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Le défi au XIXe siècle. Doctoriales de la SERD (Paris)

Le défi au XIXe siècle. Doctoriales de la SERD (Paris)

Publié le par Marc Escola (Source : Corentin Zurlo-Truche)

Doctoriales de la SERD

Appel à communication pour la journée d’études — 15 juin 2024

Université Paris Cité — Bibliothèque Jacques-Seebacher

Les Doctoriales de la SERD organisent une journée d’études samedi 15 juin 2024 pour clôre sa deuxième année de séminaire sur les incapacités au XIXe siècle. La thématique privilégiée pour cette journée d’études est celle du défi, prise dans l’acception large du terme. Elle a été suggérée par Rose-Lucie Cahoua. Vous pouvez nous soumettre vos propositions, d’une longueur maximale de 300 mots, à l’adresse suivante : contact.doctoriales.serd@gmail.com jusqu’au 30 avril 2024. Elles seront complétées par une notice bio-bibliographique indiquant notamment le laboratoire et l’université de rattachement.

Comité d’organisation : Victor KoltaGuilhem PoussonFlorelle Isal et Laurène Sinnappu.

Quelques pistes de réflexion :

Philosophique

« Mettre au défi » ou encore « défier », cela suppose un rapport à l’altérité et à plus forte raison à l’adversité qui s’éprouve dans le conflit ou dans l’émulation. 

Est d’abord défi ce qui pose problème, ce qui constitue une forme d’adversité et ce à quoi, traditionnellement, le héros doit se confronter. Le héros cependant n’en est plus nécessairement un, il n’est plus celui qui relève le défi, celui qui répond à la provocation (ex : Frédéric Moreau dans L’Éducation sentimentale, Flaubert). Dès le début du siècle, l’héroïsme est à envisager sous un nouveau jour, l’exceptionnalité n’est plus celle du statut social ou de l’exploit guerrier et le héros romantique, inadapté au monde qui est le sien, est d’ailleurs condamné à l’échec. La nature du défi elle-même a changé. Celui qui adhère au monde n’est plus porté par de hautes valeurs aristocratiques mais il est celui qui s’adapte à une reconfiguration sociale du monde que le Dieu argent régit.

D’autre part et dans le contexte d’émancipation des autorités spirituelles de l’Aufklärung, le défi est plutôt celui de la connaissance. Ludique, il peut servir l’apprentissage, voire l’élévation. Il pose la question d’une nouvelle approche dans la recherche de la vérité : scientifique et rationnelle, comme celle de Schelling (qui prétend à une vérité fondée sur des données factuelles et vérifiables) ou sinon intuitive au moins poétique, à l’instar d’Hölderlin ou encore de Novalis. L’homme souverain, à l’heure de la révolution kantienne, est mis au défi de penser le monde, par la critique et la Raison, hors du donné obligeant, en acceptant la part d’insaisissable et d’impensable qu’il contient. 

Études de genre

La logique du défi sous-tend la confrontation voire l’affrontement, elle suppose un adversaire, un esprit de compétition ou autant de schémas et de conditions propices au développement de qualités viriles. Que l’on pense à la pratique de compétitions sportives ou à celle du duel, le défi s’inscrit d’abord dans des pratiques réservées aux masculinités et donc dans une histoire de la virilité que le XIXe siècle fait triompher. Il questionne en un sens les nouvelles formes d’intégration de l’idéal viril, ses codes et ses normes. Il soulève la question de l’affirmation de soi en donnant à la virilité les moyens de s’exprimer et de faire ses preuves dans le cadre d’un entre-soi masculin.

La notion soulève aussi et a contrario la possibilité de l’échec : l’incapacité à relever un défi et avec elle, la paralysie et l’angoisse (ex : « Un lâche » de Maupassant). En même temps que l’hégémonie d’une masculinité, le « triomphe » de la virilité produit en effet un « en-dehors » viril. La honte et le tabou apparaissent alors sous-jacents à ce qui dès lors devient une impuissance, à la faiblesse physique ou morale, à l’effémination, à l’homosexualité ou autant de transgressions que dessine la norme au négatif.

Ces transgressions interrogent la norme genrée qui se défie alors elle aussi et il est possible d’aborder la question du point de vue de la contestation, franche ou détournée, d’une autorité, d’une voix majoritaire ou dominante, ainsi d’un certain dandysme ou des minorités, comme ces voix de femmes qui échappent au silence, personnages féminins ou autrices mêmes : de celles qu’on appelle les « bas-bleu » à celles qu’on affuble du nom de « pétroleuses ». 

Esthétique

Le domaine de l’esthétique, défini comme « science de la connaissance sensible »,(A. G. Baumgarten, Esthétique, Paris, L’Herne, 1988) pose d’emblée un défi inhérent à cette discipline, celui de la conciliation entre savoir et sensations, raison et émotions.

Si au début du XIXe siècle, la pluralité des arts offre la possibilité de suggérer une œuvre totale, il s’ensuit une époque de matérialisme galopant et de désacralisation qui modifie la place des artistes. Face aux nouvelles techniques de reproduction qui marquent le progrès, quelle position adopter dans une société qui s’industrialise ? La rencontre de l’art et de l’industrie est un axe à étudier car elle conditionne les transformations matérielles et sociales du monde en modifiant inéluctablement les finalités, les valeurs et les moyens d’action des artistes. Quelles solutions trouver pour éviter une véritable déshumanisation du monde et de l’art, un triomphe de la matérialité sur l’homme ? Cette question s’inscrit dans le grand débat de l’utilité de l’Art et des critères de beauté.

Avec l’essor de la grande presse, le journal et la caricature, considérée comme « cri de l’artiste », (Champfleury, Histoire de la caricature moderne, Ressouvenances, 2010. La caricature comme “cri du citoyen”) sont des armes esthétiques qu’il pourra être pertinent d’observer. La naissance de la photographie modifie, quant à elle, considérablement les rapports entre la réalité et l’art et devient l’objet de polémiques entre artistes et écrivains dans sa fonction de représentation du monde. À une échelle plus globale, on pourra s’intéresser aux limites que la mimésis semble avoir atteintes puis dépassées au XIX siècle, ce qui se manifeste par des réflexions critiques sur le style, des recherches d’innovation, ou encore des tentatives de collaboration entre les arts.

L’observation de la vie artistique en France au XIXe siècle peut être une autre porte d’entrée pour comprendre les défis nouveaux que les artistes vont devoir relever. En se référant le moins possible à des individus ou à des courants artistiques particuliers, il s’agira d’évoquer un « système des beaux-arts », en grande partie hérité de l’Ancien Régime, mais profondément transformé par la Révolution et le premier Empire, en même temps que sa contestation grandissante jusqu’à sa désintégration finale au tournant des XIXe et XXe siècles. Marchands, galeries, collectionneurs : l’émergence d’un nouveau système de l’art moderne modifie la place de l’artiste dans la société. Sur les ruines du système du Salon unique se dessine peu à peu une nouvelle configuration du marché de l’art. Elle repose sur le développement des galeries privées, le marchand d’art, à la fois fin connaisseur et commerçant avisé, devenant l’intermédiaire privilégié entre les artistes, dont les plus novateurs, et un nouveau public d’amateurs et de collectionneurs dont le goût s’est émancipé de l’académisme des expositions officielles.

C’est ainsi qu’il pourra être abordé le domaine de la réception. Au gré du scandale suscité par telle ou telle œuvre, chacun prend parti, s’engage, se situant dans un des « camps » en présence, celui des « conservateurs » ou celui de l’ « avant-garde », métaphore militaire qui commence à s’appliquer au domaine des arts dès les années 1840-50. La réception est également à envisager dans sa dimension affective. L’artiste, qu’il propose un art engagé, collectif ou un art plus personnel pour exposer ses tiraillements existentiels, a toujours pour mission d’avoir un effet sur son public. La question du défi au goût du public pourra être abordée (« La gifle au goût du public », 1912). L’enjeu est alors du côté d’une réception sensible, la question du plaisir esthétique et de la place de l’imagination sera une piste de réflexion possible à considérer. Un défi réside alors dans la capacité de créer une œuvre destinée à émouvoir, mais aussi capable d’être un outil efficace de connaissance du monde et de soi. 

Défi et Récit

Dans cet axe, le défi pourra d’abord être considéré en tant qu’élément de la diégèse. Il s’agit alors d’événements, de postures ou d’invites ressentis par les personnages comme des défis, soit qu’ils enfreignent les normes et les dogmes du monde diégétique (ex : réquisitoire de Julien Sorel contre la monarchie, monologue de Hernani) ; soit qu’ils soient explicitement identifiés comme « défis » par le texte ou le paratexte (ex : défi de Rastignac). Il nous a semblé pertinent d’explorer les fonctions narratives de ces passages, en les rapprochant de catégories bien établies comme la scène de reconnaissance ou les ruptures d’espace induites par la trajectoire du « personnage mobile » lotmanien. Dans cette perspective, il serait par exemple possible d’étudier la coordination récurrente de certaines scènes, comme le duel suivi de la disparition ou du départ du vainqueur : Pierre Bezoukhov dans Guerre et Paix, Stavroguine dans Les Démons. Nous soulignons également le fait que le défi comme épreuve imposée et possiblement « qualifiante » (A. J. Greimas), semble jouer un rôle dans la construction des intrigues et la maturation des subjectivités fictionnelles. 

Le défi pourra également être envisagé à un niveau métadiégétique. Il s’agit alors de passer du substantif au verbe pour en explorer l’étymologie (diffidere : « ne pas se fier à », « douter de la capacité à ») et aborder la question de l’adresse. Plus que d’un défi, il sera question d’une défiance pouvant marquer l’interaction entre auteurs et lecteurs, influencer la façon dont les textes sont reçus, interprétés et discutés. Il peut s’agir, d’une part, de discours émanant d’un public qui éprouve une réticence devant la transformation des usages de la fiction et des modalités de sa circulation (massification) au XIXe siècle. Il pourra, d’autre part, être question des réserves de l’écrivain quant à son lectorat et sa capacité à “bien recevoir” les œuvres. Ce dernier peut produire dans certains cas un discours sur le lecteur idéal et le lecteur défaillant, opposer « bonne » et « mauvaise » lecture, décliner toute une gamme de réflexes appropriatifs, préventifs, défensifs voire offensifs, visant à s’arroger le monopole herméneutique de ses œuvres. 

Social et sociologique

Le défi, au XIXe siècle, répond à un certain nombre de codes inhérents à un certain statut social mais qui se démocratisent en même temps que l’éducation militaire et avec elle, ses valeurs et ses effets sur les consciences et les corps. La pratique du duel en témoigne, elle est en effet un rituel raffiné et codifié opposant deux individus mus par un reste de valeurs aristocratiques : « Mais le duel n’est qu’une cérémonie. Tout en est su d’avance, même ce que l’on doit dire en tombant. » (Stendhal, Le Rouge et le noir). De même, l’activité sportive, de plus en plus répandue et dont les compétitions sont de plus en plus populaires au cours du siècle, en entrant dans un processus de civilisation, supplante la violence et, comme le défend Norbert Elias, la maîtrise (ex : le duel d’escrime dans « Le Bonheur dans le crime » in Les Diaboliques de Barbey d’Aurevilly).

Parce qu’il renvoie à la confrontation, le défi soulève cependant également la question du rapport de force, voire du rapport de domination, social ou économique. Le terme prend alors un sens plus actif, il dit le refus de se soumettre à la force ou à l’action. Le champ de la contestation sociale et politique s’ouvre ici : il s’agit de défier l’ordre établi ou de s’y conformer. Dès lors, il est également question de penser la place de l’individu à l’heure d’une atomisation de la masse et de la perte de l’intérêt collectif. Quelle nouvelle place pour le défi quand les cartes du déterminisme sont rebattues ? La notion pourrait être envisagée à l’aune de la perte de l’idée d’un destin, conséquence d’une structure religieuse affaiblie et de la disparition progressive d’un ordre passé dès le début du siècle. 

D’autres axes d’étude pourront être envisagés et approfondis, tels que le lien entre histoire et politique, dans la mesure où l’instabilité politique constitue un défi majeur.

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