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Science-fiction et formes expérimentales (revue Res Futuræ)

Science-fiction et formes expérimentales (revue Res Futuræ)

Publié le par Faculté des lettres - Université de Lausanne (Source : Alice Ray)

Science-fiction et formes expérimentales (appel)

Dossier Res Futurae n° 26, décembre 2025

Responsables du dossier :

Jérôme Dutel (Université de Saint-Étienne) et Alice Ray (Université d’Orléans).

Les propositions d’articles, d’environ 250-300 mots, accompagnées d’une brève biobibliographie, sont à envoyer avant le 01/06/2024 aux deux adresses suivantes : jerome.dutel@univ-st-etienne.fr et alice.ray@univ-orleans.fr

Échéances

Date limite pour les propositions : 1er juin 2024.

Remise des articles V1 : 15 octobre 2024.

Le processus d’évaluation de la revue ainsi que les normes éditoriales sont disponibles en ligne.

 Appel à articles

« Ça n’a pas été sans quelques complications,
sans heurts ni détours, que d’essayer de trouver
des mots pour vous parler ici. »
Noël Akchoté (en collaboration avec Guillaume Patin),
préface à Philippe Robert, Musiques expérimentales. Une anthologie transversale d’enregistrements emblématiques (2007, 2014)

 Ce numéro de ReSF se propose d’explorer, sans références évidentes, les frontières formelles du genre et d’étudier la manière dont ces dernières sont transcendées par les artistes de science-fiction, tous médias et aires géographiques et linguistiques confondus. La science-fiction, au moins dans sa première incarnation médiatique, c’est-à-dire littéraire, mais aussi iconographique, sonore et spectaculaire au sens large, se fonde notoirement sur la notion d’expérience : expérience scientifique dont l’innovation génère un récit qui prendra, suivant les cas, les atours du roman d’aventures, du roman d’enquête, du roman psychologique ou du roman social et politique. Expérience couronnée de succès, expérience entachée d’échecs, expérience tentée qui permettent d’ouvrir des possibles, spatiaux comme temporels (futur de l’anticipation, présent de la dénonciation, passé de la révision) ; la science-fiction les réunit toutes dans un laboratoire des possibles, un espace d’expérimentation où les frontières du réel s’abaissent quelque temps pour laisser intervenir l’extraordinaire plausible, le fantastique rationnel. Dans l’expérience, ce « Et si… » réalisé, se trouve, selon nous, l’un des points de départ les plus forts de la science-fiction littéraire qui transforme les métaphores scientifiques en possibilité dans un style modal propre au genre, mais qui ne le cloisonne pas pour autant (Boisset, 2013). Cependant, cette approche ne rend souvent compte que de l’expérience narrative que peut être la science-fiction, qui utilise alors des formes conventionnelles, connues (voire stéréotypées) pour amener dans la réalité du lecteur les possibilités actualisées du récit de science-fiction. Ainsi, selon Suvin, la science-fiction implique un décalage entre le monde fictionnel et le monde zéro du lectorat, et utilise des novums, des nouveautés étranges et étrangères, pour nous plonger dans une nouvelle expérience thématique spatio-temporelle.

Si la science-fiction comme expérience de pensée a fait l’objet d’un grand nombre de recherches (Rumpala, 2010, 2016, 2021 ; Cerqui et Müller, 2011 ; Descombes, 2022 ; Boudou, 2016 ; Hottois, 2000, pour n’en citer que quelques-uns), peu d’études se sont intéressées à l’expérimentation formelle de la science-fiction, plutôt qu’aux objets et concepts imaginaires qu’elle met thématiquement en place. On peut toutefois compter, au sein même de Res Futurae, plusieurs numéros envisageant de telles approches : ainsi, les numéros 12, 18 et 19, respectivement consacrés au jeu vidéo, au théâtre ou aux séries télévisées, explorent, dans certains articles, des espaces expérimentaux. Dans le même esprit, le dossier du numéro 5, « La culture visuelle de la science-fiction, entre culture populaire et avant-garde », met lui aussi en avant les liens entre le genre et le concept d’avant-gardisme, ouvrant des pistes vers certaines formes expérimentales science-fictionnelles.

Pour autant, alors que son expérimentation sur le plan des idées et des contenus semble évidente, la science-fiction n’est pas, ou très peu, considérée comme une littérature d’expériences ou une littérature expérimentale au sens que l’adjectif prend pour le cinéma ou la poésie. De fait, l’expérience semble souvent, dans la science-fiction, réduite à une vision thématique, ou n’apparaît que comme un prolégomène au déploiement imaginatif et imaginaire. Rares – et précieuses – sont donc les œuvres où l’expérience de pensée envisagée et fictionnalisée se double d’une expérimentation formelle affirmée.

S’il peut être difficile de déterminer l’expérimental au sein d’une œuvre, le concept même d’œuvre expérimentale ne trouve toujours pas de définition satisfaisante. Nous retiendrons pourtant ici le terme, pour les imaginaires de différenciation qu’il soulève : une œuvre d’art est expérimentale quand elle propose formellement une apparence qui étonne ou détonne. Par définition, la fiction expérimentale est difficile à saisir puisque ses frontières se redessinent constamment, au gré des innovations, des tendances et des cadres fictionnels. Cependant, il nous semble que toutes les fictions expérimentales ont pour but de briser les conventions narratives, stylistiques et artistiques de leur époque de production et de sortir des carcans mainstream imposés par leur temps, redéfinissant la forme pour s’opposer aux idéologies dominantes, quelles qu’elles soient. Les artistes transcendent les formes traditionnelles du récit et repoussent les frontières de leur médium pour que l’œuvre devienne en soi une expérience narrative, médiatique, sémiotique, matérielle, sensorielle. Cette fiction expérimentale trouve également son expression dans le genre de la science-fiction, dont le cadre spéculatif offre aux artistes de multiples possibilités d’expérimentation formelle. On peut ainsi citer des romans comme Nova Express (1964) où William S. Burroughs utilise le cut-up, c’est-à-dire le démembrement et le remontage de textes, pour déstructurer le cadre romanesque, ou La Maison aux mille étages (1929) de Jan Weiss, dont les procédés graphiques et la mise en page appuient le propos narratif et accompagnent le lecteur dans sa découverte du monde dystopique.

En littérature, certaines œuvres, véritables tentatives de greffe, demeurent, de fait, expérimentales par leur singularité, telles les expérimentations de Daniel Drode (Surface de la planète, 1959), ou At Midnight on the 31st of March (1938), un roman épique et spéculatif entièrement rédigé en vers libres, de Josephine Young Case, ou encore R.U.R. (1921), la pièce de théâtre de Karel Čapek qui introduit le mot robot dans le vocabulaire mondial. D’autres utilisent des méthodes d’expérimentation formelle qui jouent avec la matière linguistique en elle-même, comme le célèbre Enig Marcheur (1980) de Russell Hoban, entièrement rédigé dans un anglais du futur, si éloigné de l’état actuel de la langue anglaise qu’il en rend la lecture aussi ardue que déstabilisante. Un procédé qu’on peut retrouver dans d’autres ouvrages de science-fiction, mais aussi par exemple au cinéma avec Junk Head (2021) de Takahide Hori, ou en bande dessinée avec A.L.I.E.E.N. (2004) de Lewis Trondheim.

Dans les autres espaces médiatiques investis par la science-fiction, tels que la bande dessinée et le cinéma, les expérimentations formelles se distinguent elles aussi, et constituent fréquemment des marqueurs temporels dans l’évolution du genre et des médias. On pensera à des films nés dans le giron ou le sillage du Service de la Recherche de l’ORTF, tels La Jetée (1962) de Chris Marker, qui se construit quasi exclusivement autour de photogrammes fixes, ou La Planète verte (1966) de Piotr Kamler, qui reprend un texte de Jacques Sternberg et superpose aux mots des créations sonores et visuelles venues d’un ailleurs avant-gardiste. À l’inverse, dans A Scanner Darkly (2006), Richard Linklater, par le biais de la rotoscopie – une technique d’animation loin d’être récente –, renforce encore l’inquiétude sourdant du roman de Philip K. Dick et déjoue une large part des conventions cinématographiques hollywoodiennes. La bande dessinée n’est pas en reste avec, en France, des initiatives comme celle de l’aventure de la revue Métal Hurlant (1975-1987, pour la première période de publication), dans laquelle des auteurs comme Mœbius ou Philippe Druillet, parmi d’autres, développent de nouvelles approches visuelles et narratives de la science-fiction ; ou la mise en place, à partir des années 1990, des expérimentations médiatives de l’OuBaPo. Certains jeux vidéo de science-fiction expérimentent également en proposant des gameplay ou des game design éloignés des usages conventionnels, comme Afterglitch (2022) de Vladimir Kudelka, qui offre une expérience multidimensionnelle quelque peu psychédélique où le personnage part à la recherche de son créateur, ou encore le jeu Outer Wilds (2020) de Mobius Digital dont l’une des principales innovations est de proposer au joueur l’exploration d’un système solaire enfermé dans une boucle temporelle infinie, si bien que le recommencement incessant n’est plus un échec en soi, mais une mécanique de jeu inévitable pour co-construire le récit.

De manière générale, il convient aussi de souligner l’usage que font les œuvres des formes expérimentales lorsque l’insertion de celles-ci s’accomplit à l’intérieur de structures normatives classiques. Ainsi, le cognitive estrangement typique du genre peut se doubler d’un véritable estrangement formel (Huz, 2022) dans lequel l’effort de reconstruction de monde s’amplifie : qui voit la planche de bande dessinée abstraite, d’origine extraterrestre, qu’exhibe Massimo Mattioli dans Joe Galaxy & Cosmic Stories (1987, p. 82) s’attarde sur celle-ci sans pouvoir la décoder autrement que comme une expérience chromatique ; qui a vu 2001, l’Odyssée de l’espace (1968) de Stanley Kubrick, ne peut oublier le choc visuel provoqué par le voyage hypnotique de l’astronaute David Bowman au-delà de l’infini. L’apport des nouvelles images s’avère à cet égard crucial, générant de nouveaux codes visuels aussi bien que des perceptions graphiques neuves, comme dans Tron (1982) de Steven Lisberger. Il ne faudrait pas non plus négliger les relations qui se tissent avec des formes de musique expérimentale affichant leurs liens avec des imaginaires science-fictionnels. Que ce soit dans l’illustration, la bande dessinée, le cinéma, le jeu vidéo, l’art contemporain, la musique ou la littérature, la science-fiction semble toujours renouveler les expériences, se détachant des normes médiatiques établies. La question d’une expérimentation formelle de la science-fiction prend ainsi beaucoup plus de visibilité et chacun, à l’aune du média qui lui parlera le plus, pensera à des œuvres qui, d’une manière ou d’une autre, expérimentent sur le formel.

Dans ce numéro, il s’agira d’analyser les innovations formelles du genre qui ouvrent le champ des expériences esthétiques, sensorielles et émotionnelles, en résonance bien souvent avec le propos science-fictionnel du récit. Nous souhaitons proposer une exploration des liens qu’entretient la science-fiction avec la forme expérimentale, de la manière dont cette dernière intervient dans le genre et des particularités des expérimentations formelles de la science-fiction. À travers de multiples perspectives et des approches interdisciplinaires et intermédiatiques, il sera ainsi possible de suivre les pistes ouvertes par les axes de recherche suivants :

Modalités de l’expérience formelle, entre singularités et nouveaux modèles : les articles pourront traiter soit d’études de cas, pour faire ressortir des manières atypiques, novatrices, décalées, de donner corps à une expérience cognitive ou sensorielle, soit de formes récurrentes sous un angle plus panoramique, comparatif ou historique (par exemple, le recours à la polytextualité, à une narration anachronique, etc.).
Place de l’expérimentation dans la construction du « genre » science-fiction : quelle réception pour les œuvres jugées expérimentales ? Quelles figures pour cette expérimentation ? Quels discours sur l’importance d’une expérimentation, par opposition à une valorisation de formes traditionnelles (cas de la New Wave, de la New Thing, etc.) ?
Rapports entre expérimentation mainstream et création de science-fiction : adoptant une approche historique ou esthétique, les articles pourront évaluer dans quelle mesure les expérimentations formelles et narratives ont eu un impact sur l’écriture et la conception d’œuvres de science-fiction.
L’utilisation de l’hybridation médiatique dans l’expérimentation science-fictionnelle, son évolution à travers le temps et à travers des formes de plus en plus transmédiatiques.
La manière dont les procédés d’expérimentation formelle en SF traversent les frontières des supports et travaillent à une continuité générique transmédiatique ou, au contraire, se différencient selon les architextes médiatiques.
Les différentes échelles de l’expérimentation formelle mises en place par les artistes de science-fiction peuvent aussi être analysées à travers un corpus défini pour permettre de mieux comprendre la manière dont la défamiliarisation science-fictionnelle, ou le cognitive estrangement, se fond ou non avec les expérimentations sur la forme.

Bibliographie indicative

Achouche, Mehdi et Minne, Samuel, « La culture visuelle de la science-fiction, entre culture populaire et avant-garde », ReS Futurae, 5, 2015. URL : https://journals.openedition.org/resf/514 [consulté le 05/01/2024].

Boisset, Emmanuel, « Le style modal de la science-fiction », ReS Futurae, 2, 2013, URL : https://journals.openedition.org/resf/255 [consulté le 05/01/2014].

Boudou, Benjamin, « À l’épreuve de l’altérité radicale : une expérience de pensée », Le Philosophoire, 46.2, 2016, p. 199-220.

Descombes, Bastien, « De l’avantage (ou non) de définir la science-fiction (comme expérience de pensée) », ReS Futurae, 20, 2022. URL : https://journals.openedition.org/resf/11316 [consulté le 05/01/2024].

Falsetto, Mario, Stanley Kubrick: A Narrative and Stylistic Analysis, Westport : Greenwood Publishing Group, 2001.

Hottois, Gilbert, Philosophie et science-fiction, Paris :Vrin, 2000.

Huz, Aurélie, « Démêlés avec le novum : démontages et remontages de la notion dans une perspective culturelle intermédiatique », ReS Futurae, 20, 2022. URL : http://journals.openedition.org/resf/11338 [consulté le 12/03/2024].

Kawin, Bruce, « Time and Stasis in “La Jetée” », Film Quarterly, 36.1, 1982, p. 15-20.

Monk, Patricia, « The Shared Universe: An Experiment in Speculative Fiction », Journal of the Fantastic in the Arts, 2.4, 8, 1990, p. 7-46.

Noguez, Dominique, Éloge du cinéma expérimental, Paris : Paris Expérimental, 2010.

Ray, Jean-Charles et Laperrière, Simon, « Une constellation nommée Argo. L’errance dans la science-fiction vidéoludique », ReS Futurae, 12, 2018. URL : https://journals.openedition.org/resf/1949 [consulté le 16/04/2024].

Cerqui, Daniela et Müller, Barbara, « La Fusion de la chair et du métal : entre science-fiction et expérimentation scientifique », Sociologie et Sociétés, 2010. URL : https://www.erudit.org/en/journals/socsoc/1900-v1-n1-socsoc3977/045355ar/abstract/ [consulté le 30/05/2023].

Robert, Philippe, Musiques expérimentales. Une anthologie transversale d’enregistrements emblématiques, Marseille : Le Mot et le Reste, 2014 [2007].

Rumpala, Yannick, « Ce que la science-fiction pourrait apporter à la pensée politique », Raisons politiques, 40.4, 2010, p. 97-113.

Rumpala, Yannick, « Science Fiction, Reconfigured Social Theory and the Anthropocene Age: Exploring and Thinking about Planetary Futures through Fictional Imaginaries », Global Discourse, 11.1-2, 2021, p. 245-266.

Rumpala, Yannick, « Science-fiction, spéculations écologiques et éthique du futur », Revue française d’éthique appliquée, 2.2, 2016, p. 74-89.

Tierney-Tello, Mary Beth, Allegories of Transgression and Transformation: Experimental Fiction by Women Writing Under Dictatorship, New York : State University of New York Press, 1996.

Vandermeer, Jeff, « What’s the Craziest or Most Experimental Science Fiction or Fantasy Book You’ve Ever Read? », jeffvandermeer.com, avril 2011. URL : https://www.jeffvandermeer.com/2011/04/27/whats-the-craziest-or-most-experimental-science-fiction-or-fantasy-book-youve-ever-read/ [consulté le 18/03/2024].

Winston Dixon, Wheeler, « Experimental Cinema », in The Routledge Companion to Film History, New York : Routledge, 2011, p. 77-83.

Young, Paul, « Qu’est-ce que le “cinéma expérimental” ? », in Le Cinéma expérimental, Paul Duncan et Paul Young (éd.), Paris : Taschen, 2009.

Zola, Émile, Le Roman expérimental, Paris : Charpentier, 1880.