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Chateaubriand et l'actualité

Chateaubriand et l'actualité

Publié le par Marc Escola (Source : Morgane Avellaneda)

« Chateaubriand et l’actualité »

Dossier pour le deuxième numéro de la « Série Chateaubriand »

Prolongation de l'appel jusqu'au 15 mai 2024 : 

 Chateaubriand est souvent – et même traditionnellement – considéré comme un écrivain du souvenir, de la mémoire, du passé et, bien sûr, de « l’outre-tombe ». On connaît son goût pour la période classique[1], pour l’Antiquité tardive[2] et pour les ruines[3] ; ainsi que sa propension à l’écriture de l’histoire, y compris celle de sa propre vie, par le prisme des temps qui changent[4]. Depuis longtemps, la recherche s’est intéressée à son rapport à l’écriture de l’histoire, mais également aux motifs qu’il va chercher dans le passé pour alimenter sa pensée politique et son imaginaire[5]. Ces éléments, que l’on ne saurait nier, tendent à restreindre l’image que l’on se fait de l’écrivain et à en faire un garant des « temps anciens », ce que paraît confirmer son engagement conservateur et sa fidélité aux Bourbons.

Cependant, enfermer Chateaubriand dans le passé, et plus largement dans une pensée du temps long, amène à une perception limitée de sa personne et de sa carrière. Une telle approche pousse à laisser de côté nombre d’aspects de son œuvre, de sa vie et de son rapport avec ses contemporains. L’objectif de ce numéro est d’étudier les interactions nombreuses et riches qui existent entre Chateaubriand et l’actualité, et de le présenter dans et avec son temps, en homme qui est aussi « actuel » et qui ne dédaigne pas « l’actualité ».

Certaines études ont bien sûr pris en compte les relations de Chateaubriand avec son temps. En s’intéressant à la pensée ou à l’action politique de l’écrivain, par exemple, on l’envisage dans le mouvement de la vie de son époque[6]. On a pu étudier, et tout particulièrement de façon récente, les aspects de son œuvre les plus évidemment marqués par une dimension « actuelle » ou « quotidienne », au travers de l’analyse de ses discours prononcés à la Chambre des Pairs[7], de ses pamphlets[8] et ou encore de la presse[9]. Quant à la théorie des « antimodernes[10] », elle prend précisément Chateaubriand en compte parce que le rapport qu’il entretient avec son temps est complexe. Ponctuellement, le lien avec ses contemporains est également abordé, mais rarement de façon problématisée, dès lors que l’on cherche à saisir l’écrivain dans les courants et habitudes littéraires de son temps. Cet aspect est d’ailleurs au cœur du précédent numéro de la « Série Chateaubriand », consacré aux réseaux et groupes de l’écrivain[11]. Ces diverses études ont ouvert une piste que nous souhaitons exploiter plus largement en plaçant au cœur de la réflexion les rapports multiples et riches qui lient Chateaubriand à « l’actualité » et par lesquels il est aussi marqué.

La notion d’actualité, en elle-même, n’est pas une évidence : le terme désigne en effet prioritairement aujourd’hui les informations, les dernières nouvelles diffusées par les médias. Cependant, dans le cas de Chateaubriand, ce qui nous intéresse est un sens plus large et antérieur : l’actualité est ce qui relève du maintenant, qui se situe dans le temps proche, un « ensemble de faits tout récents, et offrant un intérêt pour cette raison » (Trésor de la langue française). La notion rejoint partiellement celle de « quotidien », qui a été bien plus largement exploitée dans les études littéraires[12]. Elle partage avec elle une indétermination des bornes et une immédiateté ; mais elle s’en éloigne en ce qu’elle n’est pas reliée aussi intrinsèquement à la presse – qui se trouve au cœur de l’ouvrage de Marie-Ève Thérenty, La Littérature au quotidien – et n’implique pas nécessairement la banalité, la répétition. Cependant, les recherches sur la relation qui existe entre « quotidien » et « littérature » fournissent d’intéressants outils à l’analyse que nous souhaitons mener des interactions qui existent entre Chateaubriand et le temps présent dont il est contemporain. On pourra de ce fait s’appuyer sur la notion de « présentisme » exploitée par François Hartog, cette omniprésence du présent qui gagne en importance au début du XIXe siècle. Celui-ci considère l’écrivain breton comme l’exemple parfait d’un homme pris entre deux « régimes d’historicité[13] » ce qui le rend apte à un ancrage dans plusieurs perceptions du passé, mais aussi du présent. De même, le classement problématique de Chateaubriand parmi les « antimodernes » fournit matière à envisager la manière dont se construit son rapport avec l’actualité, dans laquelle il est impliqué peut-être aussi malgré lui.

De façon non-exhaustive, on pourra envisager les perspectives suivantes :

·       L’étude de la dimension « actuelle » des genres marqués par l’immédiateté, la rapidité voire la banalité 

Chateaubriand pratique une écriture de la quotidienneté, de l’actualité, sur certains supports tout particulièrement aptes à recevoir des éléments actuels voire les appelant de façon nécessaire. L’étude de la correspondance et de l’écriture de presse dans ce qu’elles ont de résolument actuel entre donc pleinement dans les objectifs de ce numéro. On pourra également élargir la réflexion à la tentative de notation de l’éphémère que l’écrivain met en place dans d’autres genres, notamment le récit de voyage dans sa dimension diariste, sensible dans l’Itinéraire de Paris à Jérusalem et le Voyage en Italie par exemple. Cette question peut également s’ouvrir sur la critique littéraire de l’écrivain, et plus largement à tous les textes qui « réagissent » ou « interagissent » avec l’actualité.

·       L’influence de l’actualité sur l’écriture et les corrections des œuvres

Même lorsque leur sujet se tourne vers le passé – ou l’avenir – les écrits de Chateaubriand sont influencés par l’actualité. Il souligne cette relation du passé au présent dans de nombreux textes : « Ensuite l’histoire vivante est venue nous arracher à l'histoire morte[14]. » On pourra donc s’intéresser à la manière dont ses écrits, et à la marge ses actions publiques, épousent l’actualité la plus brûlante, viennent réagir aux événements les plus récents ou s’ancrer dans les réalités du quotidien. À ce sujet, les textes pamphlétaires offrent bien sûr un champ d’étude particulièrement riche, mais il nous semble tout aussi pertinent d’aller rechercher les traces de « l’actualité » dans des textes en apparence plus intemporels, comme le Génie du Christianisme ou Moïse.

Dans la même logique, on pourra utilement se pencher, dans la lignée des actes Chateaubriand réviseur et annotateur de ses œuvres[15], sur le processus de correction de l’écrivain, et sur la manière dont celui-ci épouse l’actualité, s’adapte au temps présent – ou, au contraire, permet d’inscrire le texte dans une plus grande intemporalité. En cela, l’analyse des différentes couches d’écriture des Mémoires d’outre-tombe, marquées par des révisions, des ajouts et des coupes, fournit un champ d’étude très riche. On pense notamment à la troncature des pages consacrées à Madame Récamier, ou aux différentes couches d’écriture et d’expérience qui se superposent dans les pages consacrées à l’Angleterre. Plus largement, les choix, annotations, coupes et modifications qui président à l’édition des Œuvres complètes constituent un terrain d’analyse et d’étude riche, depuis l’appareillage critique de l’Essai sur les révolutions jusqu’à l’insertion des textes journalistiques dans le corps des « œuvres ».

·       La perception « actuelle » que les contemporains ont de l’écrivain

Une étude de la réception peut également fournir de très intéressantes perspectives en ce qui concerne « l’actualité » de l’écrivain tel que perçu par ses contemporains. On pourra ainsi, dans la continuité de l’ouvrage collectif Qu’est-ce qu’un événement littéraire au XIXe siècle[16] ? et plus largement des travaux sur « l’événement littéraire », interroger la place que la réception de ses œuvres occupe dans « l’actualité littéraire » en construction. Il serait intéressant d’élargir la perspective à l’étranger et à la province, souvent laissés pour compte dans une étude de la réception essentiellement parisienne. Plus largement, la question de la perception de l’actualité de Chateaubriand, de sa figure d’homme public, peut être étudiée : pourquoi et comment convoque-t-on Chateaubriand pour parler d’actualité ?

L'appel est prolongé jusqu'au 15 mai 2024. Veuillez adresser vos propositions (environ 400 mots) et une brève notice bio-bibliographique à Morgane Avellaneda, IHRIM, Université de Franche-Comté (morgane.avellaneda@univ-st-etienne.fr).

Elles seront étudiées par le comité éditorial de la « Série Chateaubriand » :

Philippe ANTOINE (Université de Clermont-Auvergne)

Fabienne BERCEGOL (Université Toulouse Jean Jaurès)

Jean-Marie ROULIN (Université de Saint-Etienne)

Les articles devront être rendus pour la fin de l’année 2024.

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Éléments bibliographiques : 

Frans, C. Amelinckx, « Les articles du Mercure de France de Chateaubriand publiés en Amérique (1811) », Bulletin de la société Chateaubriand, n° 17, 1974, p. 45.

Philippe André-Vincent, Les idées politiques de Chateaubriand. Montpellier, Imprimerie de la Presse, 1936, 233 p.

Fabienne Bercegol, « Chateaubriand, le "Vicomte pamphlétaire" », Cahiers Paul-Louis Courier, vol. 4, n° 1, 2005, pp. 145‑161.

René Bourgeois, Chateaubriand et la littérature Empire. Paris, Masson, 1972, 240 p.

Marie-Astrid Charlier, Le Roman et les Jours : Poétiques de la quotidienneté au XIXe siècle. Paris, Classiques Garnier, 2018, 632 p.

Chateaubriand et la politique : actes du colloque. Châtenay-Malabry, Société Chateaubriand, 2018, 215 p.

Chateaubriand, penser et écrire l’histoire, éd. Ivanna Rosi et Jean-Marie Roulin. Saint-Étienne, Publications de l’Université de Saint-Étienne, 2009, 316 p.

Chateaubriand réviseur et annotateur de ses œuvres, actes du colloque international, Padoue, 6 et 7 décembre 2007, textes réunis par Patricio Tucci. Paris, Honoré Champion, coll. Colloques, congrès et conférences sur l’époque moderne et contemporaine, 2010, 266 p.

La civilisation du journal : histoire culturelle et littéraire de la presse française au XIXe siècle, éd. Dominique Kalifa, Philippe Régnier, Marie-Ève Thérenty et Alain Vaillant. Paris, Nouveau monde éditions, 2011, 1762 p.

Antoine Compagnon, Les antimodernes : de Joseph de Maistre à Roland Barthes. Paris, Gallimard, 2016, 705 p.

Béatrice Didier, « Chateaubriand polémiste dans les "Discours" », Cahiers de l’Association internationale des études françaises, vol. 31, n° 1, 1979, pp. 193‑206.

Anthony Glinoer, « Sociabilité et temporalité : le cas des cénacles romantiques », Revue d’histoire littéraire de la France, vol. 110, n° 3, 2010, pp. 547-562.

Mariane Grams, Chateaubriand journaliste. Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 1999, 583 p.

François Hartog, Régimes d’historicité. Présentisme et expériences du temps. Paris, Seuil, coll. La librairie du XXIe siècle, 2003, 258 p.

Jacob Lachat, Le Passé sous les yeux. Chateaubriand et l’écriture de l’histoire. Paris, Vrin et Éditions de l’EHESS, 2023, 335 p.

Soon-Hee Lee et Jun-Hyun Kim, « De l’édition Ladvocat aux Mémoires d’outre-tombe : la Restauration réécrite », Romantisme, vol. 178, n° 4, 2017, pp. 122-134.

Michel Lelièvre, L’écrivain de combat, l’émigré sous le Consulat et l’Empire : Chateaubriand polémiste. Paris, Presses universitaires de France, 1983, 247 p.

Tanguy Logé, « Chateaubriand et les milieux littéraires en 1789 », Bulletin de la société Chateaubriand, n° 31, 1988, pp. 78‑83.

Marie-Françoise Melmoux-Montaubin, L’écrivain-journaliste au XIXe siècle : un mutant des Lettres. Saint-Étienne, Cahiers intempestifs, 2003, 469 p.

Guillaume Pinson, « Imaginaire des sociabilités et culture médiatique au XIXe siècle », Revue d’histoire littéraire de la France, vol. 110, n° 3, 2010, pp. 619-632.

Qu’est-ce qu’un événement littéraire au XIXe siècle ? éd. Corinne Perrin-Saminadayar. Saint-Étienne, Publications de l’Université de Saint-Étienne, 2008, 318 p.

Pierre Reboul, Chateaubriand et le Conservateur. Lille, Université de Lille III, 1974, 
415 p.

Laetitia Saintes, Paroles pamphlétaires dans le premier XIXe siècle, 1814-1848. Paris, Honoré Champion, 2022, 754 p.

Le sens de l’événement dans la littérature française des XIXe et XXe siècles : actes du colloque international de Klagenfurt, 1er-3 juin 2005, éd. Glaudes (Pierre). Bern, Pays multiples, 2008, 296 p.

Sociabilités littéraires, dir. Jean-Marie Roulin. Paris, Classiques Garnier, coll. La Revue des Lettres Modernes, série Chateaubriand, n° 1, 2023, 225 p.

Marie-Ève Thérenty, La littérature au quotidien : poétiques journalistiques au XIXe siècle. Paris, Seuil, 2007, 400 p.

Marie-Ève Thérenty, « Montres molles et journaux fous : Rythmes et imaginaires du temps quotidien au XIXe siècle », COnTEXTES, n° 11, 2012, p. 1-16.

Isabelle Tournier, « Événement historique, événement littéraire : Qu’est-ce qui fait date en littérature ? », Revue d’histoire littéraire de la France, vol. 102, n° 5, 2002, pp. 747-758.

Sylvain Venayre, « Le voyage, le journal et les journalistes au XIXe siècle », Le Temps des médias, vol. 8, n° 1, 2007, pp. 46-56.

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[1] Cela a notamment été étudié par Emmanuelle Tabet, Chateaubriand et le XVIIe siècle : mémoire et création. Paris, Honoré Champion, 2002, 461 p.
[2] On pense entre autres aux Martyrs, mais également aux Études historiques.
[3] Par exemple : Joël Loehr, « Ruines écrites et écriture de soi. Chateaubriand / Stendhal », Poétique, 2003/1 
(n° 133), p. 109-123.
[4] Le plus récent à ce sujet est l’étude de Jacob Lachat, Le Passé sous les yeux. Chateaubriand et l’écriture de l’histoire. Paris, Vrin et Éditions de l’EHESS, 2023, 335 p.
[5] On peut notamment se référer à Chateaubriand, penser et écrire l’histoire, éd. Ivanna Rosi et Jean-Marie Roulin. Saint-Étienne, Publications de l’Université de Saint-Étienne, 2009, 316 p.
[6] Une telle interaction entre pensée politique et actualité est sensible dans l’article de Marc Fumaroli, « Penser à chaud la Révolution : Chateaubriand et Burke », Commentaire, vol. 95, n° 3, 2001, pp. 511-524 ; mais elle apparaît très évidemment dans les études de la pensée politique de Chateaubriand menées depuis longtemps, avec Philippe André-Vincent, Les idées politiques de Chateaubriand. Montpellier, Imprimerie de la Presse, 1936, 233 p. ou encore Chateaubriand et la politique : actes du colloque. Châtenay-Malabry, Société Chateaubriand, 2018, 215 p.
[7] Béatrice Didier, « Chateaubriand polémiste dans les "Discours" », Cahiers de l’Association internationale des études françaises, vol. 31, n° 1, 1979, pp. 193‑206.
[8] Chateaubriand occupe en effet une part importante de l’ouvrage issu de la thèse de Laetitia Saintes, Paroles pamphlétaires dans le premier XIXe siècle, 1814-1848. Paris, Honoré Champion, 2022, 754 p.
[9] Sur ce large corpus, plusieurs articles ont été consacrés à des moments particuliers de l’activité journalistique de Chateaubriand ; mais un certain nombre d’études plus englobantes ont également été proposées, notamment celle de Mariane Grams, Chateaubriand journaliste. Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 1999, 583 p. ou encore de Pierre Reboul, Chateaubriand et le Conservateur. Lille, Université de Lille III, 1974, 415 p., ainsi que tout récemment la thèse de Morgane Avellaneda, Chateaubriand écrivain de presse.
[10] Antoine Compagnon, Les antimodernes : de Joseph de Maistre à Roland Barthes. Paris, Gallimard, 2016, 705 p.
[11] Sociabilités littéraires, dir. Jean-Marie Roulin. Paris, Classiques Garnier, coll. La Revue des Lettres Modernes, série Chateaubriand, n° 1, 2023, 225 p.
[12] À ce titre sont tout particulièrement saillantes l’étude fondatrice de Marie-Ève Thérenty, La littérature au quotidien : poétiques journalistiques au XIXe siècle. Paris, Seuil, 2007, 400 p ; et celle de Marie-Astrid Charlier, Le Roman et les Jours : Poétiques de la quotidienneté au XIXe siècle. Paris, Classiques Garnier, 2018, 632 p.
[13] François Hartog, Régimes d’historicité. Présentisme et expériences du temps. Paris, Seuil, coll. La librairie du XXIe siècle, 2003, p. 21.
[14] François-René de Chateaubriand, « De quelques ouvrages historiques et littéraires », in Œuvres complètes XXI. Paris, Ladvocat, 1826, p. 396.
[15] Chateaubriand réviseur et annotateur de ses œuvres, actes du colloque international, Padoue, 6 et 7 décembre 2007, textes réunis par Patricio Tucci. Paris, Honoré Champion, coll. Colloques, congrès et conférences sur l’époque moderne et contemporaine, 2010, 266 p.
[16] Qu’est-ce qu’un événement littéraire au XIXe siècle ? éd. Corinne Perrin-Saminadayar. Saint-Étienne, Publications de l’Université de Saint-Étienne, 2008, 318 p.