Acta fabula
ISSN 2115-8037

2023
Novembre 2023 (volume 24, numéro 10)
titre article
Florence Marsal

Keu, Gauvain et Arthur : un trio mythologique indo-européen

Joël-Henri Grisward, L’Épée jetée au lac. Romans de la Table Ronde et légendes sur les Nartes, Paris : Honoré Champion, 2022, 191 p., EAN 9782745358080.

1Dans L’Épée jetée au lac. Romans de la Table Ronde et légendes sur les Nartes, Joël-Henri Grisward rassemble ses recherches passées sur le rapprochement entre textes médiévaux de littérature arthurienne et mythes d’origine indo-européenne, en particulier les légendes nartes. Ces très anciens récits épiques sont transmis de nos jours chez les Ossètes, un peuple d’origine scythique des montagnes du Caucase, qui parle une langue indo-européenne. Le titre du présent ouvrage reprend celui du premier article de Joël-Henri Grisward établissant ce rapprochement1. D’autres personnages et motifs arthuriens étudiés dans ses articles passés, tels Gauvain et le jeu des décapités, Uter Pendragon et Arthur, ou le cortège du Graal rejoignent l’argumentation. Le fondement théorique est comparatiste et structuraliste, et s’appuie sur les méthodes de mythologie comparée et les analyses des fonctions tripartites indo-européennes de George Dumézil2. Dumézil, linguiste et historien, a en effet longuement analysé ce qu’il propose comme une idéologie indo-européenne très ancienne, à travers trois catégories sociales fondamentales : la classe des dirigeants, associés à des pratiques et connaissances du sacré ; la classe des guerriers ; et la classe nourricière et productrice de richesse. En 1981, Joël-Henri Grisward a publié un essai sur un cycle de chansons de geste du début du xiiie siècle, le cycle des Narbonnais, qu’il analyse à travers le prisme de ces trois fonctions indo-européennes3. Cette publication avait fait réagir les médiévistes : certains ont été convaincus par un argument de plus en faveur de l’existence d’un prototype mythologique indo-européen commun. D’autres restent persuadés de l’origine avant tout historique, et non mythologique, des personnages et motifs des chansons de geste ; de plus, la question de la transmission de récits à travers des territoires géographiques aussi éloignés est problématique. Dans le journal de la Société Rencesvals, qui réunit des chercheurs spécialisés dans l’étude des épopées romanes, Donald Maddox avait par exemple consacré un article à cet essai sur le cycle des Narbonnais, et développé de nombreux contre-arguments aux hypothèses et analyses de « l’archéologie » littéraire de Joël-Henri Grisward4.

2Le présent ouvrage, L’Épée jetée au lac, garde de ces critiques passées un style tour à tour polémique et enthousiaste, pour présenter le résultat d’une « archéologie » supplémentaire, et réaffirmer cette fois le lien entre la légende arthurienne et ce mythe fondateur indo-européen qu’il défend ardemment.

Présentation générale

3L’organisation de cet essai est centrée sur l’étude de trois personnages de la légende arthurienne : Keu, le sénéchal du roi Arthur ; Gauvain, le neveu d’Arthur ; et le roi Arthur lui-même. À partir d’un vaste corpus de textes médiévaux gallois, français, allemands et anglais, les traits de ces personnages, ainsi que leurs relations entre eux, sont sélectionnés et étudiés précisément pour démontrer les similarités avec leurs homologues indo-européens, les Nartes en particulier. Parmi les héros nartes, Joël-Henri Grisward se concentre sur le trio Syrdon, Soslan (aussi appelé Sosryko), et Batradz, avec lesquels il compare Keu, Gauvain et Arthur. Dans cet ordre, les trois premiers chapitres explorent en détails chacun de ces personnages arthuriens, et ce qui les relie à leur homologue narte, ainsi qu’à d’autres personnages de la mythologie indienne, scandinave, celte ou latine. Le quatrième et dernier chapitre articule les conséquences de ces rapprochements entre personnages de diverses mythologies pour la compréhension de la légende arthurienne. Joël-Henri Grisward conclut sur le « postulat d’un héritage commun », d’une « littérature indo-européenne » (p. 168), réaffirmant ainsi que les origines du monde arthurien sont dans les contes et non dans l’Histoire.

Keu

4Le titre du premier chapitre, « Keu premier ou le feu dans l’eau », présente deux singularités du sénéchal, mais ce ne sont pas les seules analysées ici. Dès le départ, Joël-Henri Grisward propose de relever les traits de caractère de Keu considérés jusque-là comme étant sans grande importance, mais qui selon lui indiquent l’ancienneté de ses origines mythiques. Outre sa brutalité et son sarcasme, Keu possède aussi des dons merveilleux (retenir son souffle sous l’eau pendant plusieurs jours, ou garder au sec ce qu’il tient dans sa main), et s’apparente aux dieux initiaux des Indo-européens, tel le dieu romain Janus, en se portant toujours le premier à l’action. Il est en effet le compagnon initial d’Arthur, le premier à parler ou à réagir, enfin celui qui déclenche les aventures. En tant qu’officier à la cour, il préside les repas, qui ne peuvent justement commencer, selon la coutume, qu’après le départ d’une aventure. En comparant Keu avec ses homologues, Joël-Henri Grisward offre des explications plus profondes au caractère de Keu, qui apparaît ici comme un personnage complexe, très ancien et fondamental dans la légende arthurienne. Son aspect querelleur est en effet associé à « la langue de feu » de Loki dans la mythologie scandinave, aux dieux du Feu indiens et iraniens, dont la parole ambivalente sert à « qualifier les seigneurs » (p. 36‑37), et à Bricriu, personnage de l’épopée irlandaise le Cycle des Ulates. Sa fonction principale est de procurer de la nourriture, ce qu’il fait avec une grande ingéniosité. En tant que lanceur d’aventures, Keu permet de fait de révéler les qualités de certains chevaliers. Après l’avoir associé au thème paradoxal du « feu dans l’eau » relevé par Georges Dumézil et Jean Haudry dans le Mahâbhârata notamment, Joël-Henri Grisward introduit La légende des Nartes, et le personnage de Syrdon qui partage plusieurs traits de caractère avec Keu et Loki, comme l’agressivité physique et verbale, la ruse, et la marginalité. La méchanceté de Keu est expliquée dans les textes du xiiie siècle par le fait qu’il a été « desnaturez5 » à sa naissance, c’est-à-dire placé en nourrice alors que sa propre mère a allaité Arthur. À la cour, il est toujours pardonné pour ses défauts, mais il mange à part des autres chevaliers. En comparant Keu avec Syrdon, Joël-Henri Grisward conclut que leurs sarcasmes ont une fonction narrative : Keu sert d’antithèse au modèle de la chevalerie arthurienne qu’est Gauvain, puisque ses moqueries provoquent des conflits et des aventures en envoyant les nouveaux chevaliers hors de la cour. L’extrême courtoisie de Gauvain les attire au contraire puis les garde auprès du roi, et cette opposition fait partie d’un système très ancien, à la fois social et narratif : « L’action centrifuge de Keu est équilibrée par l’action centripète de Gauvain […] Ce couple infernal formé par le sénéchal et le neveu du roi […] représente une articulation fondamentale du mécanisme social et romanesque arthurien » (p. 49). Keu est un héros double et très ancien, à l’image du celte Bricriu et du scandinave Loki. Les origines de Gauvain, dont certains traits caractéristiques sont mieux connus que ceux de Keu, sont à leur tour analysées au chapitre suivant.

Gauvain

5Le titre du chapitre « le chevalier soleil » fait référence notamment à la force de Gauvain qui augmente systématiquement avec le soleil, pour atteindre le zénith à midi. Joël-Henri Grisward rattache ce don extraordinaire attesté dans de très nombreux romans arthuriens, au motif récurrent du « jeu du décapité » auquel Gauvain participe dans quelques récits : un inconnu propose aux chevaliers de la cour du roi Arthur de venir lui couper la tête, en échange de quoi il coupera la tête du chevalier d’Arthur dans un terme fixe, un jour ou un an. Gauvain est le seul chevalier de la cour qui accepte de relever ce défi, et survit à chaque fois. L’inconnu lui laisse la vie sauve en reconnaissance de son extraordinaire courage et de sa loyauté, comme dans l’exemple le plus connu qui est le poème Sir Gawayn and the Green Knight. Or, un rituel solaire observé au ier siècle avant notre ère, met similairement en scène des Gaulois distribuant leurs richesses puis se laissant couper la tête lors d’un solstice ; et dans Le Festin de Bricriu, Cûchulainn reçoit le don d’un chaudron gigantesque rempli de nourriture, après avoir coupé la tête d’un géant et accepté la réciproque. Joël-Henri Grisward fait ici le lien entre cette ancienne mythologie solaire et Saint Jean Baptiste, décapité à midi, et dont la fête a été fixée par l’Église à la date du solstice d’été, le 24 juin. Dans le Perlesvaus, Gauvain est justement le chevalier à qui est confiée la quête de l’épée avec laquelle Saint Jean Baptiste a été décapité, rendant leur lien plus explicite encore. Gauvain est d’autre part d’une générosité sans limite, une autre caractéristique communément considérée comme solaire, en particulier avec les dames et les demoiselles à qui il porte toujours secours. Son appétit sexuel est évoqué par la même occasion, ce qui mène les lecteurs à la section suivante, qui est la comparaison avec Soslan (appelé Sosryko dans d’autres textes de légendes), un héros épique des Nartes. Dumézil a étudié ce héros solaire, et certains épisodes sont résumés ici, comme sa naissance et sa mort : Soslan est tué par une roue magique, lancée par les Nartes et qui l’atteint à la hanche, seul endroit vulnérable de son corps. Cette roue, symbole du soleil et d’une tête qui tombent, rappelle la tradition dans certaines régions la veille du solstice d’été, qui est de lancer une roue de paille enflammée depuis le haut d’une colline. Or, Soslan joue lui aussi au jeu du décapité avec un géant, gagne des batailles importantes à midi, et possède un très grand appétit sexuel, mais exprimé de manière plus brutale que Gauvain dans de nombreux épisodes de viol. Autre point de comparaison plus direct avec Gauvain : les deux héros ont un cheval féerique qui porte un nom — Thozej est le cheval de Soslan, Le Gringalet celui de Gauvain — et à qui ils sont très attachés. La relation entre Gauvain et Keu est ensuite comparée avec celle de Soslan et Syrdon, qui présentent eux aussi une antithèse signifiante. Mais l’antagonisme entre Soslan et Syrdon est beaucoup plus violent et radical, puisque Syrdon provoque la mort du héros, après avoir entraîné la mort de son jeune garçon auxiliaire et de son cheval.

Arthur

6Le troisième chapitre est consacré au dernier personnage du trio signifiant de chaque légende, Batradz et Arthur. Contrairement aux deux premiers chapitres, le personnage de la légende narte est d’abord présenté : Batradz est le frère de Soslan, c’est un grand guerrier associé à l’orage et son épée est semblable à la foudre. Dumézil l’a comparé à la figure mythologique grecque Arès, le dieu de la guerre. Les épisodes de la mort de Batradz et de celle d’Arthur présentent de nombreuses similarités qui sont à l’origine des recherches effectuées par Joël-Henri Grisward depuis la fin des années soixante. Au moment de sa mort, Batradz, comme Arthur, demande de l’aide pour aller jeter son épée à la mer. Après plusieurs mensonges, le ou les personnages auxiliaires jettent enfin l’épée et voient des prodiges : la mer bouillonne et devient couleur de sang avec l’épée de Batradz, alors qu’une main sort de l’eau et s’empare d’Excalibur. Les épisodes similaires de la mort de Batradz et de celle d’Arthur indiquent que l’existence de chacun est étroitement liée à celle de son épée. Or, l’imagerie de l’épée fichée en terre apparaît aussi dans des chroniques latines à propos des Alains, ancêtres des Ossètes. De nombreux romans arthuriens sont cités pour analyser la mort d’Arthur : chez Malory, le dernier compagnon d’Arthur est Bédoier, Lucan ou Girflet dans d’autres versions, et Joël-Henri Grisward montre que tous trois forment un groupe d’officiers chargés de l’organisation de la cour et des repas avec Keu : Lucan est l’échanson (il sert à boire), son frère Bédoier est le bouteiller (il approvisionne la cour en vin), et Girflet est leur cousin. L’un de ces trois personnages apparemment interchangeables est celui qui jette l’épée au lac selon les versions, alors que Keu est invariablement celui qui est responsable du premier épisode de l’épée fichée dans le roc, ce moment primordial dans la vie d’Arthur où « sa naissance en tant qu’hériter du trône et la naissance d’Escalibor ne font qu’un » (p. 116).

7La section suivante revient plus en détails sur le fait qu’Arthur est un guerrier dans les premiers textes où il apparait, et non un roi,6 et la comparaison entre les faits d’armes des deux héros constitue un rappel intéressant. En effet, à partir de l’Historia Regum Britanniae de Geoffroy de Monmouth, et de sa traduction en anglo-normand et en vers par Wace dans le Roman de Brut, Arthur est un grand guerrier puis devient roi de Bretagne. Chez Chrétien de Troyes ou dans le Lancelot en prose, le lien entre Arthur et Batradz se voit surtout à travers l’épée Excalibur qui possède les propriétés des éclairs et du tonnerre, mais le roi Arthur lui-même est le plus souvent statique et passif. Or, les épisodes relatés par Joël-Henri Grisward rappellent qu’Arthur est d’abord un « héros-épée » (p. 115), un guerrier tueur de géants et de monstres, qui rappelle l’Arès scythique, avec une force et un courage extraordinaires, et des accès de fureur aussi dévastatrice que l’orage. Ce sont deux facettes opposées d’Arthur, et Joël-Henri Grisward mentionne bien la contradiction apparente comme « le passage du personnage de statut de “guerrier” au statut de “souverain”, pour parler en termes duméziliens de la “seconde” à la “première” fonction » (p. 134), mais sans aller plus loin. Le lecteur a alors du mal à comprendre où nous mène une attribution quasi obligatoire des personnages à l’une des fonctions tripartites. D’autant plus que le dernier argument du chapitre est concentré sur des épisodes parallèles dans les légendes nartes et arthuriennes, pour montrer qu’au niveau structurel, les qualités d’un homme qui serait « sans avarice, sans jalousie, sans peur » (p. 141), et que Joël-Henri Grisward rattache au système trifonctionnel indo-européen, caractérisent plusieurs héros de mythologies différentes. Il s’agit de Batradz chez les Nartes, mais dans l’exemple du roman de moyen anglais, The avowing King Arthur, Sir Gawain, sir Kay and Baldwin of Britain, c’est Baldwin (Bédoier) qu’Arthur reconnaît « comme chevalier parfait » (p. 141). Baldwin serait dans ce texte plus digne de la fonction royale qu’Arthur, dont la fureur est toujours « plus ou moins en sommeil » (p. 143).

La proto-mythologie et le système trifonctionnel

8Le quatrième et dernier chapitre cherche à rassembler les fils argumentaires mais le grand nombre de répétitions constitue un obstacle à sa lisibilité. Après un rappel des principes d’analyse de Dumézil, qui sont d’observer « les relations d’opposition, de complémentarité, de solidarité, de hiérarchie » (p. 145) des éléments d’un ensemble, les multiples facettes des personnages et leurs relations entre eux sont réitérées pour soutenir l’idée que parmi tous les personnages de la légende arthurienne, Keu, Gauvain et Arthur ont le mieux conservé leurs traits mythologiques. Ils formeraient ainsi le noyau originel de leur légende et seraient de « très proches cousins » des Nartes, comme deux branches « de la famille épique indo-européenne » (p. 147). L’existence d’une proto-mythologie indo-européenne est une hypothèse essentielle des recherches de Dumézil et Joël-Henri Grisward, en connexion avec la tri-fonctionnalité. Pour renforcer ses arguments, Joël-Henri Grisward expose certaines similarités de Cûchulainn, personnage de la mythologie celte, avec Arthur/ Batradz et Gauvain / Soslan, par exemple sa nature orageuse mais aussi solaire. De son côté, le celte Bricriu offre des parallèles avec Keu/Syrdon. La mythologie celte serait ainsi une troisième branche de cette mythologie préexistante qui aurait ainsi fourni un ensemble de personnages, d’aventures et de relations déjà bien établis, et mis en récits dans différentes cultures. Il reste cependant à éclairer les conditions et la possibilité même de la transmission de cette proto-mythologie entre peuples aussi éloignés les uns des autres. Joël-Henri Grisward aborde le problème sans apporter d’élément nouveau, en évoquant de manière vague un héritage commun « d’un prototype datant de l’unité indo-européenne, voire d’une unité partielle ultérieure où futurs Celtes et futurs Ossètes se seraient trouvés associés » (p. 168). En l’état actuel des recherches, il n’est pas possible de savoir précisément comment la transmission a été effectuée, et Joël-Henri Grisward choisit de mettre de côté cette question pour conclure plus assurément sur l’idée que le personnage d’Arthur serait issu d’une mythologie très ancienne et répandue dans de nombreuses régions géographiques, et non pas d’un roi ou d’un guerrier historiques dont les exploits ont été réunis et propagés par différents auteurs. Les nombreuses comparaisons entre différentes légendes permettent au lecteur d’accepter cette hypothèse. Cependant, lorsque le trio/quatuor mythologique Arthur, Gauvain et Keu/Beduer — « un “roi”, un guerrier, un dispensateur de nourriture (p. 169) » — sont amenés une fois encore à refléter l’idéologie trifonctionnelle indo-européenne, la démonstration paraît moins féconde. Comme les guillemets l’indiquent, Arthur a été caractérisé dans le troisième chapitre de l’ouvrage comme un guerrier mythologique transformé en roi par Geoffroy de Monmouth, et l’évocation subséquente du cortège du Graal ne résout toujours pas cette faiblesse de l’argumentation.

9Les objets du Graal ressemblent aux trésors des Tuatha Dê Danann et aux objets d’or des Scythes, qui selon Hérodote représentaient la fonction royale lors de cérémonies rituelles. Joël-Henri Grisward propose alors une conclusion très (trop) générale :

les objets du Château du Graal […] rejoignent à travers l’idéologie des trois fonctions la conception indo-européenne de la royauté, conception qui fait du souverain à la fois le dépositaire, le modèle et le garant des trois fonctions […] mais, plus étroitement, renvoient directement, spécifiquement, à travers leur exhibition et leur célébration processionnelle, cérémonielle et sacrée, aux talismans des anciens Scythes. (p. 174)

10En face des trois fonctions sociales, il y a à la toute fin de l’ouvrage beaucoup trop de personnages pour les représenter de manière évidente. En revanche, le lien entre la théâtralisation du cortège du Graal et l’exhibition cérémonielles des talismans scythes est plus parlante. Les dernières questions du chapitre et de l’ouvrage reviennent sur la transmission et les voix ayant conté toutes ces histoires, sans apporter d’élément nouveau.

*

11Dans l’ensemble, l’organisation de cet ouvrage est problématique et rend parfois la lecture difficile : il s’agit principalement d’un assemblage d’articles passés et d’éléments épars, et certains épisodes sont racontés plusieurs fois, alors qu’il y a déjà une très grande quantité de citations de textes et de résumés de légendes.

12En outre, certains rapprochements entre épisodes ou personnages semblent hors sujet (que faire par exemple de la maladie féminine narte et celte dans l’argumentation principale ?, p. 162‑163). Le système trifonctionnel peut marcher avec certains traits des personnages, mais il arrive aussi que le collage paraisse forcé : on se demandera notamment quel roi les objets du Graal peuvent bien désigner. Et que signifie cette insistance sur le personnage de Bédoier, par rapport au trio originel ? Il arrive que des déclarations affaiblissent la démonstration, comme affirmer qu’un auteur est « moins sincère » (p. 150) qu’un autre. Certes, Geoffroy de Monmouth « ‘fabrique’ un règne du ‘roi’ Arthur » (ibid.), et les sources orales évoquées par Wace sont probables, ce qui peut constituer un argument en faveur de l’hypothèse d’une proto-mythologie transmise oralement. Mais tous les auteurs médiévaux utilisent la rhétorique de la traduction pour assurer une autorité à leur texte ; parler de sincérité pour l’un et pas pour l’autre est pratique mais pas convaincant.

13Le présent ouvrage a le mérite d’éclairer Keu, Gauvain et Arthur, ainsi que leurs relations entre eux, d’une manière différente. Les lecteurs critiques de L’Archéologie de l’épopée médiévale (Payot, 1981) ne seront pas plus convaincus par ce nouvel essai ; mais de nombreux amateurs et spécialistes de littérature médiévale arthurienne pourront être intéressés et intrigués par les rapprochements avec les légendes nartes et par l’évocation d’une origine mythologique très ancienne des personnages.