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Pensée, solitude et angoisse dans la littérature du XIXe et du XXe s. (Tunis)

Pensée, solitude et angoisse dans la littérature du XIXe et du XXe s. (Tunis)

Publié le par Adrien Berger (Source : Saber Raddaoui)

Journée d’étude « Pensée, solitude et angoisse dans la littérature du XIXe et du XXe siècle »

Université de Tunis El Manar (UTM) Institut Supérieur des Sciences Humaines de Tunis, Tunisie

Laboratoire de Recherche « Etudes sur les Lumières, la Modernité et la Diversité Culturelle »

Le 25∕ 04 ∕2024

« Souffrir de la solitude, c’est là aussi une objection. Pour ma part je n’ai jamais souffert que de la multitude. » Friedrich Nietzsche – Ecce Homo (1888)

Le rapport complexe entre la pensée, l’angoisse et la solitude est au cœur de l'expression artistique, littéraire et philosophique. C'est dans la « solitude essentielle » au sens de Maurice Blanchot (L’Espace littéraire, Éditions Gallimard, « Folio Essais », 2005) que les écrivain-e-s mettent en mots leurs pensées pour pénétrer les profondeurs imperceptibles de l’être. Une pensée libre fait plonger le sujet humain dans des questionnements existentiels, à l’origine de l'angoisse face à l'inconnu et l'inexprimable. Éloigné des autres, l'individu se trouve confronté à ses propres pensées, ses émotions et ses soucis les plus intimes. Cette confrontation avec le monde intérieur peut entraîner une anxiété aigue, voire une inquiétude face à l'incertitude. L’objectif de cette journée d’études consiste à étudier le traitement dont les écrivains des XIXe et XXe siècles ont fait de la pensée un outil d'exploration de la psyché humaine.

Dans Les Fleurs du Mal, Baudelaire ne déplore pas la solitude. Il en fait une substance féconde dans sa création poétique. C’est grâce au mal-être qu’il pense la modernité poétique. Dans Madame Bovary de Flaubert, nous lisons une pensée qui communique la complexité des émotions relevant de la solitude angoissante. Certains écrivains du XXe siècle se sont également penchés sur l’expérience de la solitude. Le mouvement existentialiste, incarné par Jean-Paul Sartre et la philosophie de l’absurde représentée par Albert Camus, ont profondément influencé la littérature du XXe siècle. La solitude y est souvent traitée comme une expérience métaphysique inhérente à la condition humaine. Dans L'Étranger d'Albert Camus, le personnage principal, Meursault, incarne une forme de solitude existentielle, exprimant une indifférence apparente envers le monde qui l'entoure. La Nausée de Sartre évoque les expériences d'un individu solitaire qui parvient à appréhender que l'essence de l'existence réside dans la « contingence » et que l’homme est « de trop » dans le monde. À maintes reprises, il prend conscience de sa solitude : « Moi je vis seul, entièrement seul. Je ne parle à personne, jamais ; je ne reçois rien, je ne donne rien ». Il se présente comme un individu qui s'est délibérément détaché de la société de Bouville, se libérant ainsi de ses liens sociaux.

Pour Emile Cioran, la solitude est inhérente à la nature même de la vie caractérisée par l’absence de Dieu. Il la considère comme une condition ontologique souvent liée à une angoisse existentielle profonde, une réalité avec laquelle chaque individu doit composer dans sa quête de sens. Marguerite Duras, dans des œuvres comme Écrire, ou Robert Pinget, dans son roman Quelqu’un, poussent le lecteur à vivre la solitude intérieure de leurs personnages. La solitude est ainsi la condition de possibilité de l’écriture et la seule manière pour l’écrivain d’être à l’écoute de son être abyssal.

Du romantisme à l'existentialisme, les écrivains ont évoqué l'angoisse en tant qu’un miroir reflétant les inquiétudes et les questionnements de leur temps. C’est le cas de Gérard de Nerval qui évoque, dans Aurélia (publié à titre posthume en 1855), son expérience de la folie et de la dépression qui le conduira au suicide. Donc, l’angoisse n'est pas simplement le reflet des forces extérieures ; elle émane également d’une quête de soi où la pensée confronte les limites de la conscience humaine. Dans ce sens, Maupassant explore fréquemment le thème de la folie, générateur d’un sentiment d'angoisse. Dans des récits tel que Le Horla, le protagoniste est tourmenté par la crainte de devenir fou, ce qui révèle une profonde angoisse.

Au XXe siècle, nombreuses sont les œuvres qui reflètent le traumatisme et la désillusion liés à la violence, à la mort et à l’effondrement des valeurs de la société humaine après la Première et la Deuxième Guerre mondiale. Des dramaturges comme Antonin Artaud, Samuel Beckett et Eugène Ionesco ont mis en scène des personnages en proie à l'angoisse qui, tentant de la verbaliser, se heurtent à l'impossibilité de la traduire de manière adéquate. Cette impossibilité est intimement liée à la condition humaine, à la finitude de l'homme et à l'absence apparente de sens de la vie. Dans la pièce Les Chaises, Eugène Ionesco fait parler un couple de vieillards qui organisent une grande réception pour des invités qui ne viendront jamais. Ils ne comprennent pas la réalité, et ils vivent dans l’évanescence et la précarité de leur condition existentielle vouée au néant.

L’exploration des interconnexions entre pensée, solitude et angoisse à travers des œuvres littéraires emblématiques nous conduit à soulever les questions suivantes : comment ces expériences limites de la solitude et de l’angoisse prennent-elles forme dans la littérature française des XIXe et XXe siècles ? Par quels mécanismes et procédés d’écriture ?

Nous invitons les chercheurs à soumettre des contributions originales (une page maximum) explorant les axes suivants :

  • Les représentations de la folie comme expression extrême de la solitude et de l’angoisse.
  • L’angoisse comme signe d’une crise de la modernité.
  • Solitude, angoisse et expérience des limites.
  • Solitude, angoisse et communauté.
  • La représentation du double comme métaphore de la pensée et de la solitude.
  • Les implications sociales de la pensée solitaire.
  • L'angoisse comme force créatrice.

Cette journée d’étude se tiendra le 25 avril 2024 à l’Institut supérieur des sciences Humaines de Tunis.

Nous invitons les chercheurs intéressés par cette problématique à nous envoyer leurs propositions de contribution (pour des communications de 20 minutes), en français. Les titres et les résumés des communications, d’environ une page, accompagnés d’une notice biographique et d’une demi-douzaine de mots clefs sont à envoyer par voie électronique avant le 30 mars 2024 à saberraddaoui@yahoo.fr

Les frais de déplacement et d'hébergement sont à la charge du participant.

Notification d’acceptation : 1 avril 2024.

Comité Scientifique (ordre alphabétique des noms)

  • Hédia ABDELKEFI (Université de Tunis El Manar)
  • Mohamed CHAGRAOUI (Université de Tunis El Manar)
  • Bruno CLEMENT (Université Paris 8)
  • Maxime DECOUT (Université de la Sorbonne)
  • Francis LACOSTE (Université de Bordeaux -Montaigne)
  • Hichem MESSAOUDI (Institut Supérieur des Langues de Tunis)
  • Nizar BEN SAAD (Université de Sousse)

Bibliographie indicative

ARENDT, Hannah, La Condition de l'homme moderne. Calmann-Lévy, 1961.

AUGE, Marc, Non-lieux. Introduction à une anthropologie de la surmodernité. Seuil, 1992.

BAUDELAIRE, Charles, Les Fleurs du Mal, Gallimard, 1857.

BENOIT, Éric. « Écriture de l'angoisse, écriture contre l'angoisse », Michel Montheil éd., Écouter l'angoisse. L’Esprit du temps, 1997, pp. 35-47. BLANCHOT, Maurice, L’Écriture du désastre, Gallimard, 1980

-------------------, L’Espace littéraire, Gallimard, 1988

CAMUS, Albert, L'Étranger. Gallimard, 1942.

-------------------, Le Mythe de Sisyphe, Gallimard, 1965.

CIORAN, Emil, De l'inconvénient d'être né, Gallimard, 1987

-------------------, La Chute dans le temps, Gallimard, 1964.

-------------------, Précis de décomposition, Gallimard,1949

COMTE-SPONVILLE, André, L’Amour, la solitude, Paris, Albin Michel, 2000.

DAENINCKX, Didier, Passages d’enfer, Paris, Gallimard, « Folio », 1988.

DELMOTTE, Benjamin Esthétique de l’angoisse : Le Memento mori comme thème esthétique PUF, 2010.

FLAUBERT, Gustave, Madame Bovary, Le Livre De Poche, 2019

FOUCAULT, Michel, Les Mots et les Choses, Gallimard, 1966.

GROSSMAN, Evelyne, La Défiguration, Artaud, Beckett, Michaux, 2004.

-------------------, L’Angoisse de penser, Minuit, coll. « Paradoxe », 2008.

IONESCO, EUGENE, Notes et contre-notes, Gallimard, 1985.

KIERKEGAARD, Soren, Le Concept de l’angoisse, Gallimard, 1977.

LIPOVETSKY, Gilles, L'Ere du vide : Essais sur l'individualisme contemporain, Folio Essais, 1989.

MINOIS, Georges, Histoire de la solitude et des solitaires, Fayard, 2013.

NIETZSCHE, Friedrich, Ainsi parlait Zarathoustra, C. G. Naumann, 1883.

RABATE, Dominique, (dir.), L’Invention du solitaire, Presses Universitaires de Bordeaux, 2003.

------------------------------, Vers une littérature de l’épuisement, José Corti, 1991

ROSENBERG, Benno, Le moi et son angoisse. Entre pulsion de vie et pulsion de mort, PUF, 1997.

ROUSSEAU, Jean-Jacques, Les Rêveries du promeneur solitaire, Flammarion, 2012

SARTRE, Jean Paul, L'Être et le Néant, Gallimard. 1943

-------------------, L'Existentialisme est un humanisme. Gallimard, 1946.

------------------, La Nausée, Gallimard, 1938.

SCHOPENHAUER, Arthur, Le Monde comme volonté et comme représentation, Folio Essais, 2009

Responsables : Mohamed CHAGRAOUI (Université de Tunis El Manar) et Saber RADDAOUI (Université de Gafsa)