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Jean-François Lyotard. L'intraitable (Strasbourg)

Jean-François Lyotard. L'intraitable (Strasbourg)

Publié le par Marc Escola (Source : Artin Bassiri Tabrizi)

Les dernières réflexions de Jean-François Lyotard, de Le différend (1983) jusqu’à La confession d’Augustin (inédit publié en 1998), demeurent encore peu connues si on les compare à l’intérêt porté au reste de sa production. Pendant cette période, Lyotard revient à la question de l’esthétique, qui était au centre de sa réflexion dans les années 1970. Il n’entame pas seulement une lecture très attentive de la pensée de Wittgenstein et des auteurs de la tradition analytique américaine : il s’intéresse notamment à la possibilité de penser et parler du geste artistique (Que peindre ?) ; il élabore une philosophie du sublime (Leçons sur l'analytique du sublime, Moralités Postmodernes, L'Inhumain) ; il aborde également la question de l’autobiographie à travers une étude de l’œuvre d’André Malraux (Chambre sourde).

Cette période est qualifiée par Jean-Michel Salanskis d’intraitable[1]. Intraitable est à la fois ce qui ne peut pas être traité, ce qui demeure inexplicable et indicible, ce qui échappe au discours, à savoir le geste artistique qui ne peut pas être inscrit dans l’œuvre d’art et qui lui reste extérieur, inaudible et invisible ; mais intraitable est aussi la condition sociale et politique de l’Algérie[2], voire l’impossibilité de constituer un consensus par le biais du discours – contrairement à ce qu’en pense Habermas. Enfin, intraitable est devenu Lyotard lui-même, sa pensée étant, d’une part, écrasée par le « succès » des philosophies de Deleuze et de Derrida, de l’autre, associée à une volonté nihiliste de nier toute vérité et toute possibilité de penser un savoir universel[3]. L'intraitable n'est pas susceptible d'être traité, mais c'est dans l'effort de traitement que cette impossibilité devient manifeste : ce n’est pas a priori qu’on peut décider de son intraitabilité, et l'intraitable n’échappe pas à la pensée en se cachant dans les ravins de l'inconscient. Si l’intraitable résiste, c’est parce que vous essayez de l’approcher, et dans cette résistance il se révèle tel qu’il est. Le conflit qu'il crée est son porte-parole. Mais pourquoi est-il nécessaire d’entrer dans un tronçon qui n’a pas de clairières ? N'est-ce pas le signe d'une pensée résignée, faible ? Que vaut une philosophie qui ne s'arrête pas, qui ne se laisse pas traiter et qui, apparemment, ne sert même pas à traiter ? Dans quelle mesure une pensée qui bute sur ses limites est-elle particulièrement nécessaire aujourd’hui, lorsque la toute-puissance humaine se retourne sur elle-même ?

Le colloque organisé au sein de l’UR ACCRA (Approches contemporaines de la création et de la recherche artistique), vise à repenser la dernière partie de la pensée lyotardienne à la lumière de ses derniers écrits esthétiques, en passant par la relecture du concept kantien du sublime mais également par ceux d’anima minima (Moralités Postmodernes) et de je-sans-moi, concepts qui impliquent une critique à toute forme de subjectivité de type cartésien-husserlien. Il est envisageable aussi de proposer des lectures qui relieraient la première partie de la production de Lyotard (en particulier Discours, figure) à la période de l’intraitable, mais aussi des interventions portant sur l’influence de la psychanalyse (freudienne et lacanienne) dans le lexique esthétique lyotardien, ainsi que toute autre perspective qui implique une lecture des écrits tardifs de Lyotard et leurs enjeux esthétiques.

Les propositions (300 mots environ), accompagnées d’une courte biographie, doivent être envoyées avant le 10 avril 2024 à l’adresse  : artin.bassiri-tabrizi2@etu.unistra.fr et à skristensen@unistra.fr


 
[1] C’est le terme proposé par Jean-Michel Salanskis. Cf. « Jean-François Lyotard, le gardien du différend », in Temps Modernes, n° 599, 88-120.
[2]Le terme intraitable a été introduit par Lyotard dans la préface de ses articles sur la guerre d'Algérie (La guerre des Algériens). La condition de l'indépendantisme algérien est exemplaire du différend, qui ne peut faire entendre sa revendication d'identité nationale que dans la langue française, la langue des oppresseurs, ce qui coïncide avec le sabotage et le désamorçage de son accusation.
[3] Pour un résumé de la question de la réception de Lyotard, Cf. C. Pagès, « Lyotard et la petite vérité ou ce que nous ne voulons pas perdre », in Cahiers Philosophiques 2021/1 (164), pp. 31 49 ; A. Gualandi, Lyotard, Les Belles Lettres, Paris 1999.