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Transculturalité, transdisciplinarité et francophonie mondiale

Transculturalité, transdisciplinarité et francophonie mondiale

Publié le par Marc Escola (Source : Samira Belyazid)

Transculturalité, transdisciplinarité et francophonie mondiale

Co-directeurs : Samira Belyazid et Justin-Cédric Maalouf

Dans le contexte d’une mondialisation galopante où à la fois les frontières et les distances semblent abolies et la communication entre les peuples plus fluide, et où on assiste, néanmoins, à la construction de murs, au repli sur soi et à la montée de la xénophobie et de l’exclusion, le rôle des universités comme institutions inclusives « ouvertes sur l’univers et le bien être des humains » devient fondamental.  Dans ce sens, le Congrès mondial sur la francophonie : expérience sino-canadienne en enseignement et en recherche à l’horizon de 2030 a permis de créer un espace d’échanges riches entre des chercheur(e)s d’origines géographiques, culturelles, linguistiques et ethniques diverses. Il a été également l’occasion d’un dialogue fructueux entre les disciplines. Partir de la transculturalité et de la transdisciplinarité dans l’espace francophone, considéré comme un espace pluriel du « vivre - ensemble », de l’inclusion, de la décolonisation, de la désethnicisation et de la déracialisation, semble un passage obligé pour un projet d’ouvrage collectif. Ledit ouvrage a pour objectif de poursuivre le dialogue et les échanges amorcés durant le congrès d’octobre 2022 afin de favoriser les collaborations entre les chercheur.e.s, au-delà des frontières géographiques, ethniques, identitaires et disciplinaires. 

Notons que les événements récents au Canada et ailleurs dans le monde ont montré que les milieux francophones n’ont pas été épargnés par les actes racistes et la discrimination systémique anti - Autochtones, anti - Noirs, anti - Musulmans, anti - Asiatiques et anti -Juifs. Par ailleurs, la crise sanitaire liée à la pandémie du Covid-19 est une occasion de réfléchir sur sa gestion et son impact dans différents domaines, comme l’enseignement du ou en français, la recherche et la création, toujours en lien avec la diversité et l’inclusion. La crise climatique qui touche de plein fouet la planète et qui est à l’origine des catastrophes naturelles, des déplacements des populations, de l’émigration intensive et des pertes humaines, et finalement les guerres incessantes, en Afrique, au Proche Orient et depuis peu, en Europe ainsi que les violences et les violations des droits de l’Homme sont autant de facteurs qui impactent le « vivre-ensemble » et par ricochet, l’éducation, la recherche scientifique et la création dans le monde francophone et francophile.

Dans cet ouvrage, nous proposons d’ouvrir le dialogue sur le concept de transculturalité (Ortiz : 1940) à partir d’une perspective transdisciplinaire. Dans transculturalité et transdisciplinarité, le préfixe trans- nous permet un mouvement vers l’avant : traverser les frontières, les espaces, aller au-delà des limites, dans un objectif de changement, de transformation pour un monde meilleur.  En Amérique du Nord, des mouvements comme Idle No More et Black Lives Matter ont obligé les institutions éducatives, les organismes publiques et privés à amorcer des processus de décolonisation des savoirs et des pratiques et d’autochtonisation : « considérer les valeurs et les réalités culturelles et historiques des Autochtones » (Projet de loi no32, Québec, 2023) pour rendre justice aux minorités opprimées et discriminées. D’autres mouvements ailleurs dans le monde comme Los Indiñados ou « les Indignés » en Espagne, Al Hirak en Algérie, Le Printemps arabe en Tunisie, Égypte, les manifestations contre la présence française dans plusieurs pays d’Afrique sub-saharienne et les mouvements écologistes nationaux et internationaux se sont inscrits dans l’histoire de l’humanité comme des vagues de fond qui ont suscité 1. la réflexion sur des concepts comme la démocratie, l’équité, la justice, la solidarité et d’autres valeurs éthiques, 2. la remise en question des savoirs hégémoniques produits en Occident, des paradigmes établis par un mode de pensée eurocentrique et une idéologie néolibérale, 3. la marche en avant et le refus du statu quo malgré une « mondialisation de l’indifférence » comme l’a désignée le Pape François 1er[1]

Depuis plusieurs décennies, les analyses postcoloniales n’ont cessé de remettre en question les rapports de force politiques et culturels qui sont au cœur des projets de l’impérialisme économique et culturel. Dans la même veine, Edward Saïd (1979) a très tôt déconstruit les discours de l’Occident sur l’Orient en avançant que « l’Orient a presque été une invention de l’Europe ».  (Bridet, Garnier, 2014) Saïd définit donc l’Orientalisme comme un discours auquel il oppose un contre-discours qui prend ses distances par rapport à une vision occidentalocentrée de l’histoire (Bancel, Pascal, 2017).

Mahdi Elmandjra (1996), un futurologue marocain, souligne l’importance de la diversité culturelle et son nécessaire respect comme préalable au dialogue inter-culturel. Il rejette la globalisation qui selon lui va à l’encontre de la diversité et du pluralisme au profit de l’hégémonisme économique et culturel occidental et particulièrement états-unien. Il insiste pour dire que la globalisation menace le dialogue équitable entre les peuples et les cultures.

De son côté, l’anthropologue colombien Arturo Escobar (2018) milite dans une perspective décoloniale et inclusive. Il propose de remettre en cause le récit autoréférentiel de la modernité et de rompre avec l’universalisme occidental au profit d’une pensée « pluriverselle », celle-ci même qui guide sa position épistémologique et ses études de terrain. Dans le même esprit de décoloniser la pensée, la pédagogie, les sciences humaines, les sciences sociales, la création et la littérature, des chercheurs ont proposé une relecture des grands récits, de l’histoire, à titre d’exemple, le découpage chronologique dicté par  l’eurocentrisme: « précolonial », « colonial », « postcolonial » : une « périodisation rudimentaire qui traîne dans les esprits, très peu afrocentrée » (Coquery-Vidrovitch, 2004). Ils ont souligné l’importance renouvelée de la réappropriation d’une continuité historique rompue par l’accident colonial, le moyen de lier un savoir fragmenté par le regard extérieur (Coulibaly,  1997).

Il s’avère de plus en plus nécessaire d’interroger la terminologie, les discours, les récits,  la rhétorique et de débusquer les implicites, les stéréotypes, les biais inconscients et surtout « l’ombre de la colonisation » (Sinclaire, 2023) qui continue à hanter les imaginaires et à s’incruster dans la pédagogie, l’éducation, la recherche scientifique et la création des nations dites « décolonisées » ou en voie de décolonisation.

Les universités nord-américaines et ailleurs n’ont pas eu de choix que d’élaborer et d’encourager des programmes comme « La Théorie postcoloniale », « La Raciolinguistique », « La Théorie critique de la race », « Les Études ethniques », « Les Études autochtones », « Les Études afro-américaines », etc. Ces programmes interdisciplinaires d’enseignement, de recherche scientifique et de création, pris en charge et développés par des Autochtones, des chercheurs de descendance africaine et ceux issus des groupes minorés qui s’inscrivent dans le même courant intellectuel progressiste, jettent un regard nouveau sur les expériences des groupes ayant subi une oppression systémique, une marginalisation, une discrimination, une persécution et/ou un génocide en tenant compte de la diversité de leurs perspectives, de leurs expériences et de leurs visions du monde.

Si la transculturalité renvoie au métissage, à l’hybridité et à des identités plurielles dans les espaces francophone et francophile caractérisés par la diversité culturelle, ethnique et linguistique, comment la multitude des appartenances, les diversités et les singularités à la fois locales et globales (Braidotti : 2006) se manifestent-elles à travers la création, l’éducation et la recherche scientifique? Dans quelle mesure la transculturalité définie comme « le phénomène du passage d’une culture à l’autre […] la passerelle esthétique et culturelle qui facilite la communication d’une culture à l’autre » (Bouraoui : 2005) associée à la transdisciplinarité permet-elle de répondre dans le respect de l’éthique à des questions liées aux enjeux et aux défis éducatifs, identitaires, sociaux, culturels, politiques, juridiques, idéologiques et sanitaires, dans les espaces francophone et francophile ? Cette approche ne peut que s’avérer fructueuse sachant que plus de 80% des Francophones vivent à l’extérieur de la France en 2023 et cette proportion devrait s’accentuer dans les prochaines décennies. 

Par ailleurs, il semble nécessaire de questionner, à la lumière de la transculturalité, la cohabitation dans le même espace linguistique entre les anciennes colonies et les puissances coloniales de jadis, moteurs d’une modernité fondée sur la globalisation, l’individualisation et les nouvelles technologies et qui continuent à avoir pignon sur rue dans la culture, l’éducation, la recherche scientifique et la création dans les nations dites « décolonisées » dans une ère « postcoloniale ». Comment « assimiler sans être assimilé » et « accéder à la modernité sans piétiner notre authenticité. » ? comme le préconisait Léopold Sédar Senghor.

Dans le cas où, comme le préconisent certains chercheurs (Campesino, 2008; Grosu, 2012), les rapports de « dominant » à « dominé » persistent qu’il s’agisse de multiculturalité, d’interculturalité ou de transculturalité, quel choix conceptuel et méthodologique doit-on privilégier?

Pour aller plus loin dans la réflexion et de manière pragmatique, comment la recherche scientifique, la création et l’éducation dans les espaces francophone et francophile prennent-elles en charge la proposition suivante « penser globalement mais agir localement » : « think global, act local » [2] ?

Comment trouver des « territoires relationnels » comme les désignent Léonora Miano (2023) dans des espaces francophone et francophile multi-ethniques, multi-religieux, multi-lingues et multi-culturels, où l’inter-action est inévitable et peut engendrer des conflits et des heurts? Comment s’articulent les rapports sociaux dans ces espaces relationnels? Sont-ils des espaces de juxtaposition entre majorités/minorités ou des espaces inclusifs de la diversité ethnoraciale? Quels sont les biens communs pouvant servir de catalyseur de cohésion sociale dans les espaces francophone et francophile?

Parallèlement, quelle est la place de la transdisciplinarité considérée comme « une nécessité en recherche contemporaine » et définie comme « ce qui est à la fois entre les disciplines, à travers les différentes disciplines et au-delà de toute discipline » (Nicolescu, 1996), à une époque où les enjeux sont transnationaux pour ne pas dire planétaires, transversaux et multidimensionnels (Edgar Morin : 1982, 1990)?

Nous invitons les participants qui le souhaitent à tenir compte dans leur réflexion des questions posées ci-dessus et des défis que rencontrent les membres issus des minorités ethniques, religieuses, culturelles dans les espaces francophone et francophile et plus largement dans ceux réputés multiculturels ou interculturels, ainsi que les membres des nations dites « anciennes colonies » dans la création, l’éducation et la recherche scientifique.

Références bibliographiques

Bancel, N., Blanchard, P. (2017). « Un postcolonialisme à la française ? », Cités, vol. 72, n° 4

Bouraoui, H. (2005). Transpoétique. Éloge du nomadisme. Édition Mémoire d’encrier

Braidotti, R.  (2006). Transpositions: On Nomadic Ethics. Éditeur Polity

Saïd, E. (1979). Orientalism, Vintage Books, New York

Bridet, G., Garnier, X. (2014). « Edward W. Said au-delà des études postcoloniales », S. et R., n° 37

Campesino, M. (2008). « Beyond transculturalism: critiques of cultural education in nursing », The Journal of nursing education, vol. 47, n° 7

Chrétien, (2005). « L’Afrique face aux défis du monde », in : « Vues d’Afrique », Esprit

Coulibaly, E. (1997). « L’archéologie, science oubliée des études africanistes françaises », in : Piriou, A. et Sibeud, E. (dir.), L’Africanisme en question. Paris, Centre d’études africaines/École des hautes études en sciences sociales (Dossiers africains) 

Coquery-Vidrovitch, C. (2004). « De la périodisation en histoire africaine. Peut-on l’envisager ? À quoi sert-elle ? », Afrique & Histoire

Elmandjra, M. (1996). La Décolonisation culturelle. Éditions Walili

Escobar, A. (2018). Sentir-penser avec la terre. Éditions du Seuil

Galitzine-Loumpet, A. (2011). « Le passé indéfini : du « précolonial » en Afrique subsaharienne », Les nouvelles de l'archéologie, n°126 

Grosu, L. (2012). « Multiculturalism or transculturalism? Views on cultural diversity », Synergy, vol. 2

Miano, L. (2023). L’opposé de la blancheur. Édition Seuil

Morin, E. (1990). Introduction à la pensée complexe. Paris : Edition du Seuil.

Piquemal, N., Labrèche, Y. (2018). Transculturalité et enjeux éthiques liés à la diversité culturelle en contexte canadien. Cahiers franco-canadiens de l'Ouest

Sinclaire, N. (2023). Réparer les effets de la colonisation. Édition La liberté.

Nous vous proposons les axes suivants sans s’y limiter 

Axes 1 Sciences du langage

·                    Bilinguisme et contact des langues / cultures

·                    Linguistique contrastive 

·                    Raciolinguistique

·                    Analyse du discours (médiatique, politique, réseaux sociaux)

·                    Sociolinguistique

Axe 2 Littérature 

·                    Littérature comparée    

·                    Littérature engagée

·                    Théorie de la littérature

Axe 3 Sciences humaines et sciences sociales

·                    Sociologie, valeurs, cultures et idéologies

·                    Anthropologie sociale et culturelle

·                    Philosophie, éthique, équité et diversité culturelle et ethnique

·                    Environnement et écologie

·                    Précolonialisme / Néocolonialisme / Post-colonialisme

·                    Études culturelles et religieuses

·                    Théorie critique de la race 

·                    Droits de la personne

·                    Droits des minorités

·                    Théories politiques, diversité et identités

 Axe 4 Administration 

·                    Gestion de la diversité au sein des organisations publiques et privées

·                    Commerce international et éthique

 Axe 5 Sciences de l’éducation

·                    Pédagogie et didactique des langues secondes et des langues étrangères

·                    Formation des formateurs

·                    Cognition, théories d’apprentissage et diversité

Calendrier et informations pratiques

L’ouvrage collectif sera publié par les Presses de l’Université Laval (PUL) ou par une autre maison d'édition de grande renommée. Il devrait paraître au quatrième trimestre 2024.

Les propositions de contribution sont à transmettre au plus tard le 15 janvier 2024 à l’adresse suivante : congres-cfcc@umoncton.ca

D’une taille maximale de 1000 signes, la proposition devra comporter un titre, un résumé du contenu envisagé et une présentation de la méthodologie et des sources mobilisées. Elle sera accompagnée d’une courte biobibliographie précisant l’institution de rattachement de l’auteur.e.

Les résumés et les articles feront l'objet d'une évaluation en double aveugle par les pairs (deux évaluateurs). 

Les auteur.e.s recevront une réponse avant la mi-mars 2024 et les textes, d’une longueur de 20 000 signes espaces compris, seront attendus avant le 30 juin 2024.

Rappel de l’échéancier

· Réception des propositions : 15 janvier 2024 

· Retours aux auteur.es : mi-mars 2024 

· Réception des textes : 30 juin 2024 

Comité scientifique

· Ozouf Senamin Amedegnato, Université de Calgary, Alberta, Canada

· Abderrahmane Beggar, Université Wilfrid Laurier, Ontario, Canada

· Aïcha Benimmas, Université de Moncton, Nouveau-Brunswick, Canada

· Mostafa Bouanani, Université Sidi Mohamed Ben Abdallah, Fès, Maroc

· Wei Chen, Shanghai International Studies University, Shanghaï, Chine

· Mbaye Diouf, Université McGill, Québec, Canada

· Leyla Sall, Université de Moncton, Nouveau-Brunswick, Canada

 Contact :    Samira Belyazid : samira.belyazid@umoncton.ca

                   Justin-Cédric Maalouf : justin-cedric.maalouf@umoncton.ca

 


 
[1] Dans le cadre de la Clinton Global Initiative, 18 septembre 2023
[2] attribuée à Patrick Geddes (1854-1932)