Acta fabula
ISSN 2115-8037

2023
Juin 2023 (volume 24, numéro 6)
titre article
Danielle Perrot-Corpet

Se parler pour se relier — ou comment sauver notre humanité à l’ère du clic ?

Speaking to link up  or how to save our humanity in the age of clicks?
Sur Gérald Garutti, Il faut voir comme on se parle. Manifeste pour les arts de la parole, Actes Sud/Centre des Arts de la Parole, Coll. « Manifestes », janvier 2023, 156 p. EAN 9782330174644

1Metteur en scène, dramaturge et écrivain, traducteur et enseignant, docteur en littérature comparée, Gérald Garutti professe d’un bout à l’autre de son parcours la passion pour le partage des cultures, la mise en commun des expériences, le passage et la transmission, la traversée des frontières — entre les territoires, les langues, les disciplines. Depuis quelques mois, il multiplie les interviews dans la presse écrite comme sur les ondes ou à la télévision, pour présenter son ouvrage Il faut voir comme on se parle. Manifeste pour les arts de la parole, paru en janvier chez Actes Sud, et annoncer l’ouverture du Centre des Arts de la Parole, implanté au Fort d’Aubervilliers et quartier général d’une association inédite au service des « sept arts de la parole », détaillés dans la dernière partie de son manifeste.

« Au-delà de cette limite l’Humanité n’est plus viable » (p. 114) : la réponse à un sentiment d’urgence

2Bannière, charte et profession de foi du Centre des Arts de la Parole, l’ouvrage de Gérald Garutti emprunte son titre à Alain Souchon, comme il s’en explique dans les « remerciements » qu’il adresse d’abord à l’auteur de « Foule sentimentale » à la fin de l’ouvrage : « si j’en change les paroles, de “il faut voir comme on nous parle” à Il faut voir comme on se parle, c’est qu’aujourd’hui, trente ans plus tard, ce qui a pour beaucoup disparu, c’est justement le “nous” — cela même qu’il nous faut (re)construire ensemble. » (p. 155).

3Le « manifeste pour les arts de la parole » se compose de trois parties qui poursuivent une même ligne directrice, chevillant la sauvegarde de notre commune humanité à la réparation des liens que seule la parole — mais une parole digne de ce nom — permet de créer et de maintenir entre les individus, autrement isolés : la première (« I- L’humanité en moins. La dégradation radicale de la parole ») fait le constat d’une altération jusqu’ici inédite. La deuxième (« II- Pour un humanisme de la parole ») affirme le principe au nom duquel se battre : la valeur absolue de la parole, fondement de notre humanité, et la troisième (« III- Elle est retrouvée. Quoi ? — L’humanité. La parole sublimée ») expose les actions réalisées en faveur de cet idéal : le déploiement de sept arts de la parole cultivés au sein du CAP.

« Les trois mousquetaires des temps modernes : Infox, Pathos, Clashos et Boxoffice » (p. 16)

4Gérald Garutti commence par un état des lieux : « Jamais l’Humanité n’a autant pris la parole. […] Tout le monde s’exprime. S’étale. Se lâche. Se fâche. Se casse. Partout, ça parle. Mais est-ce que ça s’écoute ? Est-ce que, pour autant, on se parle ? » (p. 13). Avec un certain plaisir de la formule, il détaille l’inflation verbale rendue possible par la démocratisation d’internet et l’expansion massive des réseaux sociaux : que chacun puisse désormais s’exprimer publiquement, c’est évidemment une chance, ou cela pourrait en être une ; mais en attendant : « De ce pouvoir extrême, quels usages faisons-nous ? De façon écrasante, de nos jours, l’énonciation dégénère en dénonciation. En stigmatisation. En ségrégation. En destruction » (p. 14). Dans l’espace public, la parole se trouve le plus souvent réduite à sa dimension utilitaire : celle d’un efficace instrument de domination, affuté par les techniques de la rhétorique, visant la puissance d’impact : toucher l’autre — qu’il s’agisse de le persuader d’agir selon ses propres fins, de l’entraîner, ou de le terrasser. Cette « parole-outil » ramenée à l’éloquence, elle-même conçue comme simple performance, ne cherche pas à parler en vue du bien, mais seulement à « bien parler ». Réduite à sa conception sophistique — son seul credo : on peut convaincre de tout ! —, elle n’est plus que « l’écume de la parole » (p. 25). L’auditoire devient terre de conquête : la « prise de parole en public » se révèle « prise de public en paroles. On y prend la parole comme on prend le pouvoir » (p. 24) au gré d’une stratégie militaire :

Intérêts, moyens, fins, ressources, cibles, résultats, conquêtes, coûts, gains, pertes, bénéfices, défaites, victoires – en la matière la guerre est l’économie poursuivie par d’autres moyens. Cette parole dégradée se monnaie sur un marché – elle vaut en tant que bien mis en circulation dans l’espace des échanges. Elle s’exerce dans l’arène – sert comme arme mobilisée sur le champ de bataille des interactions sociales (p. 25).

« Vox clamans in interneto » (p. 55) : la ruine du dialogue

5Dans ce vaste « tout-à-l’ego » (p. 78), « L’autre n’existe pas », pour reprendre le titre du 2e chapitre de la première partie : Gérald Garutti fait ici résonner dans toute leur inquiétante pertinence les mots-clés de la communication contemporaine :

Viraliser. Voilà — tout est dit. Pour un message, la consécration, c’est se transmettre comme un virus. […] Tel est le modèle de référence. Le virus. Insaisissable. Incontrôlable. Presque toujours dommageable. Parfois même mortel. Un élément qui se propage sans réfléchir, se multiplie sans fin, épuise ses ressources naturelles, dévaste ses hôtes et se répand partout pour étendre ses ravages (p. 29).

6Avoir un « impact » maximal, qui se mesure grâce aux « retours » des « users » — qu’une traduction plus fidèle de l’anglais devrait, plutôt qu’« utilisateurs », appeler les « accros », confortés dans l’illusion d’avoir droit de réponse : « le triomphe de l’interactivité, c’est le cache-misère de la ruine du dialogue » (p. 31). « Diffusez, il n’y a rien à recevoir — juste à balancer. […] — bien envoyé. On ne parle pas à l’autre, on parle vers lui » comme contre un mur (p. 31). Et les « éléments de langage » servent à rabâcher un message déjà prêt quelles que soient les questions posées. L’autre n’est plus que l’objet qu’on vise, la cible, qui vaut « par ce que j’en tire, lui confère, lui retire : statut, audience, reconnaissance, notoriété, influence, prestige. L’aura, l’argent, le rating. Une conception conquérante du rapport à l’autre. Guerrière et commerciale. Militaire et publicitaire » (p. 33).

7Comme l’autre est aboli en tant que sujet, rien ne limite la logique de l’expression à tout prix, nourrissant la culture de l’humiliation sur les réseaux sociaux — bashings, phrases assassines « juste pour rire », coups de buzz, battles et clashs « où seul compte l’émetteur — où seul existe celui qui balance le plus vite et qui cogne le plus fort » (p. 37). Dans le même temps, la nécessité de capter l’attention réduit le débat public à une dramaturgie caricaturale, toute information devant être présentée « sous forme d’intrigue où s’affrontent des archétypes » — les « sept clichés capitaux — victime, salaud, complice, héros, procureur, témoin » (p. 37-38) auxquels sont invariablement ramenés les acteurs de la vie médiatique française, du fait divers aux « affaires », et la démonstration de Garutti, définissant chacun de ces emplois, exemples à l’appui, est ici drôle et convaincante.

8Si l’autre est aboli, le sujet est absent à soi-même, expose le 3e chapitre, sous-titré « Bienvenue à Zombieland ». Chaos des données, accélération, injonction à la réponse immédiate, saturation, interruption systématique, distraction obligatoire, multiplication des options… En « cet âge spectral où pullulent les regards vitreux, les alias désincarnés et les abonnés absents » (p. 53), les « écrans » séparent les êtres les uns des autres au moins autant qu’ils donnent virtuellement accès à l’infinité du monde : « vox clamans in interneto » (p. 55) s’amuse le polémiste, qui souligne cependant ce que peut produire de terrifiant cet isolement généralisé du « chacun pour soi — chacun chez soi » des réseaux sociaux,

où chacun tourne en rond dans sa bulle cognitive. Enfermé dans son silo. Braqué derrière son écran. Retranché dans son bunker. Où chacun se retrouve gavé du même — au point de voir, en tout autre qui n’est pas lui-même, au mieux un zozo ridicule, par défaut un étranger radical, au pire un ennemi total (p. 57).

L’appel à refonder « un humanisme de la parole » : éléments d’un personnalisme laïque

Fondement dialogique de la personne : la parole ou notre humanité

9Contre la parole atomisée, évidée de son sens, Gérald Garutti appelle à refonder rien de moins qu’une « philosophie de la parole » (p. 27) : parce que la parole « est un fait humain total. L’expression d’une existence singulière. Elle fait résonner toute notre personne. Elle vibre en l’autre tout entier. Mutiler la parole, c’est tronquer l’Humanité » (ibid.). Si la deuxième partie de l’ouvrage, adoptant une forme plus spéculative, détaille les principes et critères définitionnels d’une parole restaurée, « l’humanisme de la parole » que défend l’auteur est affirmé dès les premières pages, pour bien marquer le contraste avec l’état de dégradation qu’il dénonce.

10On peut être gêné par une certaine propension à l’abus de termes usés de la tradition philosophique — « substance », « quintessence », « sublimer » — employés comme des superlatifs plutôt que dans leur acception notionnelle, qui du reste serait en contradiction avec le propos. Pour autant, me semble-t-il, ces réserves n’empêchent pas de reconnaître un intérêt au propos lui-même. En l’occurrence, la conception de la parole qui se dessine ici, inséparable du primat donné au respect de la personne humaine comme source et finalité de la communauté telle qu’elle devrait être, s’inscrit dans le sillage de philosophies de l’existence qui, de Buber à Levinas et Ricœur en passant par Mounier ou Merleau-Ponty, donnent une place fondatrice de la personne à l’intersubjectivité, éprouvée dans la rencontre avec l’autre, dans la présence de la parole adressée et reçue, dans le dialogue. Soucieux d’être accessible à tout lecteur de bonne volonté, le manifeste prend ses références, très éclectiques, dans la culture générale la plus canonique (de Platon à Kant et Hegel, de Sophocle à Artaud en passant par Molière et Shakespeare, d’Homère à Baudelaire et Rimbaud) ainsi que dans la pop culture (Matrix, Sergio Leone, Dalida…) ou dans l’actualité (tel discours d’Emmanuel Macron, tel propos d’un expert du Covid…) et inscrit son propos philosophique dans la tradition spirituelle la plus œcuménique, ce qui n’empêche pas les accents personnalistes d’y être marqués :

La parole exige l’écoute. Elle est un art de l’autre. Elle conçoit l’altérité comme fondamentale. Comme fondatrice de l’humanité. Être, c’est être au monde, et donc être avec les autres. […] Voilà pourquoi, ainsi entendue, juste et sensée, la parole est le cœur d’un humanisme. En un cercle vertueux, elle présuppose et induit une relation responsable, fondée sur cette maxime morale cardinale, de la Bible à Kant — cette règle d’or partagée du zoroastrisme au confucianisme, du taoïsme aux monothéismes : ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu’on te fasse. […] Prise en ce sens, la parole implique une éthique de réciprocité : je t’écoute, tu me parles, tu m’écoutes, je te réponds. Nous nous parlons, donc nous sommes. […] Écouter, c’est ouvrir un espace à l’autre. […]. Lui donner une existence en moi – en tant qu’autre moi-même. Le prendre en compte — au lieu de le compter pour rien (p. 47-48).

11Mais si les références théologiques sont présentes (la Torah et le Talmud sont cités, ainsi que l’Évangile et saint Augustin), l’horizon de cette conception personnaliste est rien moins que spiritualiste, tant l’appel à (re)faire communauté s’adresse par-dessus tout, ici et maintenant, aux individus — aux personnes — qui peuplent la République française1.

L’esprit de complexité, source vive de la parole rendue à sa force éthique

12« Pour faire société, il faut tenir parole. S’affirmer être de parole » (p. 77) : contre l’obsession de la « prise de parole », de la proclamation tous azimuts, l’exigence éthique d’une parole donnée et tenue, qui m’engage vis-à-vis de l’autre, est en effet au principe d’une entreprise dont l’ambition est de sauver d’un même mouvement l’humanité et la culture du débat démocratique — en particulier en France.

13Ici encore, le discours peut faire sourire par une indéniable grandiloquence : « porter la parole au sens fort » (c’est le titre du chapitre ouvrant la partie centrale « Pour un humanisme de la parole »), c’est lui reconnaître « une structuration en vue de sa finalité principielle : réaliser à tous égards l’humanité » (p. 71) :

Cette parole, j’appelle à la déployer dans toutes ses dimensions — anthropologique et philosophique, esthétique et poétique, éthique et politique. 

Dimension anthropologique : je prône la parole comme fondement de notre humanité. Comme art du sens. Pour conférer aux idées leur forme. Pour redonner aux mots leur poids. Leur substance. Leur portée (p. 72).

14Néanmoins, l’articulation posée ici entre dimension esthétique (la parole comme acte de création, « manifestation originale d’un sujet vivant, où résonne toute sa personne » (p. 73), par nature singulière, polysémique, complexe) et dimension éthique (la parole comme « art de l’écoute. Effort de disponibilité et puissance d’attention. […] Déprise de soi et reconnaissance d’autrui. Comme art de l’adresse », p. 73) me paraît digne d’attention. Ainsi, suivant Garutti, c’est parce qu’elle met en œuvre « l’esprit de complexité » — selon la formule de Kundera, reprise dans l’ouvrage2 — inséparable de la forme artistique que la parole est capable de relier les individus par-delà leurs différends :

Dimension politique : je promeus la parole comme dynamique collective. Comme art de changer nos représentations et de partager nos conceptions — y compris celles que nous ne partageons pas. Comme art d’agir sur le monde et de transformer la réalité. […] De formuler les tensions, d’acter les différends, d’exposer les conflits — pour mieux les surmonter. À même de fournir à notre société éclatée un récit commun. De dire ce qui nous relie – mieux encore que ce qui nous oppose (p. 74).

15Cette articulation entre philosophie éthique et pratique artistique est au cœur du second chapitre de cette partie : « Sublimer la parole » (c’est son titre), c’est par-dessus tout tenir parole : « Se sentir lié par son propos. Estimer que les mots comptent. Que la parole engage. […] c’est considérer que la parole nous tient — tout autant que nous la tenons » (p. 75). Semblant défier l’accusation de donquichottisme (à vrai dire assez tentante par moments), Garutti invoque comme modèle éthique la féodale « vertu du chevalier […], la fides, clé de voûte de la relation, condition du pacte (fœdus) noué avec l’autre » (p. 76-77). Cependant, loin de la cosmologie théocentrique qui fonde la fides médiévale et, plus largement, loin de toute adhésion domatique, la parole ici définie doit sa valeur éthique à des qualités de justesse qui touchent sa dimension proprement artistique d’acte singulier, incarné et vivant. Justesse éthique et justesse artistique se soutiennent en fait l’une l’autre : « je les conçois comme deux modalités distinctes de la parole : la parole comme relation juste — relation à soi-même et relation à l’autre ; et la parole comme action juste — dans sa conception et dans sa réalisation » (p. 80-81).

16Au risque d’attirer à mon tour la raillerie pour cause de donquichottisme critique, je voudrais faire remarquer que cet « humanisme de la parole » que promeut Gérald Garutti se prête assez bien à une lecture ricœurienne : je pense aux conceptions éthiques élaborées par l’auteur de Soi-même comme un autre, dans le sillage de Levinas, au sujet de l’ipséité et de son accomplissement dans l’identité narrative. Ricœur écrit ainsi, au sujet de ces « deux pôles de l’identité3», ces deux modalité de la permanence dans le temps que sont ipse (ou identité du « soi-même », réponse à la question « Qui suis-je ? ») et idem (ou identité au sens de la « mêmeté », réponse à la question « Que suis-je4 ? »):

[Le pôle de l’identité du même est] symbolisé par le phénomène du caractère, par quoi la personne se rend identifiable et réidentifiable. Quant au deuxième pôle, c’est par la notion, essentiellement éthique, du maintien de soi qu’il nous a paru représenté. Le maintien de soi, c’est pour la personne la manière telle de se comporter qu’autrui peut compter sur elle. Parce que quelqu’un compte sur moi, je suis comptable de mes actions devant un autre. Le terme de responsabilité réunit les deux significations : compter sur…, être comptable de… Elle les réunit, en y ajoutant l’idée d’une réponse à la question : « Où es-tu ? », posée par l’autre qui me requiert. Cette réponse est : « Me voici ! » Réponse qui dit le maintien de soi5 (Ricœur [1990], 1996, p. 195).

17On peut défendre l’idée, me semble-t-il, que le lien entre éthique et esthétique se trouve noué de manière comparable, de Ricœur à Garutti, même s’il est formulé différemment puisque Ricœur, en lecteur, pense le sujet éthique en lien avec le récit écrit, là où Garutti, en dramaturge, le lie à la parole proférée, en référence à la performance théâtrale. Mais dans les deux cas, c’est la complexité et l’ouverture sémantique infinie de la pratique artistique et, en particulier, de la littérature, qui nourrit la responsabilité éthique.

18Ricœur insiste en effet sur l’importance de la littérature comme « vaste laboratoire où sont essayés des estimations, des jugements d’approbation et de condamnation par quoi la narrativité sert de propédeutique à l’éthique6» (Ricœur [1990], 1996, p. 139). Ce « vaste laboratoire » peut faire penser à la définition que, dans les mêmes années7, Kundera donne du roman : « Roman. La grande forme de la prose où l’auteur, à travers des ego expérimentaux (personnages), examine jusqu’au bout quelques thèmes de l’existence8. » (Kundera 1986, p. 175). Le rapprochement entre la « sagesse de l’incertitude » propre à l’art du roman selon Kundera et l’herméneutique ricœurienne a du reste été proposé et solidement étayé par le philosophe Jean Greisch, dont je citerai simplement cette proposition :

Même si chacun mène son combat sur un champ de bataille différent, le romancier et le philosophe ont un adversaire commun : les « termites de la réduction9 » (Kundera, 1986, p. 28-29), incapables d’affronter la complexité du réel. « L’esprit de complexité », dont l’article de foi fondamental est : « Les choses sont plus compliquées que tu ne le penses » (Kundera, 1986, p. 34) : voilà ce qui pourrait bien constituer le commun dénominateur entre la sagesse de l’incertitude du romancier et la sagesse herméneutique de l’incertitude du philosophe10 (Greisch 2013, p. 480).

19Chez le philosophe comme chez le romancier, l’esprit de complexité inhérent au travail de l’interprétation est l’aliment d’une enquête qui lie indissolublement la reconnaissance de soi-même à l’identification avec l’autre (la reconnaissance de soi-même comme un autre), dans un dialogue toujours poursuivi, corrigé, repris, figuré et refiguré, constitutif de la personne même11. Un tel travail demande du temps, de l’attention, l’effort de surmonter « notre désir, inné et indomptable, de juger avant de comprendre12 » (Kundera 1986, p. 17), mais aussi, pour revenir à Gérald Garutti s’attaquant à notre bruissante ère numérique, le courage de nous arracher à cet état littéralement infantile (l’état de l’infans : étymologiquement, le « sans parler ») où nous sommes collectivement retombés :

Le règne des pulsions, l’incapacité à tolérer la frustration, l’impatience envers autrui, les actions inconséquentes, les accès de colère. Dépasser le stade adolescent de celui qui se pose en s’opposant – à grands coups d’éclats et d’éclairs de rage. Accéder à l’âge adulte, à la maîtrise de nous-mêmes. La puérilité – celle des criailleries, des chamailleries, des fâcheries, des furies, des lynchages – voilà ce qu’il nous faut surmonter. […] Il nous faut apprendre à nous canaliser pour pouvoir vivre ensemble. À nous dépasser pour parvenir à nous entendre. À nous parler plutôt que nous entretuer (p. 67-68).

20La dimension pédagogique de l’entreprise imaginée par Garutti — « la parole, ça s’apprend » (p. 66) — apparaît clairement : achevant son exposé théorique en se demandant comment mettre en œuvre et réaliser l’accomplissement de la « parole juste  — la parole bonne » (p. 85) dont il vient de détailler les vingt-sept conditions de possibilité —, il répond par cette proposition, qui appelle la troisième partie de son livre et la présentation du Centre des Arts de la Parole (CAP) : mettre en pratique ces principes éthiques et philosophiques « en cultivant la parole comme l’art des arts » (p. 86).

Le Centre des Arts de la Parole : prendre le temps d’articuler nos différends pour construire un espace commun

Pour « construire une alliance au-delà des factions » (p. 103) disciplinaires : penser « les sept piliers de la parole » (p. 96) comme un tout organique

21Contre la réduction massive et déshumanisante de « l’art de la parole » à l’éloquence, elle-même réduite à une performance mesurable en termes d’impact sur l’auditoire pensé comme une cible, Gérald Garutti souligne la diversité et la complémentarité des arts de la parole, conçus de manière originale comme autant de modalités spécifiques de déploiement et d’accomplissement de ce « fait humain total » (p. 27) qu’est la parole rendue à sa dignité, dans sa vocation à « sublimer, canaliser, transcender, dépasser la violence » (p. 96). Par-delà les frontières entre champs académiques, rejetant les hiérarchies usuelles et les oppositions entre finalités esthétique, technique, éthique, sociale et politique (« je considère que dans la notion même d’“arts de la parole” ici redéfinis, la finalité esthétique se conjugue à l’utilité concrète, sociale, politique » (p. 92), Garutti réunit sept arts de la parole comme autant de remèdes efficaces, « comme autant de solutions à un même problème » (p. 96) — salvateurs, précise-t-il, dès lors qu’on choisit de les mettre au service de notre construction collective, de notre commune humanité, et non d’une soif de domination ou de destruction :

Sur ces bases, je définis comme les sept arts de la parole les arts suivants : le théâtre, le récit, la poésie, l’éloquence, la conférence, le dialogue et le débat. J’inscris donc les arts de la parole à la croisée des champs artistique, intellectuel et citoyen. […]

Je les considère selon trois modalités de la performance :

- la création : la littérature en acte. Le théâtre, le récit, la poésie ;

la transmission : le verbe en situation. L’éloquence, la conférence ;

- l’interaction : la pensée en échanges. Le dialogue, le débat.

[…] Bien évidemment, chaque art intègre de façon spécifique la totalité de ces trois dimensions — artistique, intellectuelle, citoyenne. Et chacun embrasse à sa manière l’ensemble de ces trois modalités — création, transmission, interaction. Il n’en demeure pas moins qu’en fonction des valences respectives, selon les arts, des prévalences s’imposent et les équilibres diffèrent (p. 97-98).

22Si la tripartition des arts de la création rappelle des classifications canoniques, l’auteur précise qu’il ne souscrit pour sa part à aucune hiérarchie et conçoit les trois genres hégémoniques de notre modernité — théâtre, roman, poésie — du point de vue des arts de la parole, c’est-à-dire « “portés à la scène”, transposés au plan d’arts vivants — spécifiquement conçus en tant que littérature en performance : le théâtre tel qu’on le joue, le récit tel qu’on le raconte, la poésie telle qu’on la dit » (p. 107), chaque catégorie générique étant naturellement perméable à toutes les interpénétrations, hybridations et métissages (« théâtre-récit, épopée théâtrale, récit poétique, poésie théâtralisée… », id.). Il démarque également son « septuor moderne » (p. 102) des sept arts libéraux traditionnels qui étudiaient le pouvoir de la langue (trivium) et le pouvoir des nombres (quadrivium) :

À l’instar des arts libéraux, où prédomine l’intelligence, les arts de la parole explorent les relations  – ils formulent des liens. Mais si les premiers comprennent aussi des arts de la nature (telle l’astronomie), les seconds portent tous sur l’être humain – dans son rapport à soi, à l’autre, au monde. Les arts de la parole sont, par essence, des arts de l’humanité – des arts libérateurs (p. 111).

23On peut, certes, rester sceptique devant cette systématisation qu’on jugera naïve et simplificatrice, usant de notions dont les définitions hésitent entre la tautologie et la pétition de principe, tandis que le postulat organiciste dont elle procède est à maints égards problématique. Mais on peut également être sensible, par les temps qui courent, à l’efficacité heuristique que peut receler l’intégration, au sein de ce « septuor », du dialogue (art de « la parole échangée », croisant les points de vue « sans vouloir se vaincre ou se convaincre », p. 100) et du débat (art de « la parole confrontée », opposant les points de vue dans le but de faire prévaloir le sien, id.), tandis que l’éloquence (ou « parole performante », art de bien parler, p. 99) se trouve ramenée à sa juste place, distincte de la conférence (ou « parole informante » (id.), art de partager un savoir) : celle d’un art de la parole parmi les autres. Considérer le dialogue et le débat comme des arts au même titre que la poésie ou le théâtre « signe une prise de position », insiste Garutti :

Elle vient marquer par contrecoup la déchéance radicale que connaissent à l’heure actuelle ces deux « formats », le dialogue et le débat, dans la foire d’empoigne multimédia où l’on confond le dialogue avec le débat, le débat avec le combat, le combat avec le pugilat, et le pugilat avec la destruction de l’autre (p. 105).

Poser le dialogue et le débat comme des arts, et comme des arts distincts, c’est tenter de sauver l’un et l’autre du « diabi-boulbat » (p. 105) ambiant :

C’est dire que le débat et le dialogue relèvent tous deux de principes, de valeurs, de méthodes, de savoirs, aujourd’hui […] balayés. Qu’à leur meilleur, ils obéissent à des règles de l’art, lesquelles favorisent la valeur de l’échange, l’authenticité de la rencontre, le dépassement de la violence, le refus du rejet, la canalisation des antagonismes, la confrontation des points de vue, l’écoute des positions respectives, la non-réduction de la différence à l’étrangeté, à l’hostilité, à l’absurdité, à l’inacceptable. Bref, élever au rang d’arts le dialogue et le débat, c’est dire tout l’abîme qui nous reste encore à gravir pour nous hausser à la hauteur de nous-mêmes (p. 105-106).

24En fait, on pourrait même considérer l’édifice conceptuel du « septuor moderne » imaginé par Gérald Garutti comme un schème opératoire de cet esprit de complexité indispensable au processus de constitution dialogique de la personne (dans les termes de Ricœur) — ou du sujet pleinement humain (dans les termes de Garutti lecteur de Kundera). Ici encore, la création artistique (incarnée dans le théâtre, le récit, la poésie) offre à l’intelligence en quête de (re)connaissance de soi un vaste laboratoire d’expérimentations éthiques, à même de nourrir les délibérations du sujet (délibérations et décisions qui trouvent leur lieu d’expression dans l’espace de la parole transmise, échangée ou confrontée : dans la conférence, le dialogue, le débat). L’articulation maintenue entre les sept arts de la parole — conçu chacun comme une certaine modalité de la parole qu’on peut retrouver au principe de diverses pratiques s’exerçant dans divers champs d’activité et susceptibles, pour leur part, de combiner plusieurs de ces modalités — est le gage de la valeur artistique, de l’exigence éthique et de l’efficacité sociale et politique de cet édifice nécessairement complexe. L’articulation, rappelle Garutti, est d’ailleurs inscrite étymologiquement dans la notion d’art :

[L’art] fait le joint entre le sujet, le projet et l’objet, entre l’imaginaire et le réel – sa racine même, ars, renvoie à cette dimension d’articulation13. Pour atteindre son plus haut degré d’expression, il requiert la connaissance, la maîtrise, le talent, l’habileté, le travail, l’incorporation des savoirs, l’évidence du geste, la patine du temps, la sédimentation de la pratique, l’expérimentation des possibles, la traversée des erreurs, la quête de perfection, l’humilité des recommencements (p. 91).

25En appeler au modèle de la pratique artistique pour évaluer la pratique de la parole, c’est placer au premier rang des priorités l’acceptation d’un nécessaire apprentissage, d’un long effort poursuivi tout au long de la patiente traversée qui mène de la découverte jusqu’à la maîtrise de compétences : en l’occurrence, Gérald Garutti plaide pour que soit repensée « l’éducation artistique en l’élargissant à l’ensemble des sept arts de la parole, de façon extensive, organique et holistique — à la mesure de l’enjeu. […] Pour transmettre à tout un chacun les moyens de la parole au meilleur d’elle-même » (p. 112-113) ; comme il appelle à promouvoir d’urgence les arts de la parole en donnant à tout un chacun l’occasion de voir ou écouter des pièces de théâtre, des récitals de poésie, des concerts de rap, mais aussi de « suivre une conférence, assister à un dialogue, écouter un débat — dès lors que tous trois sont dignes de ce nom et relèvent de l’art. Tant il est vrai qu’on apprend aussi par l’exemple » (p. 113). C’est, affirme-t-il, dans ce but — « passer à l’action » (p. 119) — qu’il crée le Centre des Arts de la Parole, inauguré ce printemps 2023 au Fort d’Aubervilliers, et dont la dernière section de l’ouvrage présente les axes directeurs, tels qu’on les retrouve exposés sur le site internet du CAP14.

« Apaiser la Cité » (p. 122) : horizon utopique d’une « mission de salut public » (p. 133)

26La mission du CAP est proclamée en termes clairs : « se parler pour se relier — se parler plutôt que s’entretuer » (p. 119). L’alternance du « je » et du « nous » qui rythme l’ensemble du manifeste s’éclaire dans cette dernière section, où Gérald Garutti évoque le Conseil de 21 personnalités dont il s’est entouré15 et, par-delà ce premier cercle de collaborateurs, l’ensemble des bonnes volontés :

Nous sommes des artistes et des philosophes. Des romancières et des orateurs. Des dramaturges et des essayistes. Des metteuses en scène et des slameurs. Des musiciennes et des comédiens. Des poètes et des compositeurs. Des rappeurs et des conférencières. Des comédiennes et des conteurs. Des humoristes et des chanteuses. Des éditrices et des directeurs d’acteurs. À nous toutes et tous, nous réunissons les sept arts de la parole. Ensemble, nous portons la parole au sens fort. […] De fait, si elle est portée par une vision singulière, cette aventure n’a de sens que collective. Raison pour laquelle le je s’articule au nous. Ce manifeste ne vaut pas comme parole isolée. Encore moins comme parole confisquée. Il vaut pour toute personne. Pour accomplir cet humanisme de la parole (p. 132-133)

27Ces affirmations, comme le pastiche rimbaldien qui donne son titre à la troisième partie (« Elle est retrouvée. Quoi ? — L’humanité. La parole sublimée ») laissent affleurer le fougueux utopisme qui irrigue l’entreprise de Gérald Garutti. L’horizon utopique est du reste assumé d’un bout à l’autre de ce manifeste : la visée – qu’on peut difficilement ne pas qualifier d’irénique et idéaliste — est de promouvoir une parole « à même de fournir à notre société éclatée un récit commun. […] De bâtir des ponts là où l’on érige des murs. D’apaiser la Cité. De réconcilier la société » (p. 74). L’auteur, s’il se pose en démiurge et, mine de rien, en sauveur de l’humanité, se défend néanmoins de toute naïveté, comme de tout esprit de capitulation :

Vouloir l’apaisement, œuvrer à la réconciliation, ce n’est nullement refuser le combat là où il s’impose – là où il n’y a pas le choix. […] Si la diplomatie est elle aussi un art, d’ailleurs fondé sur le dialogue, elle a toujours pour horizon possible la guerre lors même qu’elle poursuit ardemment la paix (p. 116).

28Pour autant, la nature des conflits qui imposent le combat n’est précisée nulle part. C’est que le point de fuite de cet « objectif absolu — porter la parole pleine et entière » (p. 102) demeure bel et bien la résolution de toutes les oppositions, l’apaisement de toutes les tensions, dans un espace qui parvienne à articuler, non seulement les arts et les dimensions de la parole, mais toutes les attentes de tous les publics (« Offrir l’excellence à tous. À conjuguer exigence et intelligibilité. Accessibilité et dépassement » p. 121), toutes les questions, toutes les langues (« Si nous dotons le Centre des Arts de la Parole d’un ancrage francophone, nous le projetons comme un espace cosmopolite et multilingue. […] Un carrefour des langues, qui auraient enfin droit de cité », p. 123), et même tous les lieux (« Un espace d’où rayonner. […] présent sur tous les territoires. D’où partir à la rencontre de tous les mondes », p. 121).

29On ne peut se défendre d’une certaine circonspection devant cette ambition qui, à suivre certaines formules, tend à faire du Centre des Arts de la Parole récemment ouvert à Aubervilliers un avatar de la divine « sphère infinie dont le centre est partout, la circonférence nulle part » dont parlait Pascal, et laisse suspecter son fondateur d’un brin de mégalomanie. En attendant, le cadre d’intelligibilité qui donne sens à son entreprise est concret — et brûlant : il s’agit de rien de moins que de ranimer la bienveillance nécessaire au dialogue dans les conflits qui déchirent la collectivité nationale de la République française :

Nous affirmons la verticalité des principes qui fondent notre nation : la langue comme fondement, la République comme socle, la culture comme âme, la liberté comme esprit, l’esprit critique comme condition, la laïcité comme axe, l’émancipation comme projet, le vivre-ensemble comme cap, le débat démocratique comme impératif, la communauté de destin comme œuvre collective (p. 129).

30On est en droit de douter que l’universalisme républicain qui s’exprime ici, quelles que soient la bonne volonté et les convictions progressistes qui l’animent manifestement, soit susceptible d’être entendu au-delà des rangs de celles et ceux qui s’y reconnaissent, alors même qu’on sait à quel point cet universalisme est précisément en crise dans la France actuelle. « Pour que la République soit non pas lettre morte mais langue vivante — parole juste, parole tenue, parole en actes » (p. 120) risque quelque peu d’énoncer un vœu pieux, tandis que la multiplicité des manifestations et réalisations annoncées — créations de spectacles vivants, conférences, formations pédagogiques (dans le cadre scolaire mais aussi à destination d’une très solvable clientèle d’entreprises privées), publications…, à Aubervilliers mais aussi en régions, en France mais aussi à l’échelle internationale16… — laisse craindre que l’ambition démesurée à l’origine du Centre des Arts de la Parole ait raison de ses possibilités effectives d’action, et ne se dégonfle en simples effets de communication. À l’inverse, peut-être, de la libertaire association La Parole Errante, fondée elle aussi en Seine-Saint-Denis par un autre dramaturge et écrivain, Armand Gatti, en 1986, et qui survit encore aujourd’hui malgré la disparition de son fondateur en 2017, poursuivant sa mission de création culturelle et sociale, accueillant et organisant de nombreux événements dans ses locaux de Montreuil.

31Cela dit, rien n’interdit de souhaiter l’avenir le plus radieux au Centre des Arts de la Parole, tant l’appel final du manifeste de Garutti à « rassembler toutes les bonnes volontés qui veulent en finir avec la dégradation de la parole » (p. 133) inspire l’envie qu’il soit entendu.

« Suivre sa pente, pourvu que ce soit en montant » : pour une discipline personnelle dans le débat universitaire…

32En particulier, le CAP annonce pour cet automne un festival « Pour une écologie de la parole », dont le titre est emprunté à Marielle Macé17 et qui se propose d’examiner pendant quatre jours « ce que signifie une parole qui n’est pas toxique18 ». On ne peut que rêver au plein succès d’un tel événement, à l’émulation qu’il pourrait susciter peut-être auprès des « professionnels de la parole » (comme dirait Gérald Garutti) que nous sommes en tant qu’universitaires, compétence qui ne nous empêche pas d’oublier par moments de laisser l’éloquence à sa juste place. Détaillant les étapes du long apprentissage des sept arts de la parole qu’il propose à ses concitoyens de suivre grâce au CAP, il donne cette consigne :

C’est, en contexte de dialogue ou de débat, s’efforcer de respecter les règles de l’art sans céder à la pente fatale du pilonnage. S’assigner au contraire la discipline personnelle de « suivre sa pente, pourvu que ce soit en montant » — dixit André Gide (p. 113-114).

33On peut sourire de certaines formules de Garutti (qui intitule par exemple l’exposé de ce parcours pédagogique « un heptathlon pour gagner notre humanité », p. 112) comme on peut s’agacer de son aplomb ou contester l’ensemble de son entreprise, mais il ne fait aucun doute que le constat qu’il dresse (il n’est pas le seul) est juste, et qu’en l’occurrence, la dégradation de la parole dans la sphère du débat universitaire en France est de plus en plus difficile à supporter, alors même que le dialogue entre enseignants et étudiants devient un enjeu parfois épineux, face auquel les solutions toutes faites ne fonctionnent plus : chacun aura certainement en tête plusieurs exemples, sur lesquels il serait contre-productif de revenir…

34L’appel de Gérald Garutti à respecter les règles de l’art me semble ainsi devoir s’adresser par-dessus tout à notre communauté académique  — et peut-être, en particulier, pour qu’un espace d’information et d’échange aussi précieux que Fabula demeure pour chacune et chacun de nous ce qu’il a été depuis sa création il y a vingt-cinq ans : un espace préservé, où se cultive l’écologie de la parole, où l’on se garde de confondre le débat avec l’éloquence-performance de la diatribe ; où l’on se fait le devoir de maintenir, aux côtés de la controverse sur les idées, les conditions du dialogue : dans une parole adressée à l’autre — respecté comme interlocuteur, comme interlocutrice —, et non pas une parole dressée en vue de son exécution publique.