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Arts et document. Journées doctorales du laboratoire Litt&Arts (Grenoble)

Arts et document. Journées doctorales du laboratoire Litt&Arts (Grenoble)

Publié le par Marc Escola (Source : Anastasia Gladoshchuk)

Appel à communication

« Arts et document »

Journées doctorales du laboratoire Litt&Arts

13-14 juin 2024, Université Grenoble Alpes

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« Mes dessins ne sont pas des dessins, mais des documents,

il faut les regarder et comprendre ce qu’il y a dedans... ».

Antonin Artaud (1) 

« You see, a document has use, whereas art is really useless. 

Therefore art is never a document, though it certainly can adopt that style ».

Walker Evans (2)

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La question des rapports entre le réel et l’imaginaire, le fictionnel et le factuel, inhérente à toute pratique et réflexion artistique, se centre depuis une quinzaine d’années sur la notion de « document » et le terme « documentaire », dont l’usage n’est désormais plus restreint à l’esthétique cinématographique ou photographique.

Mis en avant dans nombre de colloques et publications, le document se révèle être un objet particulièrement propice à l’étude interdisciplinaire dans le champ des sciences humaines. Citons à cet égard les deux numéros de la revue Communications, parus en 2001 et 2006 sous le titre commun « Parti pris du document », le numéro de Littérature consacré aux « usages du document » (2012), et les trois ouvrages issus des colloques sur les enjeux des pratiques documentaires dans les arts depuis l’émergence de la modernité (2012, 2014, 2017). Or le document se présente comme « le lieu d’un questionnement », vu sa diversité formelle et une « incomplétude fondamentale », car « le document dépend toujours d’un sujet qui choisit (ou refuse) de le constituer comme tel » (3).

On constate que le mot « document » entre dans les usages, y compris dans le champ esthétique, au xixe siècle. Prenant appui sur la base Frantext, Claude Pérez a attiré l’attention sur la répartition très inégale du terme entre les deux moitiés du siècle, avec presque sept fois plus d’occurrences pour la seconde. Cette montée en puissance nous amène à poser une série de questions d’ordre diachronique : serait-elle comparable à celle que l’on observe aujourd’hui ? Dans quelle mesure les artistes contemporains en héritent ? Quelle tendance épistémologique à l’époque actuelle correspondrait à la passion du xixe siècle pour l’histoire ?

Pérez estime qu’une confrontation des pratiques documentaires « chez les modernes » s’ouvre naturellement sur le contemporain. En soulignant l’intérêt d’une analyse comparative, il se demande si « l’emploi d’un même mot par les romanciers et les historiens ne couvre pas autant de divergences qu’il indique de points de rencontre » (4). Ainsi, André Breton semble adopter le lexique des frères Goncourt, en présentant Nadja comme un « document “pris sur le vif” » ; le mot « document » figure tant dans le titre de La Séquestrée de Poitiers d’André Gide que dans celui de la célèbre revue de Georges Bataille ; les poèmes « documentaires » de Blaise Cendrars, conçus comme des « photographies verbales », font penser à l’attitude de Baudelaire qui aborde les dessins de Constantin Guys comme de « précieux documents historiques ».

Une prise en compte de l’évolution sémantique du terme permet, en effet, de mieux définir sa portée momentanée. C’est ainsi que Jean-François Chevrier et Philippe Roussin ont avancé l’hypothèse du « parti pris du document » dans l’art du xxe siècle, qui réfute la conception naturaliste du document, nourrie par la croyance positiviste que les faits existent à l’état pur. En analysant l’« obsession de l’enquête » chez les auteurs contemporains, Laurent Demanze s’attache, quant à lui, à montrer que la « fragilité du réel a déjà été fortement éprouvée à la fin du xixe siècle » (5).

Tiphaine Samoyault a signalé justement qu’un des enjeux de la réflexion sur la « soif du réel » (« reality hunger », pour reprendre l’expression de David Shields) dans la littérature et les arts contemporains consiste à comprendre pourquoi le « souci du document » a remplacé en partie le « goût de l’archive » (6). L’autre enjeu réside dans la mise en cause de l’expression « tournant documentaire », déjà entreprise par Aline Caillet et Frédéric Pouillaude. Selon eux, pour pouvoir penser un « art documentaire » qui se constitue par-delà les médiums, il est nécessaire de clarifier la confusion théorique inhérente au terme « tournant » : « signifie-t-il que le documentaire se tourne vers l’art [...] ou que l’art se tourne vers le documentaire ? » (7). En associant le « tournant documentaire » au tournant ethnographique repéré par Hal Foster à la fin du xxe siècle (8), ils se demandent à sa suite : « Faut-il voir dans ce soudain intérêt un simple effet de mode ou un véritable “ tournant ” dans la manière dont les artistes aujourd’hui articulent leur pratique à des enjeux politiques et sociétaux et s’inscrivent dans l’Histoire ? » (9).

En souhaitant faire écho à ce courant majeur dans la pensée et les pratiques artistiques d’aujourd’hui, les doctorants de l’UMR Litt&Arts invitent les jeunes chercheur·se·s d’autres laboratoires et universités à se pencher sur les questions évoquées et présenter leurs propres études de cas. La réflexion peut également être portée aux problèmes suivants :

–      les rapports d’intermédialité à l’intérieur des œuvres documentaires ; la pertinence du modèle documentaire cinématographique pour les autres arts ;

–      les spécificités du travail documentaire en littérature par rapport aux arts visuels ;

–      l’interpénétration des discours littéraires et non-littéraires (témoignage, chronique judiciaire, fait divers) dans la perspective d’une reconfiguration des genres ;

–      la réception des œuvres documentaires ;

–      l’œuvre d’art comme document de l’époque ;

–      l’art comme outil du savoir ;

–      le rapport des termes « document », « documentaire » et « réel », « réalisme ».

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Les propositions, d’une longueur de 300 mots maximum, accompagnées d’une brève notice bio-bibliographique, sont à faire parvenir avant le 28 avril 2024 à l’adresse suivante : doclittarts2024@gmail.com. Les réponses parviendront au plus tard le 5 mai 2024.

Notes

(1) ARTAUD, Antonin, Œuvres complètes, t. .XXI : Cahiers de Rodez (avril – 25 mai 1946), Paris, Gallimard, 1994, p. 266.

(2) EVANS, Walker, Le Secret de la photographie. Entretien avec Leslie Katz, édition établie par Anne Bertrand, traduction de Bernard Hœpffner, Paris, Éditions du Centre Pompidou, 2017, p. 17.

(3) BLOOMFIELD, Camille et ZENETTI, Marie-Jeanne, « Écrire avec le document : quels enjeux pour la recherche et la création littéraire contemporaines ? », in Littérature, nº 166 : « Usages du document en littérature. Production – Appropriation – Interprétation », Paris, Armand Colin, Larousse, 2012, p. 8.

(4) PÉREZ, Claude, « Des documents chez les modernes », in Ce que le document fait à la littérature (1860-1940), Colloque ANR/Histoire des idées de littérature, Aix-en-Provence, 22-23 mars 2012. URL : https://www.fabula.org/colloques/document1731.php

(5) Entretien avec Laurent Demanze par Pierre Benetti, dans En attendant Nadeau, 30 juillet 2019. URL : https://www.en-attendant-nadeau.fr/2019/07/30/entretien-laurent-demanze/

(6) SAMOYAULT, Tiphaine, « Avant-propos. Du goût de l’archive au souci du document », in Littérature, nº 166, op. cit., p. 5.

(7) CAILLET, Aline, POUILLAUDE, Frédéric (dir.), Un art documentaire : Enjeux esthétiques, politiques et éthiques, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2017, p. 18.

(8) FOSTER, Hal, « L’artiste comme ethnographe ou la “ fin de l’Histoire ” signifie-t-elle le retour de l’anthropologie ? », Face à l’histoire (1933-1996), Paris, Éditions du Centre Pompidou, Flammarion, 1996, p. 498-505.

(9) CAILLET, Aline, POUILLAUDE, Frédéric (dir.), Un art documentaire, op. cit., p. 16.

Comité scientifique

Adrien Cavallaro, Maître de conférences en littérature française du xixe siècle, Université Grenoble Alpes

Laurent Demanze, Professeur de littérature contemporaine, Université Grenoble Alpes

Delphine Gleizes, Professeure en littérature française du xixe siècle, Université Grenoble Alpes

Isabelle Krzywkowski, Professeure de littérature générale et comparée, Université Grenoble Alpes

Delphine Rumeau, Professeure de littérature comparée, Université Grenoble Alpes

Comité d’organisation

Anastasia Gladoshchuk, doctorante à l’UMR Litt&Arts

Romain Fernandez, doctorant à l’UMR Litt&Arts

Bibliographie indicative

BLOOMFIELD, Camille et ZENETTI, Marie-Jeanne (dir.), Littérature, nº 166 : « Usages du document en littérature. Production – Appropriation – Interprétation », Paris, Armand Colin, Larousse, 2012.

CAILLET, Aline, POUILLAUDE, Frédéric (dir.), Un art documentaire : Enjeux esthétiques, politiques et éthiques, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2017. 

CHEVRIER, Jean-François et ROUSSIN, Philippe (dir.), Communications, nº 71 (octobre) : « Le parti pris du document : littérature, photographie, cinéma et architecture au xxe siècle », Seuil, 2001.

CHEVRIER, Jean-François et ROUSSIN, Philippe (dir.), Communications, nº 79 (juin) : « Des Faits et des gestes. Le parti pris du document, 2 : littérature, photographie, cinéma et architecture au xxe siècle », Seuil, 2006.

DEBAENE, Vincent, DEVEVEY, Éléonore, PIÉGAY, Nathalie (dir.), Archiver / créer (1980–2020), Genève, Droz, 2021.

DEMANZE, Laurent, Un nouvel âge de l’enquête. Portraits de l’écrivain contemporain en enquêteur, Paris, Éditions Corti, 2019.

FLICKER, Corinne, JOUSSET, Philippe, PÉREZ, Claude (dir.), Ce que le document fait à la littérature (1860-1940), Colloque ANR/Histoire des idées de littérature, Aix-en-Provence, 22-23 mars 2012. URL : http://www.fabula.org/colloques/sommaire1730.php

FOLEY, Barbara, Telling the Truth: the Theory and Practice of Documentary Fiction, Ithaca, London, Cornell University Press, 1986.

FOSTER, Hal, « L’artiste comme ethnographe ou la “ fin de l’Histoire ” signifie-t-elle le retour de l’anthropologie ? », Face à l’histoire (1933-1996), Paris, Éditions du Centre Pompidou, Flammarion, 1996, p. 498-505.

JAMES, Alison et REIG, Christophe (dir.), Frontières de la non-fiction. Littérature, cinéma, arts, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2014.

KEMPF, Lucie et MOGUILEVSKAIA, Tania (dir.), Le théâtre néo-documentaire, résurgence ou réinvention ?, Nancy, PUN – Éditions Universitaires de Lorraine, 2013.

LAVOCAT, Françoise, Fait et fiction : Pour une frontière, Paris, Seuil, 2016.

LOUIS, Annick, Homo Explorator. L’écriture « non littéraire » d’Arthur Rimbaud, Lucio V. Mansilla et Heinrich Schliemann, Paris, Classiques Garnier, 2022.

LUGON, Olivier, Le style documentaire : D’August Sander à Walker Evans (1920-1945), Paris, Macula, 2001.

NINEY, François, L’épreuve du réel à l’écran. Essai sur le principe de réalité documentaire, Bruxelles, De Boeck, 2002.

NINEY, François, Le documentaire et ses faux-semblants, Paris, Klincksieck, 2009.

SHIELDS, David, Reality Hunger : A Manifesto, New York, Alfred A. Knopf, 2010.