographies habituelles. S’appuyant sur de nombreux textes encore inédits en France, il retrace l’itinéraire intellectuel, spirituel et politique du pasteur noir américain — un parcours où l’étudiant plagiaire cède la place à un orateur et un stratège politique hors pair ; où le mari infidèle s’efface derrière l’infatigable militant ; où l’interlocuteur privilégié des puissants dialogue passionnément avec les plus humbles et les plus démunis. Un portrait contrasté, "pour découvrir le vrai visage de Martin Luther King Jr., et peut-être le vrai visage de l’Amérique". C. Le Quellec Cottier en propose un compte rendu dans la livraison de janvier de notre revue des parutions Acta fabula : "Questionner un destin et son au-delà".
(Illustr.: Martin Luther King dans la marche de Selma, © Bruce Davidson/Magnum Photos).
Le Parfum des îles Borromées

Élaboré au sein de l'Université de Lausanne par R. Mahrer et J. Zufferey, le site Variance – destiné à l’édition, à la comparaison et au commentaire des œuvres éditées en plusieurs versions – accueille un nouveau titre dans son catalogue : Le Parfum des îles Borromées de René Boylesve, publié dans ses cinq versions par Élodie Dufour. L'examen de "génétique post-éditoriale" vient révéler comment, sous l’impulsion du critique Louis Ganderax notamment, Boylesve a réécrit le texte imprimé durant dix longues années, au terme desquelles le roman, réduit de moitié, abandonne le style « fin-de-siècle » pour adopter une tenue toute classique.
Nathalie reste à l'école

Nathalie Quintane est-elle jamais sortie de l'école ? Il lui fallait faire les comptes : ""34 ans… non… si je compte la fac, 5 ans de plus… et le secondaire, 7 ans… et l’école, 5 ans… et la maternelle : + 2… 53 ans que, élève, étudiante, enseignante, je suis dans l’Éducation nationale. De la disparition de l’estrade à l’arrivée du numérique, des concours aux cantines, des mutations insidieuses aux réformes à marche forcée, ce livre tente une traversée de l’institution — sans se retenir d’en rire, et en tâchant de ne pas trop en pleurer." Fabula vous invite à découvrir un extrait de Un hamster à l'école… (La Fabrique éd.), mais aussi à rester dans la classe de Nathalie pour décaper avec elle trois auteurs canoniques, Ultra-Proust. Une lecture de Proust, Baudelaire et Nerval (La Fabrique, 2018).
Littérature et caricature

Depuis une vingtaine d’années, les relations entre la littérature et les « imageries » du XIXe siècle, pour reprendre le terme de Philippe Hamon, ont été beaucoup étudiées. En choisissant comme objet les relations entre littérature et caricature, la journée d'études tenue à la Maison de la Recherche de Sorbonne Université en février 2020 se proposait d’étudier plus particulièrement la manière dont l’image caricaturale, avec la puissance de vérité et d’expressivité que lui reconnaissent les écrivains du XIXe siècle dès son apparition dans la presse, constitue pour la littérature un nouveau modèle de représentation du monde, à imiter ou à dépasser. Les Colloques en ligne de Fabula accueillent aujourd'hui les actes de cette journée, réunis par Amélie de Chaisemartin et Ségolène Le Men.
Des essais en archipel

Après le collectif Faire littérature. Usages et pratiques du littéraire (XIXe-XXIe siècles), dont on peut lire l'introduction dans l'Atelier de théorie littéraire et un compte rendu dans Acta fabula, la collection Archipel Essais éditée par l'Université de Lausanne fait paraître deux nouveaux titres : À chœur perdu. Les traces du chœur antique dans la tragédie française du XVIIe siècle de Josefa Terribilini, qui se propose de mettre au jour, à partir des récritures d’Antigone et d’Iphigénie par Jean de Rotrou et par Jean Racine, les traces du chœur antique dans la tragédie française du XVIIe siècle. Et Cohabiter la fiction. Lecture ordinaire, univers de croyances et interprétation des mondes littéraires d'Aurélien Maignant, qui montre qu'aucun discours porté sur une fiction ne peut s’empêcher de proposer une version alternative du monde raconté, version à laquelle il fait semblant de croire, en se situant discursivement dans une position comparable à celle des personnages — en cohabitant donc la fiction. L'Atelier de théorie littéraire accueille un extrait de chacun des ouvrages : "Le chœur est mort, vive le personnage" et "Lectures ordinaires et naïvetés savantes". Fabula vous invite aussi à découvrir les postfaces des deux volumes : "La tragédie désaccordée", par Lise Michel, et "Vivre au milieu des livres", par Marc Escola.
L'âge critique

Il y a eu la Nouvelle Vague. Mais avant elle, il y avait eu le tsunami critique qui l’annonçait et sur lequel elle a surfé. Rohmer, Rivette, Truffaut ont manié le stylo avant la caméra. Avec verve, vigueur et ce qu’on pourrait appeler une rigueur capricante, ils ont excellé dans les exercices d’admiration, comme dans l’art d’administrer des corrections rarement fraternelles. Escarmouches, coups d’éclat : l’assaut est mené tambour battant contre le cinéma de papa ; et c’est dans cette brèche que, devenus cinéastes, ils s’engouffreront. Il fallait être trois pour évoquer les trois mousquetaires de la nouvelle vague : à l'initiative de M. Cerisuelo, A. de Baecque et D. Zabunyan, la nouvelle livraison de la revue Critique nous redonne à lire les écrits de Rohmer, Rivette et Truffaut, sous le beau titre de L'âge critique.
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Sous le titre Autour de Critique 1946-1962, S. Patron fait paraître de son côté les actes de la première session du colloque "La revue Critique : passions, passages" qui s’est tenu au Centre culturel international de Cerisy-la-Salle et à l’IMEC du 14 au 21 juin 2019. Il concerne la première époque de Critique, revue générale des publications françaises et étrangères, fondée en 1946 par Georges Bataille.
Traduire / Celan

Que nous vivions aujourd’hui à l’âge de la traduction veut dire ceci : la traduction n'est pas la petite sœur de l’écriture, elle en est la jumelle, son miroir, peut-être même quelque chose comme son creusement. Le comprendre, c’est comprendre autrement la littérature, le poème et leurs enjeux théoriques, politiques et éthiques. C’est toute la force du récent livre de Tiphaine Samoyault (Traduction et violence, Seuil, 2020) de nous inviter à prendre la mesure de ce changement de paradigme. La récente livraison que la revue Po&sie consacre à la traduction, à l'initiative de M. Deguy, C. Mouchard et M. Rueff, et qui s'ouvre par un entretien avec T. Samoyault, mêle la théorie et la pratique au fil de trois sections : des textes théoriques qui comprennent des passages à la pratique, des traductions ou des retraductions accompagnées de notules théoriques, des traductions ou des retraductions sans commentaire. Qu’un numéro consacré à la traduction s’achève sur un hommage à Paul Celan ne tient pas aux seules circonstances (mort il y a cinquante ans, Celan aurait eu 100 ans en 2020) : Celan n’est pas un poète qui traduit, c’est un poète-traducteur.
La couleur des choses

Les couleurs existent-elles dans les choses ou n’ont-elles de réalité que dans notre regard ? Sont-elles matière ou idée ? Entretiennent-elles les unes avec les autres des rapports nécessaires ou sont-elles seulement connues de manière empirique ? Y a-t-il une logique de notre monde chromatique ? Dans De la couleur (Folio essais), Claude Romano retraverse certaines étapes décisives de la réflexion sur ces problèmes (de Descartes à Newton, de Goethe à Wittgenstein, de Schopenhauer à Merleau-Ponty), pour développer une conception réaliste qui replace le phénomène de la couleur dans le monde de la vie et le conçoit comme mettant en jeu notre rapport à l’être en totalité : perceptif, émotionnel et esthétique. Fabula vous invite à feuilleter l'ouvrage…
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En septembre dernier, le philosophe avait fait paraître un essai, déjà salué par Fabula : La Liberté intérieure. Une esquisse (Hermann), où il défendait une conception originale de l’autonomie, en étayant son propos par l’analyse d’un exemple littéraire, la décision finale de la Princesse de Clèves. On peut lire sur Fabula l'introduction de l'ouvrage, qui faisait suite à un précédent livre consacré à l'idée de "l'existence en vérité", à partir d'une réflexion sur ce moment de l'Odyssée où le plus ancien poème de la culture occidentale, met en scène la métamorphose qui change Ulysse en lui-même sous les yeux dessillés de ceux qui échouaient jusque-là à le reconnaître : Être soi-même. Une autre histoire de la philosophie (Folio essais). En amont encore, Claude Romano nous invitait à repenser à nouveaux frais la méthode phénoménologique en la mettant en dialogue avec d’autres courants de la philosophie contemporaine, et notamment la philosophie analytique, dans un livre plus technique : Les repères éblouissants. Renouveler la phénoménologie (PUF).
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Et si une œuvre philosophique majeure s'édifiait ainsi sous nos yeux ? C'est la question que posait l'une des dernières livraisons de la revue Critique, sous le titre "Claude Romano. Un phénoménologue au cœur du réel".
Les recettes du succès

Rien n’est plus mystérieux et objet de plus de convoitise qu’un best-seller. Certains livres sont conçus en fonction de recettes menant automatiquement au succès. D’autres, issus du même moule, passent complètement inaperçus – tandis que certains ouvrages réputés difficiles reçoivent parfois un accueil enthousiaste du public. Quel point commun peut-on trouver entre le Capital et Harry Potter, Le Petit Prince et Belle du Seigneur ? Existe-t-il un secret, une technique, permettant de transformer n’importe quel manuscrit en n° 1 des ventes ? Quelle part revient à l’auteur dans cette réussite ? à l’éditeur ? aux lecteurs ? Finalement, depuis le XIXe siècle, que nous disent les best-sellers ? Dans Best-sellers. L'industrie du succès (Armand Colin), O. Bessard-Banquy, S. Ducas et A. Gefen ont réuni une pléiade de spécialistes de la littérature et des métiers du livre pour se pencher sur ces livres exceptionnels, souvent traités avec mépris. Fabula donne à lire le texte de présentation du volume…
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Acta fabula propose par ailleurs le compte rendu par C. Cosker du récent livre de J. Meizoz, Faire l’auteur en régime néo-libéral. Rudiments de marketing littéraire (Slatkine): "Quand le nom d’auteur se fait marque", pendant que la revue COnTEXTES s'attache aux "Logiques de la commande (XXe-XXIe siècles)".
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Mais il y a eu des best-sellers en amont du XIXe. s.: "Les recettes du succès : stérétypes compositionnels et littérarité au XVIIe siècle" sont au centre d'une prochaine journée d'études, le 15 janvier prochain (Rouen en ligne).
Le XVIe siècle du XIXe (et celui du XVIIIe)

Et s'il avait fallu inventer le XVIe siècle ? La Renaissance a eu besoin de renaître, et ce sont sans doute les écrivains, artistes et historiens du XIXe siècle qui l'ont façonnée. Dans Le XIXe siècle, lecteur du XVIe siècle (Classiques Garnier), les spécialistes réunis par Jean-Charles Monferran et Hélène Védrine documentent cette relecture esthétique et politique du XVIe siècle. Fabula donne à lire l'introduction de l'ouvrage…
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Mais qu'en fut-il un peu avant ? Quel était donc le XVIe siècle de Montesquieu, Rousseau ou Diderot ? M. Méricam-Bourdet, C. Volpilhac-Auger font paraître de leur côté La Fabrique du XVIe siècle au temps des Lumières (Classiques Garnier encore), dont Laurent Angard propose un compte rendu dans la livraison de janvier d'Acta fabula.
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Sur le site de l’IReMus (Institut de recherche en Musicologie), on peut aussi lire le XVIe avec les oreilles du XIXe, en écoutant "Les premières romances françaises du XIXe siècle sur des poèmes du XVIe siècle".
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(Illustr.: Albert Robida, illustration pour Le Tiers Livre de Rabelais (1859), où Panurge, arborant les bésicles qui témoignent de son désir de savoir comme de son inquiétude, se voit transformé en un gentleman fin-de-siècle).
21 penseurs pour 2021

L'équipe de Philosophie magazine a sélectionné dans la presse internationales ce qui lui est apparu comme les meilleurs essais de l'année : sous le titre 21 penseurs pour 2021, on lira des leçons sur le coronavirus avec Hartmut Rosa et Peter Singer, aux mouvements antiracistes et contre les violences policières avec Eva Illouz et Nadia Yala Kisukidi, en passant Harry Potter et la "cancel culture". Ce best of des idées 2020 donne la voix aux grands penseurs comme Pankaj Mishra, Martha Nussbaum et Michael Walzer, mais aussi aux jeunes générations comme Paul Sebillotte ou Helen Lewis et à des intellectuels du monde entier comme Judith Butler, Jared Diamond et Amartya Sen…
Une page blanche pour 2021

L'équipe Fabula vous invite à glisser une page blanche entre les deux rouleaux, et à faire la preuve tout au long de l'année 2021 que le Corona n'a jamais empêché personne d'écrire.
(Illustr.: machine à écrire portable Corona, ca. 1921, Musée des arts et métiers, Paris)